«Le PS n’est pas une religion, mais un engagement spirituel»

Dès ses années universitaires, « vers 1991-1992 », Paul Magnette s’engage en politique. Mais pas en droite ligne au PS. « J’étais à l’ULB et je suis allé jeter un coup d’œil partout : chez les écolos, les communistes, Alternative libertaire auquel j’ai été abonné tout un temps. Je faisais de la politique d’une certaine manière, mais sans être affilié à un parti. » « Au tout début », il ne vote même pas socialiste : « J’ai voté Ecolo, j’ai voté communiste. J’ai un grand attachement pour une série de personnalités du PC, des gens que l’on fréquentait à travers mon père, d’anciens résistants, des gens qui avaient caché des Juifs. Mais le PC était à ce moment-là à 3 %, c’était devenu davantage un mouvement intellectuel d’une grande richesse. Un jour en rangeant mes livres, je suis tombé sur le programme politique du PC de 1988 : c’est le programme du PS des années 2000 : la semaine de 32 heures, la sortie du nucléaire, favoriser les transports en commun ou par péniches. » Puis viennent les rencontres socialistes : « Au PS, j’ai retrouvé le grand élan populaire qui correspondait au milieu dans lequel j’avais grandi. Des gens qui disaient : “Je suis né dans le drapeau, je mourrai dans le drapeau”. A Charleroi, dès que cinq personnes sont réunies, il y a au moins un militant socialiste dans les cinq ! Je ne dirais pas que le PS a le poids d’une religion ; mais il a le poids d’un engagement spirituel. C’est plus qu’un engagement politique. » Mais c’est la carrière académique qu’embrasse Paul Magnette : professeur de science Po à l’ULB, directeur de l’Institut d’études européennes, chargé d’enseignement à l’IEP de Paris. Jusqu’au coup de fil d’Elio Di Rupo : « C’était le lendemain des élections du 10 juin 2007. Je lisais les résultats dans la presse. On s’attendait à un mauvais résultat, mais pas à ce point. Le téléphone sonne, c’était Elio, que je ne connaissais pas vraiment. Il m’a demandé de régler la crise à Charleroi, d’intervenir comme médiateur. Il est venu dans mon appartement, on a discuté pendant une bonne heure. Il m’a dit que ce n’était pas plus possible, que Charleroi allait entraîner le PS vers le fond, qu’il fallait faire démissionner le collège, faire monter une nouvelle génération : « Tu as quartier libre. Règle la situation. S’il faut provoquer de nouvelles élections, on provoque de nouvelles élections ; s’il faut virer un tel ou tel, c’est possible. » Est-ce qu’il faut trahir ? Moi, je ne crois pas, je n’aime pas le côté Brutus. Cette mission ne vous a pas effrayé ? Cela m’a fasciné. J’en ai parlé à l’époque à l’ensemble de mes amis : Laurent Zecchini, Eric Massin, Renaud Moens, qui m’ont tous dit : « Oui, tu dois y aller. Sinon, le PS carolo va mourir. Tu es carolo, tu es socialiste, tu es neutre, tu n’es dans aucune équipe. Donc, tu peux le faire. » Pendant trois semaines, on a travaillé presque jour et nuit pour essayer de convaincre les gens de démissionner. Finalement, on y est parvenu. Ensuite, je suis parti quelques jours en vacances et j’ai reçu un coup de fil d’Elio qui m’annonçait qu’il devait faire un remaniement ministériel : « Cela t’intéresse de terminer la législature wallonne ? » Pourquoi acceptez-vous ? Je demande à ma mère (rires), je demande à ma compagne, qui me disent : « Si tu n’y vas pas maintenant, tu vas le regretter. » Je me suis dit que de toute façon, ce serait de l’expérience. Dans mon esprit, à ce moment-là, c’était juste pour 18 mois, jusqu’au terme de la législature wallonne, pour rendre un service. Après, je comptais retourner à l’université. Mais cinq mois plus tard, nouveau coup de fil d’Elio. Il me dit qu’il y a un changement de casting au fédéral : « Est-ce que tu veux y aller ? On a un super-ministère : énergie-climat ». C’est Elio Di Rupo qui vous amène en politique. Aujourd’hui, certains vous poussent à le remplacer… Je n’aime pas le côté Brutus. Je pense que ce serait très mauvais pour le parti. On a vécu une fois cela : c’est l’épisode Spitaels-Glinne. Et cela a laissé des traces pendant 15 ans. Le MR l’a vécu avec Michel et Reynders. Et il y a toujours des traces aujourd’hui. Est-ce qu’il faut trahir ? Moi, je ne crois pas qu’il faille trahir. [scald=6621226:sdl_editor_representation] C’est uniquement la trahison qui vous retient et les traces que cela pourrait laisser ? Il y a un temps pour tout. Le temps, c’est très important en politique. Et donc, ce n’est pas le moment. Pourquoi ? Parce qu’il y a le chantier des idées, qu’on sort à peine du traumatisme Publifin. Dans la séquence politique qui va jusqu’à la fin de l’année, ce n’est pas le moment. Après, ce le sera peut-être. Après, peut-être à nouveau plus. En politique, il ne faut pas se tromper de moment. La vérité d’un instant n’est pas forcément la vérité de six mois ou un an après. Mais traîner trop peut avoir des conséquences lourdes… C’est cela. Je risque de devenir le prince Charles du PS ! Mais il vaut mieux être le prince Charles que Brutus ! Mais je n’ai pas envie de devenir le prince Charles non plus (rires). Mais pour le parti aussi, cela pourrait avoir des conséquences ? Si cela doit se faire, cela doit se faire de façon fraternelle. A la fois pour les relations interpersonnelles : ne pas trahir, c’est important. Mais au-delà, parce que le parti nous dépasse. De génération en génération, au PS, il y a la transmission d’un héritage. Et aller casser tout cela à un moment donné ? Cela créerait des fractures. Elio reste immensément populaire parmi les militants. Dix ans après, il y aurait encore des conflits. Certains vous poussent à le faire… Oui, j’ai reçu des centaines de messages de militants et autres. Mais voilà, j’ai beaucoup réfléchi, j’en ai parlé aussi avec Elio ouvertement. Mais je pense que ce n’était pas le moment. Je ne peux pas le dire autrement. Mais dans un avenir pas si lointain, la passation se fera entre lui et vous ? Pas la passation : un jour ou l’autre, la succession devra être ouverte. Il y aura peut-être plusieurs candidats. Et je serai évidemment candidat, peut-être pas dans dix ans, mais si un jour, dans les quelques années qui viennent, la succession est ouverte… Pourquoi ? Parce que plein de militants me l’ont demandé. Chaque fois que je vais dans des sections locales, dans des fédérations, des militants qui me disent : « Tu dois être le prochain président. » Mais qui ne disent pas : « Demain. » Et on ne peut pas décevoir. Il est difficile quand les gens vous le demandent, de répondre : « Non, je n’ai pas trop envie. » J’ai le sens du devoir. Et je pense que d’une certaine manière, refuser, c’est lâche. Faut-il aller aux élections avec Elio Di Rupo comme président ? On verra. C’est une conversation à 10 ou 12 voix qui se tient en permanence. C’est à lui qu’appartient le choix. Vous n’êtes plus ministre-président : le pouvoir va vous manquer ? Le pouvoir politique au XXIe siècle, ce n’est pas ce qu’on croit. Quand je suis devenu ministre-président, j’ai eu envie de tout bazarder, mais tout le monde, patrons, syndicats, monde associatif, m’a dit : « Ça fonctionne, continuez le plan Marshall, réussissez la 6e réforme de l’Etat, assainissez les comptes sans faire d’austérité. » Personne ne nous a dit : il faut tout changer en Wallonie. Avec une certaine déception et humilité en même temps, je me suis dit : si tout le monde pense qu’il faut la continuité, c’est qu’ils ont raison. Par moments, on propose vraiment n’importe quoi pour proposer des réformes… Ce n’est pas le discours du MR… Je sais. On est dans un temps historique fasciné par le changement et la réforme. Mais réformer pour quoi ? Si ça marche bien, il ne faut pas réformer. Et le chômage en Wallonie ? Mais quelle est la réforme qui permettrait de faire en sorte que le chômage diminue en Wallonie ? Quand vous êtes ministre, 80 % de votre énergie est absorbée par des choses que vous n’aviez pas prévues. Comme le Ceta et Caterpillar l’an dernier. Et le dossier Caterpillar était une manière de démontrer qu’entre la résignation et l’illusion du pouvoir absolu, il y a une marge. Et pour moi, c’est ça le socialisme, le réformisme. Et demain, vous serez où ? Si je ne faisais que ce que j’ai vraiment envie, je serais encore bourgmestre de Charleroi quelques années, puis candidat aux élections européennes tout en reprenant quelques cours à l’ULB. Ce serait le parcours parfait.

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