«Est-ce qu’on élève bien ses enfants? Grande question!»

E n dehors de ma santé, je vais très bien ! », lâche Julie Delpy, précisant dans un même souffle qu’elle a « un super mec, un super gamin, un père génial ». Pas à un paradoxe près, celle qui s’exila aux États-Unis à 19 ans alors qu’elle tournait avec Godard, Tavernier, Kieslowki et Leos Carax ajoute : « J’ai juste mal aux poumons quand je fume une cigarette. Mais peut-être est-ce normal ?! » Serait-elle hypocondriaque ? Juste un peu anxieuse. Mais avec beaucoup d’humour. Comme Woody Allen. Quant à sa nouvelle comédie, elle s’inspire de Blake Edwards et des comédies de situation hollywoodiennes d’antan. Les Tanguy d’hier seraient-ils devenu des Lolo ? Mon Lolo est très différent de Tanguy. Il fait semblant d’être un Tanguy mais, au fond, c’est un machiavélique ! Il n’est là que quand sa mère ramène un mec à la maison… Son objectif : le virer. Mais rassurez-vous, je ne crois pas que tous les jeunes gens sont devenus des pervers narcissiques ou des sociopathes comme je ne pense pas que toutes les femmes sont des névrotiques. J’exprime une situation particulière avec une mère qui travaille comme une malade dans la mode et du coup, est envahie par une très grosse culpabilité vis-à-vis de son enfant. Elle n’a donc jamais dit non à son gamin. Ce Lolo, c’est le cauchemar de l’enfant-roi devenu adulte, non ? Oui, l’enfant-roi qui devient un dictateur. Je me suis amusée à injecter plein de petites références freudiennes un peu rigolotes. Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire ? J’ai été témoin de la vie de certaines personnes et de leurs enfants dont certains sont effarants d’abus et de méchanceté. Cela me reflète aussi des choses sur moi en tant que mère. J’ai un petit garçon de six ans ! Est-ce qu’on élève bien ses enfants ? Grande question ! Je sais qu’on fait toujours des bêtises quand on élève des enfants. Mais cela n’empêche pas de se questionner. Je sais aussi que la manipulation chez l’enfant, c’est un truc de survie et une manière de tester. Je le vois avec mon fils. Je suis une bonne pâte et mon fils me pousse, pousse, pousse jusqu’à ce que je dise stop. Donc Lolo, c’est sans doute la formulation de mon anxiété de mère se disant : « Et si je laissais tout passer à mon fils, voilà comment il finirait ! » C’est l’expression d’un cauchemar. Moi enfant, j’étais plutôt infernale alors que mes parents étaient plutôt sympas… Dès que j’étais énervée, je prenais une valise et je partais. Je me cachais et tout le monde me cherchait. Oui, j’étais vraiment infernale. Bon, dans mon film, j’ai choisi d’en faire un sociopathe car c’est une maladie moderne qui va très bien avec le monde dans lequel on vit, le capitalisme, la manipulation des autres, l’égocentrisme. Vous avez croisé des sociopathes dans votre parcours ? Bien sûr. Le genre qui viennent vous dire : « Vous méritez tellement mieux… » ou « Qu’est-ce que tu es belle mais c’est dommage que tu es si vieille ». Ce qui désarçonne et fait douter. C’est insidieux. Les agents d’artistes sont très forts pour ça ! A Hollywood, les agents artistiques se sentent les rois. Ce sont tous des Lolo ! Votre film évoque aussi la femme de 45 ans et le temps qui passe… Avec humour ! Vieillir ne me gêne pas. Mais j’ai de l’arthrose et les poumons toujours enflammés. Je n’ai plus de thyroïde, je ne vois plus rien sans lunettes… ça, ça me fait chier. Mais avoir l’air vieille ne me fait pas peur. D’ailleurs, enfant, dès que je voyais une personne âgée, je lui faisais des câlins car je trouvais ça beau. Surtout à l’époque car les gens ne se refaisaient pas. En tant qu’actrice, vous renvoie-t-on souvent votre âge ? Oui, oui ! D’ailleurs, aux États-Unis, passé un certain âge, on vous offre soit les rôles de méchante, soit le rôle de la femme chiante qui empêche le mec super de faire des choses formidables. Les Américains sont tellement puritains qu’ils ont gardé en tête l’image de la femme-serpent tentatrice de l’Ancien Testament qui fout en l’air le paradis ! En France, on est moins boulet ou moins diabolique. On accepte des dialogues crus dans un film de Judd Apatow. Est-ce aussi aisé quand on s’appelle Julie Delpy ? Non, car je suis une femme. Ça serait encore plus difficile de le faire en Angleterre car les Anglais sont très misogynes. Ils veulent des nanas qui ferment leur gueule. Est-ce pour cela que vous avez réalisé votre comédie en France ? Non. J’avais vraiment envie d’une comédie en France. J’adore l’argot français et je voulais des dialogues fleuris. En français, je peux dire des cochonneries mais ça reste drôle et fleuri. On peut se permettre de parler de sexe avec gouaille et légèreté. J’avais envie de m’amuser à ça. Parlons du casting ? J’avais le casting parfait dans la tête. J’avais déjà tourné avec Vincent Lacoste sur Le Skylab et je l’adore. J’ai écrit en pensant à Karin Viard. J’aurais été déçue qu’elle refuse. Elle était sur Le Skylab, mais on n’avait pas eu de scène ensemble. j’en avais envie. Et elle envoie les répliques comme personne. J’ai aussi écrit le rôle de Jean-René pour Dany Boon. Quand j’écris, je vois des images, des plans. Plus que la littérature, c’est le cinéma qui m’a toujours passionnée. Mon père était un grand lecteur mais aussi un fan de cinéma. Mon premier choc fut West side story. Que retiendrez-vous de cette aventure française ? Ce fut moins douloureux que d’autres tournages où tout se cassait la gueule, où les financements n’étaient pas très solides. Moins dur que La comtesse où personne n’y croyait. Mais moi, c’est marche ou crève, donc je continue ! On m’enfonce, je me redresse. C’est génétique. Ma grand-mère a été dans deux guerres et elle est morte à cent ans. Pourquoi être partie aux États-Unis à 19 ans alors que vous aviez une filmographie réunissant déjà Godard, Carax, Tavernier, Kieslowski, Carlos Saura, Schlöndorff, Agnieska Holland… ? Je ne me sentais pas à l’aise en Europe. Je ratais beaucoup de rôles car j’étais la nana de personne, je ne léchais le cul de personne, je n’allais pas aux fêtes qu’il fallait. Je ne faisais rien de tout ça ! À un moment, ça m’a nui énormément. Je suis donc partie faire des études de cinéma à New York. Je ne regrette rien car je fais de ma vie ce que je veux et je me sens bien où je suis. À 16-17 ans, je n’avais pas envie de sortir avec des vieux mecs pour décrocher un rôle ! Je suis hypermorale. Les enfants de 15 ans ne doivent pas sortir avec des gens de 50 ans. Pour moi, c’est de la pédophilie. J’ai des parents très intègres sur le travail : on ne couche pas pour réussir, on ne fait pas de la lèche. On est dans le travail, pas dans la putasserie. Je préfère être actrice-réalisatrice de 45 ans qui s’écrit ses rôles qu’actrice de 45 ans qui attend du boulot. Moi, je peux écrire : 45 ans, femme blonde, un peu d’embonpoint… et j’ai le rôle ! Vous avez débuté en 1984 avec Godard. Qu’en dire ? Il m’a beaucoup aidée et m’a donné un joli conseil qu’il a publié dans son ouvrage Godard par Godard. Il me disait : « Si tu veux suivre des cours de théâtre, rappelle-toi que c’est toi le cours d’eau et eux les durs rivages qui voudront te canaliser, te banaliser. » J’ai suivi son conseil le jour où, étant passée très près de la fin suite à une expérience malheureuse, j’ai compris qu’il fallait que je réalise mes envies. Je me suis relancée à faire mes films. Comment vous voit-on en France aujourd’hui ? Je ne fais pas partie du milieu. Je ne vais à aucune fête. Je ne sais pas faire du copinage. Je reste dans mon univers. Il est plus facile pour moi d’écrire un scénario entier que d’aller à une audition. À Hollywood, je suis pareille… Je suis timide, asociale. Je déteste le relationnel. Ma carte de visite, c’est le fait de travailler dur. À une période, j’allais à des fêtes et je buvais car je n’arrivais pas à gérer. À cause de l’alcool, je suis tombée malade et du coup, j’ai arrêté !

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