Flobecq, la commune où le panneau solaire est roi

A côté de chez moi, il y en a. L’autre voisine, elle en a aussi. Y a que Michel qui n’en a pas. » Il est 10 heures, à Flobecq. Au café du coin, trois piliers s’en jettent une. Puis deux. Nous, on cherche des panneaux solaires. Car Flobecq, c’est la capitale du photovoltaïque. On compte 418 installations, pour près de 3.500 habitants (et 1.330 habitations). Bref, plus d’une maison sur trois est équipée de panneaux. Un record, en Wallonie. « C’est normal, le bourgmestre les a donnés pour rien, lance un des piliers. Mais moi, je n’en ai pas mis. J’ai toujours su payer mon électricité, je n’avais pas besoin de ça. » [scald=6048042:sdl_editor_representation] La commune a emprunté 4,5 millions pour offrir des panneaux à ses habitants. Pour rien ? Oui, oui. Gratos ! La commune a emprunté 4,5 millions pour offrir des panneaux à ses habitants. Une initiative un peu folle qui démarre en 2008. Xavier Dulieu, un habitant de la commune, se passionne pour les énergies renouvelables. « On était une bande de copains, et on voulait faire des projets un peu écolos dans la commune », entame l’intéressé. Ils créent alors une ASBL, baptisée « Collines sous levant ». Parmi les projets, la création d’une unité de biométhanisation, et l’installation de panneaux photovoltaïques sur le toit des plus précaires. « Je suivais à l’époque un master en sciences po. Dans mon travail de fin d’études, je me suis demandé si le photovoltaïque n’était pas une piste pour lutter contre la précarité énergétique », ajoute Dulieu. Son idée ? Son ABSL, en partenariat avec les CPAS, finance la pose des panneaux. Puis ils récupèrent leur mise initiale grâce aux subsides octroyés par la Région (les fameux certificats verts). Et les ménages précaires bénéficient du compteur qui tourne à l’envers quand leurs panneaux produisent, ce qui réduit (voire annule) leur facture d’électrité. La belle affaire. Et ce projet, Xavier Dulieu veut lui donner vie. A Flobecq. Mais il galère pour le financement. Aucune banque n’est prête à le suivre. Or, il a besoin de quelques millions pour financer l’achat des panneaux. Qu’il pourra rembourser au fil du temps, en touchant pendant quinze ans des subsides sous la forme de certificats verts. Et une fois que l’investissement initial serait remboursé, les ménages deviendraient définitivement propriétaires de leurs panneaux. Et empocheraient même les derniers certificats verts. L’ASBL cherche juste à rentrer dans ses frais. Pas à se faire du blé. Pas qu’un geste bobo Xavier Dulieu va donc voir le bourgmestre local, Philippe Mettens, qu’il embarque dans l’aventure. « J’étais agacé par les incantations autour des énergies vertes. J’entendais beaucoup de beaux discours, mais ne voyais rien de concret, entame le maïeur socialiste. Puis, notre commune se situe à la frontière linguistique. De plus en plus de Flamands venaient s’y installer, et mettaient des panneaux. Un petit geste bobo. Mais dans le développement durable, il y a aussi un volet social. Je ne voyais donc pas pourquoi les revenus les plus modestes ne pouvaient pas bénéficier de ces panneaux. » [scald=6048524:sdl_editor_representation] Dans le développement durable, il y a aussi un volet social La commune monte alors un dossier technico-juridique, et s’associe avec l’ASBL. Puis ce petit monde va frapper à la porte de la banque Triodos en réclamant un crédit de 4,5 millions d’euros. « On les a convaincus à la tchatche. La commune a dû se porter garante. Ce qui n’est pas rien quand on sait que notre budget ordinaire est de 3,5 millions. Mais on a pris le risque. Et on a bien fait », sourit Philippe Mettens. Tout n’a pas été simple, évidemment. « Il a fallu négocier avec le régulateur, pour qu’il ne considère pas l’ASBL comme une centrale de production unique, mais bien l’addition de 300 unités individuelles. Il a fallu aussi négocier avec le SPF Finances, car le régime TVA sur les ASBL est de 21 %, alors qu’une maison de plus de 6 ans ne paye que 6 % de TVA », se rappelle Mettens. Mais, dans les deux cas, il a obtenu gain de cause. Et le projet a vu le jour. On est alors en 2011. Les 4,5 millions sont disponibles. Reste à trouver les candidats. Le bourgmestre envoie un courrier à ses habitants, avec sa trombine, où il annonce une tournée générale de panneaux. L’offre est ouverte à tout le monde (pas uniquement aux revenus modestes, comme en rêvait Xavier Dulieu). Certains se méfient : depuis quand la commune joue-t-elle les Saint-Nicolas ? Dans un premier temps, seule une petite centaine de ménages ose l’aventure. Mais le bouche-à-oreille fait son effet. Les installateurs locaux démarchent également dans le village pour encourager les habitants à sauter sur l’offre de l’ASBL. En trois vagues, fin 2012, l’enveloppe est écoulée. Au total, 298 ménages en profiteront. Et d’autres suivront en investissant leurs deniers personnels, pour porter le total à 418 installations. Le MacGyver du panneau « A refaire, on n’aurait peut-être pas dû ouvrir à tout le monde. Certains ont mis des panneaux pour chauffer leur piscine, alors qu’on a refusé soixante personnes après avoir vidé le budget », estime Marcel Dekeyser, membre de l’ASBL Collines du levant. Ah oui. Marcel. C’est un peu le MacGyver du photovoltaïque. L’homme sans qui la mise en œuvre du projet ne serait pas possible. C’est l’homme de main, celui qu’on appelle dès qu’on a un problème avec ses panneaux. [scald=6048525:sdl_editor_representation] « Quand un onduleur tombe en panne, c’est moi qu’on appelle. Et l’ASBL prend en charge les frais de réparation. Dans le contrat initial, la pièce était garantie dix ans, mais de nombreux installateurs ont fait faillite. Et un remplacement coûte vite 2.000 euros. Mais j’ai trouvé un technicien qui me les répare pour 500 euros pièce. » A Flobecq, tout le monde connaît Marcel. On le klaxonne toutes les cinq minutes dans la rue. « Marcel, c’est un ket. Il doit d’ailleurs passer pour relever mon compteur », nous glisse André sur le parking de la maison communale. Car c’est aussi lui qui fait le tour des 298 maisons, pour relever les index. « Je m’impose un délai de sept minutes par maison. Mais certains m’attendent avec un casier d’Orval. » Et vas-y qu’on s’en boit une. Justement, une jeune retraitée décharge sa voiture. Marcel fonce. « Dis, on peut montrer tes compteurs à ces messieurs du Soir ? » Marie-Thérèse acquiesce. Elle nous fait rentrer. Et hop, trois bières. Marie-Thérèse ne comprend rien à ses différents compteurs, mais elle sait que sa facture est quasi nulle depuis qu’on lui a offert des panneaux. Et c’est ça qui compte. « Les gens me font confiance, me donnent leurs clés. Le rapport humain est incroyable. Il y a bien quelques emmerdeurs, qui m’appellent à 23 heures, plaisante Marcel. Un jour, un type me jurait que ses panneaux faisaient grimper sa consommation. Quelques mois plus tard, on a découvert qu’il cultivait du cannabis… » Quand les plombs sautent, c’est aussi Marcel qu’on appelle. « Les gens croient toujours que c’est à cause des panneaux. La dernière fois, c’était à cause de la pompe de leur étang. » Un cas d’école La commune de Flobecq est un cas d’école. Le gestionnaire de réseau local, Ores, mène d’ailleurs différentes expériences pilote sur place pour évaluer l’impact d’une production photovoltaïque massive sur le réseau. L’université de Mons se penche également sur le cas flobecquois. « J’ai cependant un regret, conclut Xavier Dulieu. Celui de ne pas avoir atteint les 300 unités photovoltaïques prévues initialement avec la banque. La cause n’est certes pas un manque de financement de notre part mais bien la conséquence des dernières décisions des politiques wallons au sujet de la réglementation encadrant le système des certificats verts. » Marcel Dekeyser est moins modéré. « C’est lamentable. Je vomis la politique. » Il faut dire que les décideurs wallons ont particulièrement cafouillé sur ce dossier photovoltaïque. Face à une bulle spéculative, ils ont dû réduire en catastrophe les subsides de quinze à dix ans, avec effet rétroactif. Ce qui aurait pu mettre à mal le modèle financier de Flobecq. Mais le bourgmestre rassure. « Notre modèle tient toujours. » Il y aura simplement moins de bonus à redistribuer aux gens lorsque l’ASBL aura regagné ses billes. [scald=6046962:sdl_editor_representation] [scald=6048531:sdl_editor_representation] Le GSM de Marcel sonne. C’est une dame du Blanc Moulin, un lotissement où 80 % des gens ont des panneaux. Elle a un problème avec son compteur de certificats verts. « Je passerai ce soir », promet notre quasi-bénévole. « Je ne facture même pas 4.000 euros de frais sur l’année. » Un mot, un geste, Marcel fait le reste.

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