Les pères adoptent enfin le congé parental

C ’était une envie que j’avais depuis longtemps. Quand ma fille est entrée dans sa douzième année, je me suis dit que c’était la dernière limite. Je ne l’avais pas fait pour mon fils aîné, 14 ans à l’époque. Alors je me suis lancé. » Thomas, 49 ans aujourd’hui, a donc commencé « petit » : début 2014, il passe en 4/5e pour une période de dix mois. Le congé parental, il l’adopte si bien qu’il le prolonge jusqu’à sa durée maximale de 20 mois. Comme de nombreux parents posant ce choix, Thomas cherchait principalement à « avoir plus de temps, lever le pied et être plus disponible pour ses enfants » : « Cela a été une très belle expérience : je m’occupais davantage de la maison, je passais plus de temps aux côtés de mon épouse (en 3/5e) et je prenais du temps pour moi. Résultat : le week-end, comme j’avais fait tout ce qui devait l’être en semaine, je consacrais plus de temps à mes enfants. » Le quotidien devient moins stressant. Thomas contribue davantage aux tâches domestiques, même s’il y prenait déjà part auparavant. Il est présent pour les devoirs.« Je n’étais pas un père absent avant de prendre ce congé, donc cela n’a pas changé fondamentalement ma façon d’être père. Mais sans doute me suis-je encore rapproché de mes enfants. Je pense en tout cas qu’il en reste quelque chose, même si ce n’est pas concret, ou mesurable. » 30 % des congés parentaux pris par des pères Comme Thomas, les hommes sont de plus en plus nombreux à lever le pied au travail pour s’occuper davantage de leurs enfants. Entre le début des années 2000 (2002) et 2016, le nombre de pères ayant pris un congé parental a été multiplié par 14, selon les chiffres que l’Onem a exceptionnellement rassemblés pour Le Soir. L’an dernier, ils étaient ainsi 42.980 à diminuer leur temps de travail, principalement en optant pour le 4/5e, la formule qui rencontre le plus de succès dans la gent masculine. S’ils restent encore bien en deçà des mères qui profitent du congé parental (100.668 en 2016), l’écart se réduit peu à peu. Ainsi, au début des années 2000, 91,6 % des congés parentaux étaient pris par des mères. Aujourd’hui, la part de ces congés qui est utilisée par les pères est de 30 %. D’après les premiers chiffres de 2017, on passerait même à 31 %. Lentement, mais sûrement donc. [scald=6233335:sdl_editor_representation] « L’évolution est réelle, commente Laura Merla, sociologue à l’UCL, directrice du Centre interdisciplinaire de recherches sur les familles et les sexualités. Si, de façon globale, ce sont toujours les femmes qui s’occupent le plus des enfants et qui prennent donc plus de congés parentaux, l’évolution la plus importante se situe du côté des hommes. C’est particulièrement le cas dans la génération des pères entre 20 et 40 ans. » [scald=6233333:sdl_editor_representation] Changement des mentalités, mais pas seulement… Plusieurs éléments expliquent cette tendance, selon la chercheuse. Tout d’abord, un changement de mentalités, notamment concernant le rapport au travail : « plus on descend de génération, moins le travail est perçu comme la valeur numéro 1. Les jeunes générations désirent s’épanouir dans plusieurs sphères différentes, dont la famille. » N’est-ce pas là l’apanage d’une certaine classe sociale, par ailleurs éduquée et plus engagée ? « Pas forcément, estime la sociologue. Lorsque j’ai travaillé pour ma thèse avec des pères au foyer, tous me disaient la même chose, quel que soit le milieu social : “Je n’ai pas vu mon père quand j’étais petit et je ne veux pas reproduire cela”. Une réflexion que l’on peut retrouver auprès de ceux qui prennent un congé parental ou un crédit-temps. Par ailleurs, une observation à rebours des idées reçues concerne aussi les familles immigrées. Il n’est pas rare que les femmes trouvent plus facilement un emploi, notamment dans le secteur des soins, et que ce soient donc les pères qui restent à la maison. » Par ailleurs, du côté professionnel, la précarisation croissante du monde du travail ainsi que la multiplication d’horaires de plus en plus incompatibles avec la vie de famille contraignent aussi les parents à poser certains choix, par nécessité. Dans un autre registre, la multiplication des divorces, et, surtout, la généralisation de la garde partagée, pousse certains pères à réduire leur temps de travail pour mieux s’organiser. Enfin, les politiques visant à retarder l’âge de la pension réduisent la disponibilité des grands-parents… Une évolution à double tranchant, qui pourrait également avoir pour effet de renforcer la famille traditionnelle. De la même façon, le climat de crise économique qui plane encore est susceptible de rendre les parents frileux, s’inquiète Laura Merla. Et si ce mouvement d’équilibre progressif semble constant depuis une quinzaine d’années, l’égalité au sein des familles est loin d’être acquise. A la Ligue des familles, on constate – et on se réjouit – d’une certaine évolution des modèles parentaux : « Les pères cherchent à s’investir davantage auprès de leurs enfants… mais pas dans les tâches domestiques, nuance Delphine Chabbert, secrétaire politique. De ce point de vue, les études montrent que la répartition des tâches n’évolue que très, très lentement. Or, c’est une des causes majeures des inégalités. » Autre bémol, selon l’association porte-voix des familles : certains parents optent pour le congé parental « à défaut d’autre solution », pour faire tampon entre la fin du congé de maternité et l’entrée en crèche, par exemple. D’autres leviers à activer Le monde politique a certes déjà pris des mesures afin d’étendre les modalités du congé parental. Ainsi, l’âge limite de l’enfant est passé de 4 ans lors de la création de cette mesure en 1997, à 6 ans en 2005 et, enfin, à 12 ans en 2009. En 2011, cet âge limite a même été supprimé pour les enfants souffrant d’un handicap sévère. Parallèlement, la possibilité de réduire son temps de travail d’1/5e temps apparaît en 2002, ainsi que l’opportunité de fractionner cette période et une augmentation du montant des allocations. Autant d’éléments qui expliquent la hausse spectaculaire du nombre de pères se saisissant de cette opportunité au début des années 2000. Le gouvernement fédéral actuel entend encore augmenter la flexibilité du dispositif, en proposant « 1/10e temps », à savoir une demi-journée par semaine ou une journée par quinzaine. [scald=6233334:sdl_editor_representation] Mais les leviers restent nombreux si l’on désire encore davantage inciter les pères à prendre leur part. Outre le traditionnel travail sur les mentalités, notamment dans le monde de l’entreprise, le nerf de la guerre reste l’indemnisation de ce congé. En Belgique, elle est forfaitaire et plutôt faible (700 euros net) : « Comme l’écart salarial reste important dans notre société, la perte de revenus est souvent plus importante quand c’est l’homme qui réduit son temps de travail, développe Delphine Chabbert. Pour que les pères prennent davantage ce congé, nous souhaitons une indemnisation proportionnelle aux revenus, avec un plafond. » « Pour le moment, le système pénalise les familles les plus modestes, renchérit Laura Merla, ainsi que les familles les plus riches, pour lesquelles la perte d’argent est plus importante. » A noter que la Flandre compte nettement plus de bénéficiaires du congé parental que la Wallonie ou Bruxelles. Les Flamands sont plus nombreux, certes, et le taux d’emploi y est supérieur… mais le nord du pays offre également des primes d’encouragement en supplément des allocations fédérales versées par l’Onem. Au niveau européen, des discussions sont en cours pour aligner l’indemnisation sur celle du congé maladie, « ce qui serait déjà mieux », opine Delphine Chabbert. Autre grief de la Ligue : le non-accès de ce congé aux indépendants. Pour le reste, des exemples d’incitants existent à l’étranger. Si la Belgique si situe, comme souvent, dans la moyenne haute en matière de congés parentaux, elle pourrait donc encore s’inspirer de ses pairs…

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