Doit-on arrêter de manger de la viande?

La viande « transformée », c’est-à-dire préparée, est à coup sûr cancérigène et la viande rouge est « probablement cancérigène », soit le premier et le deuxième niveau dans un classement qui comprend cinq catégories d’évidence scientifique de lien causal entre l’exposition et la maladie, selon un nouveau rapport publié lundi par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), l’agence spécialisée de l’Organisation mondiale de la santé (OMS.) C’est la première fois que l’organe, soit l’autorité la plus élevée au niveau international, émet ce type d’appréciation pour ces groupes d’aliments très courants. 22 experts ont analysé plus de 800 recherches effectuées dans le monde entier pour vérifier ce lien de cause à effet. 1 Un risque certain, mais qui reste faible « Pour un individu, le risque de développer un cancer colorectal en raison de sa consommation de viande transformée reste faible, mais ce risque augmente avec la quantité de viande consommée », explique le docteur Kurt Straif, chef des Monographies du Circ. Cela signifie notamment que même si les viandes préparées, une catégorie qui comprend les viandes qui ont été transformées par salaison, maturation, fermentation, fumaison ou d’autres processus provoquent le cancer avec autant de certitude que d’autres cancérigènes avérés (comme l’amiante, le tabac ou l’alcool), l’impact estimé de sa consommation n’a pas l’ampleur de ces « tueurs nés ». Ainsi, selon des estimations récentes, 34.000 décès par cancer par an environ dans le monde seraient imputables à une alimentation riche en charcuteries, contre un million de décès par cancer par an imputables au tabac, 600.000 à l’alcool et plus de 200.000 à la pollution atmosphérique. 2 Dois-je arrêter de manger de la viande ? D’après l’étude du Circ, le risque de cancer colorectal, le plus concerné par les évidences scientifiques, grimpe de 17 % chaque fois qu’on augmente la consommation de viande rouge de 100 g et de viande « préparée » de 50 g. « Ces résultats confirment les recommandations de santé publique actuelles appelant à limiter la consommation de viande, selon le Dr Christopher Wild, directeur du Circ. Dans le même temps, la viande rouge a une valeur nutritive. Par conséquent, ces résultats sont importants pour permettre aux gouvernements de mener des évaluations du risque, et de trouver un équilibre entre les risques et les avantages de la consommation de viande rouge et de viande transformée. » Prudemment, les experts de l’OMS ne se prononcent pas sur ce que peut être un apport équilibré. Mais, en Belgique, les experts du Conseil supérieur de la santé, se basant sur les mêmes études, ont recommandé de s’en tenir à 300 à 500 g par semaine. Car le Belge mange deux fois trop de viande rouge, soit 640 grammes de viande par semaine. Une réduction à 300 grammes par semaine pourrait même faire chuter le risque de cancer colorectal de plus de 20 %. Dans ce cas, le risque de cancer n’est plus augmenté « que » de 10 % par rapport au risque que court un végétarien. « On peut alors considérer que le régime est équilibré », explique Guy Maghuin-Rogister, professeur émérite de l’ULg et spécialiste de toxicologie alimentaire. Les évidences épidémiologiques qui associent des taux élevés de cancer colorectal avec une grande consommation de viande sont nombreuses, mais elles touchent aussi, dans une moindre mesure, les cancers de la prostate et du pancréas, selon les auteurs de l’étude. Pour la viande préparée, elles sont également présentes dans le cancer de l’estomac. 3 Comment le risque survient-il ? L’étude, très approfondie, des experts, ne tranche pas sur une cause unique. Il rappelle que la viande rouge contient nombre de nutriments utiles, comme du fer, de la vitamine B et du zinc. Le traitement de la viande, comme son fumage, peut provoquer la libération de produits carcinogènes comme des hydrocarbures aromatiques polycycliques, tandis que la cuisson peut y apporter des amines aromatiques, en quantité plus grand encore quand on fait frire ou griller la viande. Les chercheurs mettent en évidence des traces de stress oxydatif dans les urines ou le sang de consommateurs de quantité élevée de viande. Chez les rongeurs, la viande ou la viande préparée augmente l’oxydation des lipides, ce qui est une cause potentielle de cancer. « Il y a une évidence mécanique que des composants de la viande peuvent induire des composés carcinogènes dans le colon », écrivent les experts, qui impliquent également le fer de l’hémoglobine contenu dans la viande. Mais qui reconnaissent ne pas pouvoir expliquer comment le dommage à l’ADN qui cause le cancer se produit ensuite. 4 Critique C’est notamment pour cette raison que le secteur de la viande accuse les experts d’avoir, eux aussi, « trituré » les données pour obtenir cette évaluation, qu’ils accusent de n’avoir pas été prise à l’unanimité, soulignant que le cancer est « une maladie complexe qui ne peut être attribuée à une cause alimentaire unique ». 5 Conséquence Même si le lien entre viande rouge ou préparée et cancer avait été fréquemment évoqué lors de la publication d’études précédentes, le poids de l’affirmation des experts du Circ est très important, car il représente le plus haut niveau d’évidence scientifique. Elle ne peut donc être niée par les autorités publiques et devrait donc déboucher sur des recommandations de consommations maximales, mais aussi sur des actions sur la restauration collective ou la formulation des plats préparés. « Mais les intérêts économiques en jeu étant colossaux, même l’évidence scientifique aura du mal à faire modifier les habitudes alimentaires, au risque de grever la menace croissante de la maladie », souligne un expert. En Belgique, selon le registre du cancer, le cancer colorectal a enregistré en l’espace de quatre ans une augmentation de plus de 5 %. En 2012, on a détecté 4.737 nouveaux cas de cancer colorectal chez les hommes et 3.879 chez les femmes contre 4.486 et 3.689 en 2008. C’est un des plus hauts taux d’Europe occidentale…

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