«Le Soir» récompense «La Fissure» du prix de la BD de reportage
La BD de Carlos Spottorno et Guillermo Abril réalisée parmi les migrants, sur les frontières de l’Europe a séduit la rédaction. Les auteurs reçoivent 20.000 euros d’espace publicitaire.



L e Soir soutient le Prix Atomium de la BD de reportage. La rédaction a choisi de l’attribuer à Carlos Spottorno et Guillermo Abril, les auteurs espagnols de La Fissure. En 2015, ils avaient décroché un World Press Photo pour leur reportage Aux portes de l’Europe . À partir de 25.000 clichés réalisés à cette époque, ils ont créé le récit de bande dessinée bouleversant de La Fissure . Personne n’avait jamais eu l’audace d’imaginer un album composé uniquement de photos.
Carlos Spottorno et Guillermo Abril ont inventé un nouveau langage, riche d’une dimension narrative absente du reportage photographique. La Fissure surimpose du vécu à la photographie, au prix d’un formidable travail narratif, inspiré par la lecture de L’art invisible de Scott McCloud, le maître théoricien de la bande dessinée.
« Nous n’avions pas de photos où les gens sont en train de parler. Il était donc impossible de mettre des bulles comme on le fait dans un roman-photo. Par ailleurs, le roman-photo revêt une dimension romantique inappropriée au sujet, nous confiait Carlos Spottorno en avril, à la sortie de l’album. Par ailleurs, le roman-photo est connoté d’humour et de légèreté. Du coup, on a décidé de ne pas mettre de bulles et de faire parler les personnes que nous avons rencontrées dans les récitatifs, en citant leurs propos. »
La BD reportage des deux auteurs commence dans l’enclave espagnole de Melilla, sur la côte marocaine, où des réfugiés s’entassent sous les tentes. Pendant ce temps, à quelques mètres de là, de l’autre côté des grillages, des golfeurs frappent la balle sur un terrain aménagé avec les Fonds de développement européens. L’image pourrait paraître cynique mais Carlos Spottorno estime que les habitants du minuscule territoire de Melilla, ne doivent pas être condamnés à la dépression. Et si les centres d’accueil de réfugiés ressemblent parfois à des camps, ce n’est pas innocent. L’Europe cherche sciemment à renvoyer cette image à ceux qui se pressent derrière les barrières pour que les migrants restent chez eux. Dans la réalité, la détresse des migrants est telle que ceux qui sont décidés à passer passeront toujours.
La Fissure montre aussi qu’il y a énormément d’argent à faire avec les réfugiés. « Un bateau peut en prendre 200, nous confiait Carlos Spottorno. Au tarif de 1.000 euros minimum par personne, ça fait 200.000 euros par bateau. En Méditerranée, on évalue le nombre de bateaux à quinze par jour. Ça chiffre rapidement… »
Les auteurs se sont aussi rendus en Hongrie, où les autorités s’enorgueillissent que le pays soit devenu le « pire endroit pour entrer en Europe ». Carlos Spottorno a entendu des mots similaires en Espagne et en Grèce car aux frontières de l’Europe et du Moyen-Orient, il règne un vrai trauma. Cette peur de l’autre remonte aux temps de la conquête ottomane. On voit remonter à la surface les vieilles idées nationalistes et la volonté de fermer les frontières.
La Fissure s’aventure jusqu’aux confins de la Russie et du Cercle polaire, à Ivalo, sur la frontière la plus extrême de l’Europe, entre la Finlande et la Russie. Certains migrants ne craignent pas d’emprunter cette route par des températures largement au-dessous de zéro. Rien ne semble pouvoir arrêter les flux migratoires quand les peuples sont victimes de la violence, de la faim, de la torture, de la misère.
L’œuvre de Carlos Spottorno et Guillermo Abril refuse pourtant l’alarmisme ou le repli frileux de l’Europe. « Nous ne sommes pas en guerre, concluait Carlos Spottorno, mais il faut faire attention de bien mesurer les enjeux de ce qui se passe à nos frontières. En 1941, Stefan Zweig écrivait : “ Les guerres entre peuples européens, on y croyait aussi peu qu’aux sorcières et aux fantômes” ». On connaît la suite…
La Fissure, Carlos Spottorno, Guillermo Abril, Gallimard, 168 p., 25 €
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