L’enjeu des contenus radicaux et des messageries cryptées

O n ne se radicalise pas tout seul dans son coin derrière son écran », lançait dans Libération au lendemain des attentats de Paris le sociologue Farhad Khosrokhavar, spécialiste des phénomènes de radicalisation. Son analyse était en phase avec la réalité de 2015, celle des premiers attentats en réseau revendiqués par Daesh en Europe et de l’épineuse question des returnees. Mais à l’heure du terrorisme low-cost et des « homegrown terrorist fighters », est-elle encore d’actualité ? Comme nous l’écrivions dans notre édition de jeudi, l’enquête sur le terroriste abattu à la gare Centrale de Bruxelles mardi ne montre à ce stade aucune connexion entre l’auteur, Oussama Zariouh, et d’autres individus réputés radicalisés ou connus pour des faits de terrorisme. À ce stade, les enquêteurs n’excluent donc pas l’hypothèse d’une radicalisation en vase clos, ou presque, au contact de contenus Web. Combien d’autres radicalisés indétectables comme l’était Oussama attendent de passer à l’action ? Avec l’émergence de ce terrorisme virtuel et individualisé, l’Europe est aujourd’hui soumise à un impératif : intensifier la chasse aux contenus haineux et radicaux. Ces derniers jours, on a d’ailleurs senti un certain empressement à mettre en place des politiques allant dans ce sens. Jeudi à Bruxelles, l’UE a demandé aux acteurs d’internet de « développer de nouveaux outils pour détecter et supprimer » automatiquement ces sites, forums et applis à travers lesquels Daesh distille sa propagande et recrute ses exécutants. Elle a aussi appelé les géants des médias sociaux « à relever les défis que posent les systèmes qui permettent aux terroristes de communiquer par des moyens auxquels les autorités compétentes ne peuvent avoir accès, y compris le chiffrement de bout en bout » (système de communication où seules les personnes participant à la conversation peuvent lire les messages échangés). Et demande « l’accès effectif aux preuves électroniques » pour pouvoir lutter contre le terrorisme et le crime. Des demandes que Paris, Londres et Berlin ont déjà formulées à maintes reprises. Cette fois, les 28 ont exprimé leur exaspération. « Si c’est nécessaire, nous sommes prêts à adopter une législation adaptée ». Le 14 juin dernier, la France et le Royaume-Uni avaient en effet demandé qu’un système de réquisitions légales des services cryptés soit établi pour renforcer la lutte européenne antiterroriste. De son côté, l’Allemagne a adopté jeudi une nouvelle disposition légale très controversée permettant aux autorités d’espionner le contenu de messageries cryptées comme WhatsApp et Skype. C’était déjà le cas auparavant mais uniquement dans le cadre de la lutte antiterroriste. Alors que la nouvelle loi élargit le champ d’action des enquêteurs allemands. Concrètement, ces derniers pourront désormais introduire dans les téléphones portables et ordinateurs des logiciels espions (« Cheval de Troie ») et accéder aux données stockées dans les messageries cryptées telles que WhatsApp et Skype, y compris dans le cadre de procédures pénales. On sait aujourd’hui que les terroristes entretiennent souvent d’étroites relations avec le milieu du banditisme, de la drogue ou du trafic d’antiquités. WhatsApp, détenu par Facebook, et Skype, qui utilisent le cryptage de données pour garantir à leurs utilisateurs la confidentialité des échanges refusent toujours de se plier aux lois qui imposent dans certains pays aux opérateurs traditionnels de télécommunication de fournir leurs données aux gouvernements qui le leur demandent. En Belgique, l’interception de communications est légale depuis 1995 et ne concerne pas que les dossiers « terro ». « Ces mesures peuvent paraître intrusives mais la police ne décide jamais de les appliquer sans qu’elles aient été demandées par un juge d’instruction. Par ailleurs, elles restent exceptionnelles et réservées aux faits criminels les plus graves », rassure Guy Theyskans, porte-parole de la police fédérale. Nous n’en saurons pas plus sur les méthodes utilisées pour « hacker » légalement les contenus cryptés. Seule précision : certaines messageries sont « difficiles » que d’autres à atteindre « mais pas impossibles ».

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