Hourpes: gare fantôme sous les ombrages et les ramages
La gare de Hourpes était la gare francophone la moins fréquentée de Belgique en 2014. Reportage.

Les gazouillis printaniers qui émanent des feuillages, habillent le matin qui s’est posé sur Hourpes, hameau de l’entité de Thuin. Gare ! Jamais un terme n’est apparu plus usurpé pour désigner cette double bande de terre qui sert de quai à huit voyageurs quotidiens, moyenne officielle délivrée par la SNCB et qui en fait le point d’arrêt ferroviaire le moins fréquenté de Wallonie.
C’est qu’il faut connaître l’endroit pour envisager d’y prendre le train. On n’y accède que par deux moyens : une voie carrossable raccordée au très officiel « chemin de Hourpes », dont l’asphalte léprosé s’insinue sous les ombrages, ou le chemin de halage qui longe la Sambre en contrebas. Quelques éléments seulement indiquent qu’il s’agit d’une halte ferroviaire : un indicateur des horaires jaune décati, les lettres blanches toponymes sur le fond bleu du panneau et un unique distributeur automatique de tickets de train. Le voyageur vers Charleroi doit donc changer de quai pour acheter son titre de transport, ce qui implique de descendre vers le chemin de halage, de passer sous le pont puis de remonter vers l’autre quai. Qu’il est loin, le temps opulent des charbonnages et des usines de Thomas Bonehill, qui justifièrent l’érection d’une gare forestière dont ne subsiste que le fantôme.
Chaque jour, trente-sept trains de voyageurs sillonnent cette ligne 130A reliant Erquelinnes à Charleroi, entrecoupés de convois de marchandises dont le transit a servi à justifier le maintien de la ligne. Entre ces deux extrémités, neuf arrêts pour une jonction : Marchienne-Zone, Landelies, Hourpes, Thuin, Lobbes, Fontaine-Valmont, Labuissière, Solre-sur-Sambre et Erquelinnes-Village. Hormis en début de matinée, on recense un passage dans chaque sens par heure, entre 5h29 et 20h29, heures du premier et du dernier des convois vers la métropole. « Avant, il y avait des trains jusqu’à 21h, observe Annie, unique navetteuse présente ce vendredi matin. Et il y a cinq ans, jusqu’à 22h. Et le premier train passait vers 4h, le matin, ce qui permettait aux hommes travaillant à la pause de 6h d’aller travailler en train ». A terme, on imagine mal ce point fréquenté d’une poignée de navetteurs survivre aux économies administrées au chemin de fer. « Alors, on prendra le train à Lobbes ou à Thuin », répond sans s’émouvoir la passagère en attente.
La présence de la jeune femme semble presque incongrue dans ce théâtre végétal de basses futaies où les oiseaux livrent un récital. Elle ne semble guère s’en formaliser. « Parfois, nous sommes cinq à prendre le train en même temps et, en moyenne, plutôt trois », confie-t-elle. Quand le train de 7h29 se présente, la navetteuse embarque, en direction de Charleroi puis de Bruxelles, où elle est employée. Un aller-retour quotidien de trois heures, en raison d’un battement de 10 minutes le matin et 20 minutes le soir entre deux correspondances.
Le cadre est bucolique et, en gagnant le pont, on peut contempler la rivière, cette haute Sambre que l’on dit sauvage. On se croirait presque dans un décor de film, au cœur de l’Amérique profonde. On ne s’étonnerait guère de croiser Gordie Lachance et ses potes, remontant la voie à la recherche d’un cadavre, dans le « Stand by me » adapté du roman de Stephen King. Mais on n’ose imaginer l’attente de mise lorsque vient la bise.
Dissimulée par les feuillages, une plaquette juchée sur un pied en bois évoque le passé du lieu. En 1890, deux corons furent érigés à Hourpes. Celui des Bonniers et l’autre, en bordure de Sambre, au lieu-dit « la Mallavée ». Un surnom tiré d’une ancienne légende locale. Elle évoque « l’homme au havet », c’est-à-dire au crochet, qui attrapait les enfants imprudents pour les attirer vers la rivière.
Il semble cette fois avoir emporté les navetteurs. Car quand démarre le « 8h29 » vers Charleroi, aucune âme incarnée n’est venue hanter les quais 1 et 2 de la gare de Hourpes. L’heure de pointe matinale s’est achevée. Seul le sifflement ferroviaire des wagons de passage viendra troubler le brouhaha aigu des oiseaux.
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