L’expert: «Daesh ou al-Qaïda sont prêts à sauter sur n’importe quel prétexte pour défendre des musulmans»

Tanguy de Wilde, professeur de relations internationales à l’UCL, estime que le problème avec les Rohingyas ne doit pas être vu uniquement sous l’angle religieux. Les rebelles de l’Arsa ne sont pas bien équipés mais mieux organisés qu’avant. Un risque de reprise en main par des groupes comme Daesh ou Al-Qaïda ? C’est quelque chose qui est propre à la communauté des croyants musulmans : le syndrome du « pays frère » comme le disait Huntington. C’est-à-dire l’idée que, dès qu’il y a des minorités ou des communautés musulmanes maltraitées quelque part, elles suscitent des levées de bouclier de la part des grands pays musulmans. C’est un phénomène qui est apparu à la fin du XXe, début du XXIe siècle. Avant ça, le prétexte permanent était le conflit israélo-arabe. Après, c’était la Bosnie, puis la Tchétchénie. Aujourd’hui, c’est la Tchétchénie elle-même qui s’y met. Certains disent que les interventions militaires ont toujours lieu dans des pays arabes et/ou musulmans (Irak, Libye, Afghanistan). C’est oublier que la plupart des réfugiés du monde musulman sont provoqués par d’autres musulmans. C’était le cas avec Saddam Hussein hier ou en Syrie aujourd’hui. Et donc il y a un phénomène tout à fait particulier à cet égard. Il ne faut pas confondre les terroristes et les musulmans, mais d’une certaine manière les musulmans pratiquent l’amalgame en n’essayant pas de voir les réalités locales entre Rohingyas et gouvernement birman ; et en en faisant une question identitaire religieuse. C’est une véritable singularité. Il n’y a pas de levée de bouclier similaire aux Etats-Unis ou en Occident pour s’émouvoir du sort des chrétiens en Arabie saoudite, en Chine ou au Vietnam, par exemple. La Birmanie, un cas à part ? Les djihadistes ou les terroristes n’ont besoin que de prétextes. Daesh ou al-Qaïda n’attendent que ça. Quand un s’efface, un autre arrive. Il faut se rappeler que les attentats du 11 septembre ont été préparés en 1995 quand tout allait bien sur la planète : la guerre de Bosnie était terminée, il y avait une embellie sur le front israélo-arabe et même un début de pacification en Tchétchénie. La logique terroriste, djihadiste, utilise la réalité géopolitique pour justifier sa propre logique à elle. Une question de semaines ou de mois avant d’être récupérés par des groupes mieux organisés… Dans le discours, c’est déjà fait. Sur le terrain, va-t-il y avoir des livraisons d’armes comme il y en a eu en Afghanistan, en Bosnie, en Tchétchénie qu’on retrouve alors après en Syrie ? La Birmanie est quand même un peu plus loin et plus difficile d’accès aussi. Pour aller en Afghanistan, il fallait le vouloir. Pour aller en Syrie, par contre, il suffisait d’avoir un billet d’avion pour la Turquie. Au début en tout cas… La question est de savoir quelle voie permettrait l’accès à cette zone de la Birmanie. Ou au Bengladesh de l’autre côté ? Qui n’y a pas trop intérêt puisqu’il joue déjà à l’ambulance humanitaire. Il y a toujours le piège humanitaire qui peut se refermer, il ne faut pas perdre de vue ce risque potentiel. Les camps de réfugiés peuvent devenir des foyers de tensions et de violences, on l’a vu en bordure du Pakistan avec certains réfugiés afghans. Des bouddhistes contre des musulmans, c’est plutôt rare non… Je ne vois pas d’autre exemple. Il y a les problèmes entre hindouistes et musulmans à côté avec l’Inde et le Pakistan. A priori, le bouddhisme, qui est plus une éthique qu’une religion, appelle à l’apaisement intérieur. Et donc à la paix entre communautés. Je crois que nous avons tort, ici, d’y voir un problème de confrontation identitaire religieuse. Il y a un problème en Birmanie qui remonte à avant la colonisation où les Rohingyas étaient protégés par les Britanniques et ont pu apparaître comme moins nationalistes que les autres. Il y a une logique locale par rapport à des minorités qui ne sont pas garanties, plutôt qu’une logique de confrontation religieuse. Dans des pays jeunes, la reconnaissance d’une identité de minorité n’est pas toujours simple. Le gouvernement birman cale depuis 1982… Il y a des mauvaises habitudes, celles d’une dictature militaire qui règle les problèmes par la force. Comme certains en Turquie veulent régler le problème kurde par la force. C’est une autre logique qui n’intéresse pas grand monde. Il faut revenir à une logique plus micro que macro si on veut comprendre les véritables enjeux. Par contre, qu’il y ait une exploitation mondiale du conflit, c’est évident ; comme beaucoup d’informations qui sont reprises en boucle. Le gouvernement birman n’a pas la bonne approche ? Si le gouvernement birman veut s’ouvrir aux investissements internationaux et au tourisme, il n’a pas intérêt à se présenter comme pays instable. Il doit faire en sorte que le problème ne provoque pas cette hémorragie comme c’est le cas actuellement. Pour l’instant, le mal est fait. Les Birmans sont dans une posture de justification essayant d’expliquer au monde entier qu’il n’y a pas de nettoyage ethnique et qu’ils règlent un problème de sécurité puisqu’ils ont été attaqués. Il y a plusieurs grilles de lecture à ce problème, ce n’est pas que religieux. On n’a pas suffisamment d’informations indépendantes sur ce qui se passe vraiment dans cette zone.

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