Après les attentats, « le réveil est brutal pour l’Espagne» selon le journaliste Ignacio Cembrero

Ex-journaliste pour El País et El Mundo, Ignacio Cembrero a longtemps décrit les relations entre l’Espagne et le Maroc. Il est également l’auteur de L’ Espagne d’Allah, ouvrage dans lequel il évoque les foyers de radicalisation. [scald=6502861:sdl_editor_representation] Que vous inspirent les événements de ces derniers jours ? Le réveil est très dur pour l’Espagne qui, ces 13 dernières années, a vécu dans la quiétude et la tranquillité. À quoi était-elle due, cette tranquillité ? La première explication, c’est l’hyperactivité des forces de police espagnoles. Jusqu’en 2015 et les attentats de Paris, l’Espagne était le pays d’Europe où on menait le plus d’opérations antiterroristes. Depuis 2004, 700 personnes ont été arrêtées. Mais souvent, les autorités ont frappé avant l’heure. Ces opérations étaient très médiatisées – on voyait les flics, les hélicos… – mais au final, les juges ont libéré beaucoup de monde. Le nombre de condamnés est très faible. L’avantage de cette hyperactivité, c’est qu’on a pu empêcher de nombreuses attaques. Ça prouve qu’on a retenu les leçons des attentats de Madrid et qu’on n’attend pas la dernière minute pour agir. Autre raison : l’islam a vécu une parenthèse confortable. L’immigration s’est déroulée différemment des autres pays sur le plan chronologique. La vague a été plus tardive. Dans les autres pays européens, elle a eu lieu au milieu des années 90. Puis vers 2004-2006. On a donc beaucoup de gens issus de la première génération, assez peu de la deuxième. Or, on sait que les problèmes surgissent chez les jeunes de la deuxième ou de la troisième génération. Au cours de votre enquête sur la communauté musulmane, avez-vous établi des liens entre la Belgique et l’Espagne ? On sait aujourd’hui que l’imam impliqué dans les attentats a résidé en Belgique. Pas vraiment. Mais en Espagne, il y a une grande mobilité des travailleurs. De nombreux Marocains sont d’ailleurs partis en Belgique pour y trouver du travail. Mais il s’agit en général de personnes diplômées. On a aussi découvert que l’imam Es Satty avait un casier. Qui contrôle les imams et quelles sont les conditions d’accès à la fonction ? On voit de tout ici. Dans certaines villes, les imams sont payés et contrôlés par le Maroc. Donc « à la solde » du Maroc. Ailleurs, c’est de l’Arabie Saoudite. Certaines grandes mosquées espagnoles sont d’ailleurs directement ou indirectement gérées par l’Arabie Saoudite. Dans d’autres cas enfin, l’imam est rétribué par la communauté. Il existe également un mouvement islamique antimonarchique marocain, dépendant d’un centre d’étude basé à Rotterdam, et qui cherche à former ses propres imams. La Catalogne compte des zones de ghettoïsation, où pousse la mauvaise herbe Aucun contrôle n’est exercé ? Les autorités cherchent toujours à savoir ce qu’ils font. Elles travaillent avec des indics. Mais il n’y a pas de conditions d’accès, non… N’importe qui peut être imam. Barcelone est désigné comme le foyer espagnol du djihadisme, un peu comme Molenbeek pour la Belgique. Réalité ou stigmatisation ? Je ne sais pas si on peut parler de foyer. Mais si on m’avait dit qu’il y aurait des attentats en Espagne et qu’on m’avait demandé de deviner où, j’aurais répondu « Barcelone ». [scald=6503112:sdl_editor_representation] Pourquoi ? Parce que c’est la ville la plus touristique du pays. Et que c’est là où la communauté musulmane compte 500.000 membres. La Catalogne compte aussi des zones de ghettoïsation. Certains quartiers font vraiment penser au Nord du Maroc. Or, c’est dans les ghettos que pousse la mauvaise herbe. C’est aussi pour cette raison que le salafisme a réussi à percer en Catalogne. On compte d’ailleurs une cinquantaine de mosquées liées à ce mouvement sur l’ensemble de la région. Comment envisagez-vous le futur de l’Espagne depuis ces attentats ? Je pense que cette période de calme dont nous avons bénéficié est plus ou moins terminée. Je crains aussi une montée de l’extrême droite. Ces derniers jours, on a assisté à des attaques contre des mosquées, des agressions physiques contre des musulmans… L’ambiance est tendue. D’un autre côté, j’ai été agréablement surpris de constater que les musulmans d’Espagne se sont très vite mobilisés pour manifester leur rejet du terrorisme.

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