«J’avais envie de sortir de mon image habituelle»

Moustachu, grassouillet et bedonnant : c’est à mille lieues de l’apparence charmante qu’on lui connaît habituellement que Colin Farrell apparaît dans The Lobster, le quatrième long-métrage du grec Yorgos Lanthimos, Prix du Jury au dernier Festival de Cannes. « Nous avons tous une certaine relation à l’image de notre corps, reconnaît l’acteur irlandais. J’avais envie de me transformer et de sortir de mon image habituelle. Puis c’était assez agréable de pouvoir me lever en plein milieu de la nuit pour manger un bout de gâteau (rires). » Un changement physique qui mène aussi à un changement de registre pour l’acteur qui livre une nouvelle fois une grande performance. Rencontre lors de son passage au Festival de Gand. Dans les films de Yorgos Lanthimos, l’approche du jeu est plutôt « neutre », un peu à l’opposé de ce que l’on demande aux acteurs habituellement… Comment avez-vous composé avec ça ? Je ne me souviens pas d’avoir décidé de jouer de cette manière. Yorgos ne nous a pas fait un speech en nous disant qu’il voulait qu’on ait un ton monotone, neutre. Par contre, je pense que le fait que j’ai vu Canine il y a deux ou trois ans a certainement joué un rôle important dans mon approche du rôle. Ce film est à la fois déroutant, surprenant, troublant, brillant… Je me suis souvenu qu’il y avait une sorte de mutisme émotionnel. Pas tant pour le père, mais pour le reste des personnages. Je pense que les autres acteurs s’en sont également rappelés. Nous comprenions tous la sensibilité particulière du monde dans lequel les êtres humains évoluent dans les films de Yorgos. Donc cette manière de jouer faisait parfaitement sens pour moi car le scénario est tellement étrange, particulier et extrême que je pense que si on imprégnait le jeu d’un naturalisme conventionnel, ça perdrait de sa magie. On se retrouverait avec quelque chose de commun. Jouer de cette manière est en fait venu très vite et a plutôt été libérateur. Ne rien faire, être juste présent et observer… Ça rendait les choses plus ou moins difficiles ? Je ne sais pas bien. Chaque rôle a ses difficultés. Puis honnêtement, je n’avais pas le sentiment de faire quelque chose de particulier. Peu importe ce que je faisais, il y avait toujours une forme d’absurdité silencieuse et intérieure qui traversait ce monde. Je dirais que les directions données étaient plus liées à un agissement d’ensemble. Vous savez, par exemple, quand je pénètre dans la salle du petit-déjeuner (une immense pièce où chacun mange seul et isolé, NDLR), le fait qu’il n’y ait rien d’autre que le bruit des couverts et des assiettes, mais très doucement et sans que personne ne parle vraiment, vous plonge de manière instantanée dans l’état d’esprit du film. L’instruction, c’était que personne ne devait vraiment parler et que si on parlait, il fallait que ce soit tout doucement. Un peu comme dans un monde parallèle où tout le monde était comme privé de ses droits émotionnels. Les émotions ne sont pas liées aux personnages car ils ne questionnent pas le système, ils ne suivent pas leur cœur, ils n’ont même pas cette notion contemporaine de « suivre son cœur ». Malgré tout, vous finissez par entretenir une relation avec Rachel Weisz. Comment l’avez-vous construite ? Car vous avez eu peu de temps… En fait il n’y avait pas vraiment de conversations entre les acteurs à propos de leurs relations car Yorgos ne le souhaitait pas. Il ne voulait pas connaître le ressenti des acteurs et où ils pensaient qu’ils devaient être. Les intentions, les objectifs dans les scènes, il s’en foutait un peu. Même si notre perception du scénario n’était pas exactement la même que la sienne, tant qu’il y avait une connexion, c’était suffisant pour lui. Nous étions juste là tous les jours pour raconter cette histoire et lui donner vie d’une manière contenue. Donc il était beaucoup question d’instinct, vous n’aviez pas vraiment besoin d’instructions… Oui. C’est un réalisateur très particulier. Il n’est pas très impliqué dans le cheminement des acteurs. Personnellement, j’adore avoir des instructions du réalisateur mais ici, c’était l’exact opposé. Et en fait c’était très bien. Nous n’avions pas à savoir ce que le film allait être ou quelles étaient les intentions précises, le message. Il fallait juste prendre cette très belle et très absurde histoire et essayer de se frayer un chemin dedans. Malgré tout, les choses étaient très réglées et je pense par exemple que les silences étaient destinés à créer un cadre pour l’histoire. Les silences sont très utiles dans des films comme celui-ci. Votre chambre porte le numéro 101. Une référence directe à « 1984 » de Georges Orwell. Est-ce que Yorgos Lanthimos l’a évoqué avec vous ? Pas du tout. Il garde ses cartes pour lui. Il y a d’autres ressemblances avec ce livre : l’hôtel pourrait être la ferme et les célibataires, les animaux. Ils gagnent leur liberté et puis deviennent un régime encore plus totalitaire que le régime contre lequel ils se battaient… Le monde dépeint dans le film est très triste… Vous vous sentez proche de cette perception ? Le monde est un endroit assez triste. Mais c’est aussi un endroit heureux, avec de l’amour, de l’espoir… Je ne pense pas que Yorgos soit pessimiste. Il est drôle et il voit les choses d’une manière très particulière. Il voit l’absurdité dans laquelle nous vivons tous et que beaucoup d’entre nous prennent de manière très sérieuse.

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