Un siècle de combat social en Belgique sous la loupe de l’art affichiste

B read & Roses, « du pain et des roses » : c’est le titre du livre et de l’exposition consacrés aux luttes pour les droits du travail et de meilleures conditions de vie. C’est aussi un écho à la grande grève de 1912 dans le Massachusetts, où les femmes et les enfants réclamaient une réduction de leur temps de travail de 56 à 54 heures par semaine. A la même époque, en Belgique, le Parti Ouvrier Belge mobilisait les masses populaires en faveur du suffrage universel et contre le vote plural, qui attribuait deux votes supplémentaires aux rentiers et aux diplômés. La Fédération générale des syndicats battait le pavé pour obtenir la journée de huit heures et la semaine de 48 heures. Il s’agissait de « mettre un terme à l’épuisement des travailleurs et de faire augmenter les salaires », en s’opposant à la politique des « sénateurs millionnaires ». Les artistes soutenaient ces luttes en faveur « d’un monde nouveau » à travers des chansons, des livres, des tableaux et des affiches. [scald=3301654:sdl_editor_representation] Un siècle plus tard, la question d’une société plus juste, plus égalitaire et plus démocratique revient comme un boomerang. Axel Ruhomaully et Franck Depaifve, les artisans de l’association Meta-Morphosis, racontent en affiches le combat en faveur de l’école, du logement, de la santé et des vacances pour tous. Le livre et l’exposition Bread & Roses témoignent des conquêtes de la sécurité sociale. Des affiches utopistes dessinent aussi ce que pourrait être son futur en 2036. Icône de la lutte contre la corruption et figure de proue du Parti Pirate islandais, la peintre Sara Oskarsson est venue nous dire à Bruxelles l’intérêt de la démarche de Bread & Roses et en quoi l’art est indispensable à la démocratie. « En soi, l’art est une chose politique, affirme Sara Oskarsson. Je veux dire que pour être un artiste, il faut créer quelque chose. Sinon, c’est juste du savoir-faire. La plupart des artistes influents étaient d’abord dans une forme de combat contre le système. Prenez, par exemple, Picasso avec Guernica, ou les surréalistes. Ils étaient en avance sur la manière de penser la société. En 2012, le gouvernement islandais a voulu démanteler le système des soins de santé. J’étais dans mon atelier. Je regardais mes toiles et je me disais, que ce n’est pas comme ça que j’allais changer le monde, ou alors si peu et trop lentement. Quelque chose devait être fait. J’ai pensé à une sorte de manifestation artistique. J’avais rencontré sur Facebook des gens aussi en colère que moi. Tout s’est mis en place rapidement. En quelques heures, nous étions des milliers Une vraie envie de ne pas se laisser faire était née dans la société. L’artpeut être un véhicule de la pensée et de l’émotion. » [scald=3301655:sdl_editor_representation] Sara Oskarsson a été un pas plus loin. Elle ne s’est pas contentée de peindre et de manifester. Elle a participé à la création du Parti Pirate et s’est fait élire au Parlement. Peut-on cumuler le travail de député et le métier d’artiste sans y alisser son âme ? « On m’a regardée bizarrement, c’est vrai. Qu’est-ce que j’allais faire là-bas ? C’est un métier très différent mais siéger comme député, c’est très utile pour changer la société. La tribune du parlement est le plus grand des mégaphones : là-haut, on est obligé de vous prendre au sérieux ! ». Au-delà d’imaginer et de dessiner des affiches militantes, faire de la politique pourrait s’apparenter à une forme d’art dans l’esprit de Sara Oskarsson : « Quand il y a une vraie vision derrière la politique, ce peut être de l’artoui. Mais la politique à laquelle nous sommes habitués aujourd’hui est plutôt conduite par l’argent et l’intérêt. La politique devrait être le job de tout le monde, du peuple tout en entier. Les artistes y ont leur place comme les autres. La démocratie est une oeuvre collective. La population devrait pouvoir y participer dans la plus large mesure possible. En 2008, après la crise financière, une nouvelle constitution islandaise a été écrite par le peuple. Hélas ! le monde politique n’en a finalement pas tenu compte. Les députés voulaient avant tout garder leur job, leur pouvoir, leurs émoluments. L’enthousiasme et la motivation populaire se sont émoussés. Mais je suis allée récemment à l’Université de Californie, à Berkeley, faire une conférence sur la démocratie. Le projet de constitution populaire islandaise a suscité aux Etats-Unis un formidable engouement. Et il n’est pas enterré, au contraire. » Au XXe siècle, le nouveau Parti Ouvrier Belge et ses héritiers socialistes avaient bousculé l’équilibre politique et bouleversé le système. Serions-nous en train de vivre une autre fin de cycle ? « Les anciens partis vivent scotchés aux vieilles méthodes de gouvernance. Il faut ramener plus de transparence dans la vie politique, rendre le pouvoir au peuple, mettre fin à la corruption, aux manipulations de l’opinion comme on vient encore d’en vivre aux Etats-Unis avec l’élection de Donald Trump. Il appartient à chacun de défendre la démocratie. Il faut rester éveiller. On a cru la bataille pour l’égalité entre les citoyens et le partage équitable des richesses gagnée. Avec la crise financière, on voit revenir les inégalités. Les citoyens doivent se réveiller. » Le livre et l’exposition se referment sur des affiches utopistes, créées par des artistes contemporains du monde entier. Chacun y relève à sa façon les défis de solidarité pour les futures générations. Mais y aura-t-il encore des affiches en 2036 ? « Indépendamment de l’évolution des technologies et du tout à l’écran, je pense qu’il y aura toujours des affiches sur les murs. C’est une façon de capter l’attention de la rue. On ne peut pas ne pas les voir et elles nous donnent chaque jour la force de nous battre pour nos valeurs. » Bread & Roses à l’Institut Syndical Européen (ETUI), jusqu’au 7 juillet, tous les jours de 10 à 16h, 5 boulevard du Roi Albert II, 1210 Bruxelles

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