From scene to scene Quand la peinture défie le temps

Ils sont trois. Trois jeunes Japonais en visite à Bruxelles pour deux jours. Comme tant d’autres touristes, ils sont venus admirer les Rubens, David, Bruegel, Rembrandt ou Van Gogh des Musées royaux des beaux-arts. Arrivés à la fin de leur parcours, ils pénètrent dans une salle du rez-de-chaussée, tout au bout du vaste hall, réservée à des expositions temporaires d’artistes contemporains (on y a vu récemment Gao Xingjian, Thierry De Cordier…). En entrant, ils tombent en arrêt devant une œuvre de très grande taille accrochée au fond de la salle et happant instantanément le regard. Comme hypnotisés, on les voit se diriger droit vers celle-ci tout en se jetant des coups d’œil incrédules. Après être resté un moment figé devant les rouges puissants et incandescents qui s’y déploient, l’un d’eux s’enhardit et vient observer le tableau de près, cherchant le truc, l’astuce ayant permis à Angel Vergara d’inventer une peinture vivante. Car c’est bien de cela qui s’agit. Dans un format digne des grands Rubens de l’étage supérieur, L’enfer (titre du tableau) s’anime, ondoie, rougeoie et se transforme sous nos yeux. [scald=3315234:sdl_editor_representation] Au fond de la salle, « L’enfer » rougeoyant attire tous les regards. Photo Jan Liégeois. Le truc ? « D’abord, c’est un travail de peintre, précise l’artiste. Le reste est finalement très simple. J’utilise la technologie, mais je continue à m’imprégner d’une culture populaire et à pratiquer mon travail de manière très archaïque et rudimentaire. Je ne suis pas un vidéaste et si j’utilise la vidéo, c’est uniquement pour donner vie différemment à la peinture. » Il y parvient magistralement en cinq œuvres de grand format plongeant le visiteur dans un univers aussi troublant que fascinant. A l’origine de cette série, on trouve le Musée des beaux-arts et Baudelaire. « Ce musée, c’est l’endroit où j’ai vraiment découvert l’art, confie Angel Vergara. C’est un lieu qui représente quelque chose pour moi. Et puis, c’est un lieu où, qu’on le veuille ou non, un artiste contemporain est confronté aux grands noms du passé. J’ai donc voulu que mes tableaux soient créés en résonance avec tout cela. Et puis il y a Baudelaire à Bruxelles. Bruxelles a toujours été un lieu d’échanges culturels internationaux important. Enormément de gens, dont de nombreux artistes, y ont trouvé refuge à diverses époques. Dans les années 60-70, à cause notamment de la vocation européenne de la ville, beaucoup d’artistes internationaux y sont passés et, souvent, s’y sont arrêtés un temps. Tout cela a aussi un lien avec une autre forme d’exil qui a été le mien. » [scald=3315421:sdl_editor_representation] Dans « Festival », au bout de quelques minutes, la peinture a envahi toutes les images filmées de l’île de Wight. Galerie Axel Vervoordt Mêlant tous ces éléments, Angel Vergara a créé cinq tableaux inspirés par les cinq conférences que Baudelaire avait données à Bruxelles pendant son exil. Pour chaque œuvre, un petit film a d’abord été monté. Montage d’images existantes (extraits de Fantasia, du festival pop de l’île de Wight…) ou vidéo réalisée par l’artiste. La peinture fait ensuite son apparition, réalisée sur plaque de verre et filmée en direct. Mais, contrairement à ses travaux précédents, où l’acte de peindre était au centre du propos, la main de l’artiste disparaît totalement. Seule reste la peinture qui suit, détourne, envahit les images filmées qui l’inspirent. « Dans mon travail précédent, la couleur avait un rôle de commentaire de l’image. Ici, elle est complète, elle agit seule. L’image que l’on distingue en dessous lui donne la possibilité d’exister mais souffre aussi de son apparition. » Restait à trouver le support idéal pour ces œuvres filmées mais revendiquant pleinement le statut de peinture. Les écrans led ont permis d’aller au bout du projet. « Ce sont des murs led comme on en voit dans les spectacles, la publicité dans les rues, etc. Comme ce sont des dalles qu’on assemble, cela me permet de décider un format, une proportion, en sortant des dimensions des écrans habituels. Et puis surtout, il n’y a pas de projection. C’est la lumière de la peinture qui sort de l’écran. Ce qui étonne le plus les gens, c’est qu’ils sont vraiment devant une peinture mais dans une temporalité. » Une peinture vivante, en équilibre entre figuration et abstraction, inventant un genre nouveau intimement lié à toute la grande tradition picturale. « C’est très surprenant, concluent nos jeunes visiteurs japonais. Nous sommes étudiants en art à Tokyo et nous n’avions jamais rien vu de tel. C’est une utilisation vraiment très personnelle de la technologie. Mais on l’oublie vite et c’est le résultat, cette peinture mouvante envahissant tout l’espace, qui est fascinant. » Jusqu’au 2 juillet aux Musées royaux des beaux-arts (Bruxelles). [scald=3315232:sdl_editor_representation] « Jardin » d’Angel Vergara. Galerie Axel Vervoordt

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