Kazakhgate: quel a été le rôle des avocats, «payés entre 500 et 3.000 euros de l’heure»?

C’est à un véritable marathon que va se livrer ce mercredi la commission d’enquête parlementaire Kazakhgate : elle ouvre ses travaux à 8h30 et devrait entendre pas moins de neuf témoins avant d’éteindre ses lumières en début de nuit. Seront entendus plusieurs collaborateurs de l’ex-ministre des Finances Didier Reynders, plusieurs magistrats de la Cour d’Appel de Bruxelles mais aussi certains des avocats de l’« équipe Chodiev », de même que leur bâtonnier. Il est probable que le secret professionnel limite drastiquement les déclarations des avocats. Le brouillard qui entoure leurs rémunérations est pourtant connexe au scandale. Rappelons ce qu’a été le revenu empoché par le plus médiatique des « avocats » de l’équipe constituée pour venir au secours de l’homme d’affaires Patokh Chodiev : Armand De Decker (MR) – qui sera entendu vendredi – a perçu 741.846,55 euros pour lesquels la justice française n’a retrouvé aucune timesheet (relevé horaire). Alors que De Decker n’apparaît pas en procédure, la seule facture qui lui est connue revendique 450 heures de travail et « une prime de résultat ». L’existence de cette prime ne permettrait pas de créditer Me De Decker d’honoraires dépassant les 1.000 euros de l’heure : c’est son résultat qui serait rémunéré, pas la charge de travail. Des honoraires faramineux Problème : en audition le 9 septembre 2014 devant la justice française, l’avocate française de Patokh Chodiev, Me Catherine Degoul – qui a employé De Decker et les autres avocats concernés – nie qu’il existait un honoraire de résultat : « Ce n’était pas un honoraire de résultat (…), il existe un mandat établissant le taux horaire (NDLR : ce mandat n’a pas été retrouvé par la justice française), le taux horaire sur ce dossier était établi entre 500 et 3.000 euros. » On parle donc bien d’honoraires qui pouvaient être faramineux, d’autant plus conséquents que les avocats pourraient également compter sur un matelas de « frais ». Car ce même 9 septembre 2014, Me Degoul déclare : le préfet Jean-François Étienne des Rosaies « avait dit que pour les cabinets Tossens et Stibbe (NDLR : les deux cabinets bruxellois qui ont défendu Chodiev), il faudrait au moins 2 millions chacun de frais et pareil ensuite pour De Decker ». Dirk Libotte, du cabinet Stibbe, sera le premier avocat entendu ce mercredi. Peu probable qu’il soit très disert. Le Soir a détaillé ce qu’avaient été les mouvements de fonds au bénéfice des cabinets d’avocats Tossens et Stibbe. On peut avoir quelques difficultés à comprendre le 1,65 million d’euros payé pour le travail du pénaliste Dirk Libotte alors que, selon un brouillon de négociation dont l’authenticité a été confirmée par Me Degoul, il n’aurait travaillé « que » « 953,3 heures ». Mais du point de vue des clients, ces honoraires ne peuvent sans doute être réduits à des prestations horaires. C’est lui qui, selon Me Degoul, a eu vent de la loi d’élargissement sur la transaction pénale et a alerté l’équipe d’avocats. Ce n’est qu’ensuite, lorsque cette nouvelle a été connue, qu’Armand De Decker a été adjoint à l’équipe, explique Degoul. [scald=3963348:sdl_editor_representation] C’est encore Libotte qui, par mail, envoie à l’avocat général Patrick De Wolf un projet de transaction et un projet de réquisitoire. De Wolf a beau relativiser la portée de l’initiative – « du haut folklore », dira le magistrat –, la proposition Libotte contient bien l’évocation de l’article 21 ter du code de procédure pénale relatif au dépassement du « délai raisonnable » et qui va permettre l’application d’une transaction pénale. En pratique, c’est Me Libotte qui va sauver le « trio kazakh », et cela se paie. Mais il y a un autre volet qui échappe à l’analyse belge : c’est le travail qu’a réalisé le même Dirk Libotte, aux côtés de Me Degoul, sur les sociétés du Belge Guy Vanden Berghe. Vanden Berghe, personnage-tampon Dans le Kazakhgate, Guy Vanden Berghe apparaît comme un personnage-tampon : c’est via son compte en banque que transite un « prêt » de 306.000 euros (jamais remboursé, donc un don) au bénéfice du préfet de l’Élysée Jean-François Étienne des Rosaies. Cette somme est perçue par les enquêteurs comme une commission discrète versée dans le cadre du Kazakhgate. Deux autres commissions vont transiter par une société offshore de Guy Vanden Berghe, Antigone Holdings Corp., basée aux îles vierges britanniques : 420.000 euros pour Etienne des Rosaies, et presque 199.000 euros pour le sénateur français Aimery de Montesquiou, intermédiaire dans le dossier de vente des hélicoptères français au Kazakhstan. Que ce soit de son plein gré ou à son insu, Vanden Berghe apparaît donc comme un facilitateur. Mais Guy Vanden Berghe ne se réduit pas au Kazakhgate : connu de la CTIF (la cellule belge anti-blanchiment), il a investi dans l’industrie textile d’Afrique de l’Ouest, et au moment du Kazakhgate, il est actionnaire d’une série de sociétés dont il souhaitera se dégager. Et il confie cette négociation à… Mes Degoul et Libotte. A priori, il s’agit d’un dossier distinct du Kazakhgate, pour lesquels des honoraires distincts peuvent être facturés. Ceci pourrait expliquer le montant des honoraires perçus. Des dossiers vraiment sans lien ? Mais les deux dossiers sont-ils vraiment sans lien ? Les enquêteurs français vont s’intéresser à des mouvements de fonds qui se produisent sur les comptes des sociétés dont le Belge veut se retirer, et qui ne sont pas d’évidence liés au désinvestissement de M. Vanden Berghe. Ils s’intéressent ainsi à la dissolution de Royden Holding Equities Corporation, dont les avoirs transférés à la société luxembourgeoise Vpeak 111 comprennent des actions de sociétés liées au « trio kazakh » (ENRC et Kazakhmish). Ils s’intéressent aussi aux mouvements de fonds (plus de 520.000 euros) survenus fin 2010 entre la société américaine Enterprise Development LLC et Antigone Holdings Corp., société qui va servir à payer des commissions dans le Kazakhgate. Il est probable que Me Libotte ne fournisse à la commission d’enquête parlementaire aucun commentaire sur ces informations, informations que les députés belges devront aller chercher dans le dossier judiciaire français. Mais oseront-ils ouvrir ce volet, alors qu’une majorité de députés semble vouloir en finir pour la fête nationale ? Notons encore que deux autres avocats seront invités ce mercredi à répondre aux questions des députés : d’abord, l’ancien bâtonnier de l’Ordre français des avocats du Barreau de Bruxelles, Stéphane Boonen. C’est lui qui a procédé « à des investigations » dans le cadre de l’affaire Chodiev – De Decker « afin de vérifier si les règles qui régissent la profession d’avocat ont bien été respectées ». L’autre avocat qui sera entendu est Me Jonathan Biermann (MR), échevin à Uccle, qui dans le dossier de transaction pénale du « trio kazakh », a eu pour cliente l’épouse de l’ex-Premier ministre du Kazakhstan, Natalia Kajegueldina. Les questions dont il fera probablement l’objet porteront sur les circonstances dans lesquelles il a été sollicité in extremis et dans quelle mesure il a assumé la défense effective de sa cliente. Le montant de ses honoraires est connu : quelque 160.000 euros, qu’il percevra à l’automne 2011 via une société ad hoc qu’il crée chez le même notaire et avec les mêmes statuts que ceux utilisés quelques semaines plus tôt par Armand De Decker pour percevoir ses propres honoraires. Il y a comme une filiation…

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