Non, la France n’est pas irréformable

La France est irréformable. C’est ce qu’a déclaré, en Roumanie, le président Emmanuel Macron qui – ce qui est quelque peu paradoxal – se propose malgré tout de radicalement la réformer. [scald=6767384:sdl_editor_representation] La France irréformable. Lieu commun increvable. Martelé, tambouriné depuis des décennies. Au point que la majorité de celles et ceux qui liront cet article en sont, je suppose, absolument convaincus. Mais le fait que les Libanais sont des gens très doux, que les Vietnamiens sont inutilisables comme guerriers (ce pourquoi, en 14-18, on les engagea comme coolies ou blanchisseurs), que les juifs sont incapables de se battre, que les Algériens ne pourront jamais se gouverner eux-mêmes, constituèrent également dans le passé des préjugés indestructibles. La France irréformable ? Quel est le pays où les juges portent toujours des perruques, où les taxis, les autobus et les policiers n’ont pas changé d’allure depuis l’avant-guerre, où l’interdiction de la chasse à courre a provoqué un véritable séisme ? L’Angleterre, pas la France. Quel est le pays où l’on ne peut pas toucher au système électoral même s’il a pour conséquence que le président élu ne soit pas nécessairement celui qui a gagné, où le récit de la création du monde tel que le décrit la Genèse est toujours enseigné dans certaines écoles, où il s’est révélé impossible dans de très nombreux Etats d’abolir la peine de mort ? Les Etats-Unis, pas la France. Où la libéralisation très tardive du divorce et l’autorisation timide de l’IVG ont pris la dimension d’un cataclysme ? L’Italie, pas la France. Où l’Etat ne parvient pas à faire payer l’impôt aux puissants membres du clergé ? La Grèce, pas la France. C’est en France, en revanche, que l’on concocte une réforme de l’enseignement chaque année. Que l’on s’est offert quatre Constitutions et six réformes constitutionnelles en moins de 80 ans, neuf changements de modes de scrutins électoraux, six refontes de notre organisation territoriale au point qu’entre la « commune », le « regroupement de communes », le « pays », la « métropole », la « communauté urbaine », les « nouvelles régions »… plus personne n’y comprend plus rien. Les modifications du régime de retraite, on ne les compte plus et celles du droit du travail non plus. D’une façon générale les institutions américaines et britanniques sont, pour l’essentiel, les mêmes qu’avant 1940, et même qu’avant 1914. Les institutions françaises, elles, n’ont strictement plus rien à voir avec ce qu’elles étaient il y a 60 ans et l’on s’apprête à les faire évoluer de nouveaux. Changements difficiles En fait, il y a une confusion. Parce qu’il y a, en effet, une France qui s’est opposée à toutes les réformes et qui s’y oppose toujours, ou plus exactement deux France, conservatrices, l’une de droite, l’une de gauche, pour lesquelles on ne doit pas toucher, ni ici aux privilèges, ni là aux acquis, on en a tiré la conclusion que la réforme est impossible. Mais la droite s’est opposée aux congés payés, à la Sécurité sociale, à la réduction du temps de travail, y compris pour les enfants, au salaire minimum, à la création de comités d’entreprise et tout cela est tout de même passé. Elle s’est même opposée au Pacs et elle a récolté le « mariage pour tous ». La gauche fut vent debout contre les réformes constitutionnelles gaullistes, en particulier l’élection du président de la République au suffrage universel, et elle fut résolument hostile à toute remise en cause du système des retraites, même quand il était injuste, ou du code du travail, même quand il était paralysant. Mais cela malgré tout est passé et passera. En fait, on mélange trois phénomènes bien de chez nous en effet avec une hypothétique « irréformabilité ». D’abord d’effectives et caricaturales crispations. Ainsi, le refus massif d’une pourtant indispensable réforme de l’orthographe (ou l’attachement au coûteux et archaïque défilé du 14 juillet !). Ensuite, le fait que les mêmes, à droite, qui exigent certaines réformes s’y opposent quand c’est la gauche qui les réalise et qu’à gauche, en revanche, on réalise au pouvoir les réformes auxquelles on s’opposait avec virulence dans l’opposition. Concept de réforme Enfin, on assiste à une mutation inquiétante du concept de réforme. En 1847, du temps de la « campagne des Banquets », on appelait Réforme, avec un grand R, la revendication de l’extension du droit de suffrage, c’est-à-dire un plus. Ensuite, l’exigence d’une semaine de 40 heures ou de l’institution de congés payés, c’était à chaque fois des plus comme la gratuité de l’enseignement public. Or, peu à peu, depuis 20 ans, on a normalisé l’idée qu’une réforme, en fait, c’était un moins. Un recul. Une remise en question d’une réforme antérieure. D’où ce double paradoxe : c’est la bourgeoisie (et souvent les plus conservateurs) qui exige avec le plus de force des réformes et les couches populaires qui y sont allergiques, car elles les perçoivent, désormais, comme des mauvais coups potentiels. Tout le problème d’Emmanuel Macron est là. [scald=6767385:sdl_editor_representation] Il se propose de réaliser des réformes, nécessaires, parfois incontournables. Mais qui apparaissent comme des sabrages d’avantages sociaux. En revanche, des réformes qui seraient perçues comme des suppressions de privilèges des plus riches, et donc rééquilibreraient, il n’en avance aucune. Et c’est pour cela que la France se crispe et non parce qu’elle est irréformable.

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