Avec Claude Rich, le cinéma français perd un acteur majeur

L e savoir-vivre et le savoir-mourir, cela chez nous se sait à la naissance. » Derrière le mot de Talleyrand, c’est son interprète, Claude Rich, qui parle. Nous sommes en 1993, le film s’appelle Le Souper (Molinaro) et tel un grand duc, ce frère de jeunesse des Rochefort, Marielle, Noiret, Belmondo et Bedos, s’exprime avec l’irrésistible classe de sa génération dorée. Trente ans auparavant, le même, alors jeune homme, aiguisait dans Les Tontons flingueurs (Lautner) son impertinence et sa fougue de tête à claque contre la cuirasse de Lino Ventura. Un peu comme si un poids plume envoyait des soufflets dans le bide d’un poids lourd. « Valérie, mon petit, avertissait Lino en s’adressant à sa nièce, ton Antoine commence à me les briser menu. » Et le faquin, moucheté, rétorquait au lutteur sicilien : « C’est pas du tout gentil, oncle Fernand. Soit ! Les manières y gagneront ce que l’affection y perdra. » Avec la disparition de Claude Rich, jeudi soir à 88 ans, c’est un peu de l’âge d’or du cinéma français qui s’en va. En tournant le coin, Rich rejoint Noiret, Cremer, Girardot, Serrault. Derrière lui, dans la salle d’attente des consultations éternelles, Rochefort, Bedos, Belmondo et Marielle, en sursis, s’allument l’une après l’autre la cigarette du condamné, se prennent un dernier verre (pour la route), s’accrochent au crépuscule qui tombe. Qu’ils prennent leur temps ! [scald=4877234:sdl_editor_representation] Claude Rich appartenait à cette tribu de « magnifiques ». Une famille d’extraordinaires comédiens, soudés dans l’affection commune, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Nos artistes n’ont alors pas vingt ans. Ils se rencontrent au conservatoire, promotion 1949. C’est le coup de foudre. Une déclaration d’amitié légendaire, unissant dans un même élan, rabelaisien et aristocratique, grands ducs de la farce et galopins du panache. Claude Rich s’en souvenait avec émotion, lorsqu’au sujet de cette époque bénie il déclarait, en 2012 dans Le Soir : « Tout d’un coup, on découvrait le bonheur. Le plaisir de la Libération, d’abord. Et puis celui de l’âge où l’on commence à s’intéresser aux filles. Où l’on commence à tomber amoureux. Où l’on mange du chocolat, parce qu’il n’y en avait pas pendant la guerre. Où l’on fume des cigarettes. Où l’on fait des choses défendues. C’était aussi l’époque où on allait manger à la cantine de l’opéra, avec toutes les petites danseuses. C’était délicieux. J’avais été employé de banque pendant quelques mois, avant, et c’était tellement inhumain ! » Don Juan sur le déclin Dans cette amitié naissante de mousquetaires libérés, amis du verbe fin et du banquet joyeux, Claude Rich n’est pas le dernier venu. Dès ses premiers pas, au théâtre puis au grand écran (Les Grandes Manœuvres, de René Clair en 1955), ce catholique d’origine alsacienne ne se départit jamais de sa petite musique. Son style : un cocktail de classe et de finesse, d’intelligence et d’espièglerie. L’éventail semble mince. On le croit réduit aux rôles de mondains, de courtisans, de précieux. On se trompe. La palette de Rich est tout en subtilité. Ce dandy malicieux et raffiné, à la voix douce et voilée pouvait un jour, comme face à Louis De Funès (Oscar), incarner la figure du gendre de vaudeville. Puis, un autre, servir l’Histoire de France, endosser les costumes de Mazarin, Voltaire ou Talleyrand. Un autre encore, jouer pour les délires d’Alain Chabat un Panoramix à la potion enchanteresse (Astérix et Obelix : mission Cléopâtre). Un autre toujours, camper un vieil homosexuel dans une comédie de mœurs gauche caviar imaginée par Valérie Lemercier (Le Derrière). Ou, là encore sur un tout autre registre, donner vie à un médecin grave et flegmatique, accompagnant dans Le crabe-tambour (Schoendoerffer) les derniers jours d’un officier de la marine française (Jean Rochefort). Comment ne pas se souvenir, encore, de son dernier film de garnement ! Près d’un demi-siècle après Les copains, le film d’Yves Robert dans lequel il se prêtait avec Noiret, Bedos et compagnie à la revue des canulars anarchistes, Claude Rich retrouvait dans Et si on vivait tous ensemble ?, véritable hymne au carpe diem du troisième âge, Pierre Richard, Géraldine Chaplin, Jane Fonda et -encore une fois- Guy Bedos. En Don Juan sur le déclin, entouré d’amis vieillissants, Rich y faisait de la résistance à la sinistrose ambiante. Certes, la mort s’y faisait rôdeuse. Certes, de cette comédie de la vie, personne ne prétendrait à en sortir vivant. Mais en attendant le dernier souffle, il s’agissait pour lui de donner le change, de soigner l’allure, de conserver la ligne, de brandir le sourire. De maintenir en somme, jusqu’à la dernière minute, le cap sur l’archipel de la séduction. Simple question de savoir-vivre.

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