Cela s’est passé un 22 juin: «Dutroux: peines sévères requises»

(article paru le 22 juin 2004) Sans doute la perpétuité pour Dutroux et 30 ans pour Martin et Lelièvre. Au moins dix ans pour Nihoul. Dernières plaidoiries ce mardi avant l’arrêt. Le procès Dutroux aura, jusqu’au bout, été le procès Nihoul. Lundi matin, le procureur du Roi Michel Bourlet a accordé autant de temps à ses réquisitions sur la peine à appliquer contre le Bruxellois (disculpé mercredi dernier des enlèvements d’enfants) qu’à celles concernant les trois principaux accusés, Marc Dutroux, Michelle Martin et Michel Lelièvre. Le procureur du Roi de Neufchâteau a invité les jurés et la Cour à prendre en compte « l’esprit de lucre » de Michel Nihoul, reconnu coupable par le jury d’être le chef d’une bande de malfaiteurs actifs notamment dans le trafic de drogue, la seule infraction à avoir été mise à exécution et concernant « plusieurs milliers de pilules ». Il a demandé aux juges populaires et à la Cour de ne pas « descendre en dessous des dix ans », indiquant que pour atteindre cette hauteur de peine, il faudrait trouver des circonstances atténuantes. Et il faudra bien les chercher, a-t-il indiqué, estimant que sans celles-ci la peine pourrait s’établir dans une fourchette de 15 à 20 ans. Vingt ans pour 1.300 à 5.000 pilules d’ecstasy ? La défense de Nihoul s’exprimera aujourd’hui sur ce réquisitoire. Me Xavier Attout, l’un des deux avocats de Michel Nihoul, a annoncé à l’issue du réquisitoire de Michel Bourlet qu’il plaiderait la « culpabilité sans peine », à raison, notamment, du dépassement du « délai raisonnable », les faits ayant été commis il y a plus de 8 ans. Avant de s’étendre sur le cas Nihoul, le procureur du Roi Michel Bourlet s’était d’abord concentré, dans l’ordre de leur responsabilité, sur Marc Dutroux, Michelle Martin et Michel Lelièvre. Marc Dutroux ? Il a commis des infractions très graves, répétitives et nombreuses. Je demande la plus grande sévérité, lance Michel Bourlet égrenant les 30 chefs d’accusations mis à sa charge, les 3 assassinats, les 9 viols, les rapts violents. Il rappelle qu’en 1989, Dutroux fut déjà condamné par la cour d’appel de Mons pour des faits identiques commis en 1985. Ces peines lourdes ne lui ont pas ouvert les yeux, poursuit le procureur. Elles ne lui ont inspiré aucun repentir. Lorsqu’il est sorti de prison en 1992, c’était pour se venger. Il est un délinquant d’habitude et je crains fort qu’il le restera. il est incapable d’un quelconque amendement. La demande du procureur est sans surprise : perpétuité. Michel Bourlet y ajoute 10 ans (NDLR : la nouvelle loi qui n’est pas applicable à Dutroux aurait permis une période 20 ans) de mise à disposition du gouvernement, une mesure qui permet effectivement de prolonger le terme de la détention. Il requiert aussi la privation « à perpétuité de ses droits » civils et politiques et, bien entendu, la confiscation de tous les biens ayant permis la perpétration de ses crimes : véhicules, outillage, armes, etc. Le procureur Bourlet concentre ensuite son tir sur Michelle Martin : Bien sûr, souligne-t-il, son attitude est différente de celle de Marc Dutroux. Peut-on imaginer lui donner une nouvelle chance, interroge-t-il les jurés en soulignant que les faits poursuivis à Arlon sont « plus graves » que ceux qui lui avaient déjà valu une condamnation à 5 années de prison après la première campagne de rapts de 1985. Elle sait, poursuit-il, que Marc Dutroux était décidé à recommencer dès sa sortie de prison en 1992, sans se faire prendre. Elle savait ce que cela voulait dire. Pour Michel Bourlet, il n’est pas concevable de descendre sous les 30 ans. Pour Michel Lelièvre, enfin, le procureur Bourlet ne reconnaît aucune circonstance atténuante. Il constate son absence de remords et demande aux jurés de ne pas lui infliger une peine « en dessous de 20 ans », estimant qu’une peine de 30 ans serait la plus appropriée. Avant le procureur du Roi Michel Bourlet, l’avocat général Andries s’était attaché à expliquer aux jurés ce que le Code prévoit en matière du droit de la peine. Il avait ainsi souligné que les circonstances atténuantes éventuellement retenues par le jury et la Cour permettrait de faire descendre les peines des trois principaux accusés à 3 ans de prison. Une illusion. Quand on s’en prend à des enfants, on n’a pas d’excuses. Et de conclure son invitation aux jurés à faire preuve d’une saine sévérité : La peine, c’est aussi donner un sens au temps. Nous n’oublierons jamais l’horreur qui s’est révélée devant nous. Ne laissons pas les auteurs de ces horreurs les oublier avant nous…· Dernière tentative pour défendre Dutroux Que dire encore pour Marc Dutroux après le verdict des jurés le déclarant coupable sur toute la ligne ? Me Ronny Baudewijn a d’abord voulu rassurer le jury : Il est inconcevable qu’un jour quelqu’un signera un document permettant sa libération. Mais l’avocat de Dutroux est un fin renard et, passée cette pommade qui fit peut-être soupirer d’aise certains d’entre eux, il leur suggère : Votre décision aura une valeur symbolique. Vous avez peut-être des messages à faire passer pour d’autres personnes. Si vous voulez dire que d’autres portent une partie des responsabilités, vous ne ferez pas ce que tout le monde attend de vous. Traduction : si vous croyez qu’il y a des réseaux ou d’autres suspects non identifiés, alors vous n’infligerez pas le maximum du maximum à Dutroux, tel que requis par Marc Dutroux. Ronny Baudewijn se lance alors dans un affable tour de poste de remerciements au président de la Cour, mais aussi aux nettoyeuses de la salle d’audience, aux policiers, aux huissiers et aux greffiers, au « peuple d’Arlon ». Il s’adresse, en le tutoyant, à Marc Dutroux : J’ai fait ta connaissance dans des circonstances difficiles. Tu m’as permis de préparer ta défense. Franchement, je pense que tu as un sentiment d’honneur. Maintenant que tu n’as plus rien à perdre, si jamais il y a des choses que tu n’aurais pas dites, je te le demande, comme homme d’honneur, de le dire. Je compte sur toi. On saura aujourd’hui, à l’occasion des derniers mots prononcés par Dutroux, s’il a été entendu. Baudewijn, fin et folklorique renard, se tourne ensuite vers le public. Je m’adresse aux Comités blancs. C’est maintenant, après le procès, après 8 ans, qu’il faut faire une grande Marche à Bruxelles. Si vous la faites à nouveau, invitez-moi, je serai là. Voilà, une nouvelle fois rescénarisée la défense de Dutroux : l’Ami du peuple qui tente odieusement de récupérer à lui ce que furent les vraies motivations de la Marche blanche. Martine Van Praet, deuxième avocate de Dutroux, se lance, elle, avec conviction dans le descriptif de « l’homme Dutroux », un « être humain à part entière ». Elle emprunte la voix de la grand-mère de Dutroux décédée pour faire croire (et pourquoi pas) qu’il fut un gamin sage. Elle omet de préciser que Martin et Dutroux tentèrent de s’emparer des biens de cette vieille dame, lui volant même ses assignations de pension. Le bâtonnier Xavier Magnée rentre ensuite en piste. Il se met dans la peau d’un « ministre de la justice imaginaire » qui aurait renvoyé devant les assises, pour faire succomber la thèse des réseaux, un Nihoul qui devait être acquitté, renvoyant ainsi « au peuple » la responsabilité de faire succomber les réseaux. « Finalement, c’est la Cour et non pas le peuple qui a choisi », remettant ainsi implicitement en cause le verdict acquis au terme de la délibération finale. Pour lui, la lecture du verdict intervenu prononcé jeudi proclame l’existence de deux réseaux. Sont-ils étanches ou existent-ils des connexions ?, s’interroge-t-il. Quelles peurs expliquent le silence de Dutroux et Martin ? Il relance des questions sur l’attitude de la gendarmerie. Il insinue à nouveau que Nihoul serait peut-être impliqué dans les rapts. Magnée se tourne vers les jurés : Dites au pays que les tombes des victimes ne sont pas fermées, qu’il y a des inconnus qui ne perdent rien pour attendre.· Martin le monstre, l’oiseau pour le chat ou la repentie ? La défense de Michelle Martin s’est déclinée lundi après-midi sur quatre notes. Pour Julie et Melissa, la défense vous avait dit que Mme Martin était coauteur. Vous l’avez déclarée telle. Restait notre deuxième affirmation. Mme Martin était sous l’influence de son mari. Là, votre verdict ne dit rien. Peut-être le direz-vous dans le cadre de votre délibéré sur la peine, plaide M e Thierry Moreau. Habilement, le prof de droit pénal prend le réquisitoire à contre-pied. Au pénal, dans une fourchette de 20 à 30 ans, la juste peine, c’est le minimum. La question est de savoir s’il existe des raisons de la majorer. Comme de voir s’il y a des circonstances atténuantes, soit une possibilité de descendre sous ce minimum légal. Quant au concours de crimes pour lequel on requiert 5 ans en plus, vous devez voir s’il y a ou non unité d’intention entre les faits de séquestration et d’association de malfaiteurs pour lesquels vous l’avez déclarée coupable, et le viol de la Slovaque Yianka Makova. Nous disons que ce fil rouge existe, qu’il y a unité d’intention, qu’on ne peut donc dépasser le maximum de trente ans. L’avocat demande une peine raisonnable et proportionnelle par rapport à Dutroux. Ne pas punir la femme lâche, passive, soumise autant que le méchant, l’organisateur, le pervers. Martin ne serait pas devant ses juges si elle n’avait pas rencontré Dutroux ! dit-il. Et je parie que si elle n’avait pas été là, Dutroux aurait quand même commis ses crimes. Ça, c’est moins sûr : rien ne s’était passé pendant les cinq années du mariage de Dutroux avec Françoise Dubois. La suite de la plaidoirie est plus pénible : Me Moreau geint sur la vie en prison, sur la promiscuité, la cellule exiguë, et sur les trois enfants du couple Dutroux-Martin qui attendent leur mère. Ne pas ajouter du malheur au malheur, dit l’avocat. Ce qui choque profondément la grand-mère de Julie Lejeune. Puis Mes Sébastien Schmitz et Thierry Bayet plaident les circonstances atténuantes. Martin la douce, tiraillée par la peur qu’on lui prenne ses enfants. Pas la femme monstre décrite dans les médias. Mais la femme fragile, engluée, en aveux, repentante. Celle qui a collaboré à l’enquête et qui exprime des regrets. Ils demandent une peine juste, qui permette sa reconstruction. Enfin, Me Sarah Pollet entend donner une dernière note d’humanité : J’ai vu le chemin parcouru. Elle me disait que vivre avec Dutroux, c’était avoir une boule de feu dans les mains, sachant qu’elle allait tout détruire, mais dont elle ne pouvait s’en défaire. La boule de feu, elle l’a jetée loin. Elle dit qu’il ment, qu’il manipule. Il n’y aura plus de chat qui fera ce qu’il veut de l’oiseau Martin. Avec mesure, Me Pollet décrit une Michelle Martin qui, en prison, commence à parler, à se débarrasser de son fardeau, qui suit une psychothérapie, son chemin de vérité et qui se débarrasse de Dutroux. L’avocate parle aussi d’une Michelle Martin qui pleure, rongée par le remords, qui refait le chemin inverse, qui a une quête spirituelle, qui fait de la couture, qui a un parcours carcéral exemplaire et qui s’est décidée à se mettre au service des autres. Frisson dans le public : Mon Dieu ! Cette femme dit le vrai. Sa dangerosité est nulle. Le risque de récidive est zéro. Son avenir est entre vos mains. Je vous la confie, conclut Me Pollet en fixant le jury. Ce mardi matin, plaidoiries pour Michel Lelièvre et Michel Nihoul. Puis la conclusion de ce mégaprocès : l’arrêt. Les peines.·

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