«Despacito» ou la recette d’un tube mondial
Depuis trois ans, on constate un engouement pour les musiques latines. Le tube de l’été signé par Luis Fonsi et Daddy Yankee affiche déjà plus de 2 milliards de vues sur YouTube.


Des-pa-cito. » Ça se chante lentement en détachant bien toutes les syllabes. Ça se danse à deux en effectuant un mouvement de balancier langoureux avec son arrière-train. Ces simples consignes devraient suffire à faire de vous le roi de la plage/camping/boîte de nuit ou des trois à la fois. Car « Despacito » est d’ores et déjà le tube de l’été 2017, si pas la chanson de l’année.
On s’emballe ? Lisez les chiffres : 2 milliards de vues sur YouTube. Seuls Adele, Ed Sheeran, Taylor Swift, Katy Perry et le chanteur sud-coréen Psy ont déjà franchi ce cap. Luis Fonsi et Daddy Yankee dominent depuis deux mois le Bilboard Hot 100, le classement des meilleures ventes de singles aux États-Unis. On n’avait pas vu de titre en langue espagnole atteindre la première marche du podium depuis « La Macarena » en 1996 ! En Belgique, « Despacito » est double disque de platine, ce qui représente plus de 60.000 ventes.
Reggaeton
Ce son qui va accompagner votre été, au point que vous ne pourrez plus l’entendre d’ici à la rentrée, s’appelle le reggaeton. Regga quoi ? Pas de dreadlocks et de gros pétards ici. Plutôt des chanteurs latinos machos exhibant muscles, tatouages et chaînes en or. Ils clament leur amour à des jolies filles en minijupe, sans y aller par quatre chemins. Extrait : « Despacito. Vamos a hacerlo en una playa en Puerto Rico. Hasta que las olas griten “¡Ay, Bendito !” Para que mi sello se quede contigo. »
Traduction : « Lentement. Faisons-le sur une plage à Porto Rico. Jusqu’à ce que les vagues crient “Oh, mon Dieu !” Pour que ma signature reste sur toi. »
Un peu choqué/dégoûté ? C’est le but ! « Dans de nombreux pays d’Amérique latine, à Cuba, par exemple, le reggaeton est un peu l’équivalent du hip-hop américain, avance Xavier Houedemaker, danseur et organisateur des soirées Sabor Latino à Bruxelles. C’est une danse qui vient de la rue. Elle se veut provocante vis-à-vis de l’Etat et des règles en vigueur dans leur pays. Elle est machiste et les paroles tournent principalement autour du sexe. La femme est prise comme un objet par des artistes “bling bling”. Son côté vulgaire l’a d’ailleurs longtemps empêchée d’être médiatisée. »
« Le phénomène touche particulièrement la jeunesse qui ne s’identifie pas aux autres courants musicaux, complète Saul Escalona, auteur du livre De la salsa… au reggaeton (Éd. L’Harmattan). C’est en quelque sorte le nouveau style de protestation pour dire “Je fais ce que je veux”. Au niveau musical, il s’appuie sur l’hétérogénéité des rythmes en provenance des Caraïbes. Son prédécesseur est né au Panama vers le milieu des années 70 sous forme de reggae en espagnol. »
Au cours des années 90, le reggaeton se répand progressivement à Porto Rico. C’est là qu’il reçoit son nom et évolue, influencé par le hip-hop, les percussions africaines et la musique latine. « C’est une musique qui s’est nourrie des spécificités locales qui l’imprègnent de danse, de divertissement et des polémiques qu’elle provoque. » Car le phénomène n’est pas apprécié de tous. En 2002, le Sénat portoricain a tenu des auditions sur la représentation des femmes dans les clips vidéo.
Succès planétaire
Pourquoi ça marche ? D’abord parce que c’est irrésistible. Dès les premières notes de « Despacito », les plus coincés auront le gros orteil qui frétille dans la sandale. Les extravertis se lanceront d’emblée dans une « danse du chien ».
Le succès de la chanson repose aussi sur un savant plan marketing qui mêle une super-star de la pop et l’effet « YouTube ».
Rembobinons. À l’origine du tube, il y a Luis Fonsi. Un latin-lover portoricain spécialisé dans les ballades romantiques, à mille lieues des rues sales du pays qu’on surnomme le « 53e Etat des États-Unis ». « J’ai senti que la pop latino allait dans la direction du reggaeton, a confié le chanteur au magazine Rolling Stones. C’était le bon moment pour mettre un peu de rythme dans mon disque. » Il s’allie alors à Daddy Yankee. L’homme est aux fans de reggaeton ce que Johnny Hallyday est aux motards.
Le succès est immédiat mais, durant les premiers mois de 2017, il reste cantonné à sa zone géographique d’origine. Tout bascule quand, une nuit, Luis Fonsi reçoit un appel de son producteur : « Justin Bieber a entendu ta chanson dans une boîte de nuit en Colombie. Il veut en faire un remix. »
L’affaire est rapidement pliée. Bieber pose sa voix en introduction du titre, dans son plus bel espagnol (qu’il n’arrive d’ailleurs pas à reproduire en live sur scène). Le cachet international apporté par le jeune Canadien permettra au titre de faire danser la planète. « Certaines personnes ont dit que Justin Bieber s’appropriait le reggaeton pour son propre bénéfice, et c’est peut-être le cas, mais on pourrait aussi considérer que Luis Fonsi fait la même chose – emprunter un genre associé à une communauté marginalisée pour son propre succès commercial », remarque Petra Rivera-Rideau.
Les jeunes du monde entier se sont emparés de la chanson. En Italie, dans les pays du Maghreb et même en Malaisie, on ne compte plus les détournements et autres parodies. Chaque fois, ce sont des centaines de milliers de vues sur YouTube qui renforcent sa popularité. Surtout que Luis Fonsi a réalisé une grande tournée promotionnelle en Europe, n’hésitant pas à faire des apparitions dans certaines vidéos de fans.
Plus généralement, on constate depuis trois ans un engouement pour les musiques latines. Il est encouragé par la télévision et des émissions comme « Danse avec les stars » mais aussi par la zumba, sport pratiqué par quinze millions de personnes à travers le monde. Xavier Houedemaker, qui organisera la première convention dédiée au genre en octobre prochain, parle d’une « explosion ». « Les danses latinos sont le genre que les gens préfèrent actuellement car elles sont synonymes de convivialité et de partage culturel. Tout le monde fait la fête ensemble. Parallèlement, on est en train de vulgariser, de rendre ce style accessible au grand public via des ateliers découvertes. De plus en plus de gens ont envie d’essayer. On nous envoie même des personnes en burn-out à qui on redonne la joie de vivre. »
En Europe, le reggaeton reste un genre marginal. Des artistes latino-américains comme Shakira ou Enrique Iglesias ont déjà glissé la sonorité par petites touches dans plusieurs de leurs tubes des étés précédents.
Les rappeurs français s’en inspirent
Sebastien Fidalgo, co-organisateur des soirées Invasion Latina au Mirano et fan de reggaeton depuis vingt ans, n’a pas d’exemple d’artiste français qui lui vient à l’esprit. « Par contre, les rappeurs comme Jul ou MHD (Ils font partie des plus gros vendeurs de disques en France NDLR.) ont tous adopté le rythme de reggaeton et ne s’en cachent pas. Là où ça coince, c’est au niveau des paroles. En espagnol, elles vont avoir une connotation soit sexy, soit romantique, soit liées à un problème social de là-bas. Traduites en français, ça ne donne rien. En Espagne, le reggaeton a d’ailleurs mis du temps à s’imposer car beaucoup de gens étaient choqués. Mais c’est fini, ceux qui iront en vacances là-bas ne pourront pas y échapper. »
Pour poster un commentaire, merci de vous abonner.
S'abonnerQuelques règles de bonne conduite avant de réagir1 Commentaire
Houla la la ké stron ti ! Je me fais vraiment vieux, vite vite classic 21