Les Sparks: «On fait vivre l’économie belge»

Fondé en 1968 à Los Angeles par Ron Mael et son petit frère Russell, Sparks est un groupe culte. Duo foncièrement pop au succès épisodique (« This Town Ain’t Big Enough For Both Of Us » en 1974, « When I’m With You » en 1980, « Funny Face » en 1981…), il n’a jamais arrêté de publier des albums aussi passionnants que leurs collaborations avec Bijou, Telex, les Rita Mitsouko ou plus récemment Franz Ferdinand. Ron et Russell étaient de passage il y a peu à Bruxelles pour présenter Hippopotamus. [scald=7254154:sdl_editor_representation] Après la comédie musicale autour d’Ingmar Bergman, un film avec Leos Carax et l’épisode FFS avec les Franz Ferdinand, vous revenez avec un nouvel album très pop… Ron : Oui, c’est surtout une question de formats, avec des chansons très courtes et un nouveau groupe et l’intention de tourner. Revenir à ce qu’on a fait durant de nombreuses années. Le projet Annette avec Leos Carax, cela fait quatre ans qu’on travaille dessus, donc oui on revient un peu à nos fondamentaux. Ces nombreuses collaborations étaient-elles une façon de briser un peu la monotonie, vous qui publiez des disques non-stop depuis 1971 ? Russell : On aime, oui, avoir d’autres points de référence. Collaborer avec Franz Ferdinand ou travailler sur un film nous donne de nouvelles perspectives. Vous avez un statut un peu à part dans l’histoire de la pop music. Cela fait bientôt 50 ans que vous écrivez ensemble des chansons. Une longévité exceptionnelle pour un groupe qui n’a jamais été commercial, avec des succès épisodiques… Ron : C’est assez surréaliste pour nous, oui. Quand on a publié notre premier album, on ne s’attendait pas du tout à ce qu’il ait du succès. 23 albums plus tard, on est encore étonnés d’être là. Surtout en faisant de la pop. C’est étrange, oui. Russell : On n’a jamais été un groupe commercial, on n’a jamais rien fait pour ça et oui, on est toujours là. Ron : Notre mentalité a toujours été la même. On fait ce qu’on aime sans chercher à refléter une mode ou donner des leçons de vie. On peut s’estimer heureux de pouvoir continuer à rester sincères dans ce monde pop. Vous êtes restés fidèles à un style particulier et incomparable, d’une originalité folle. Sans jamais dévier… Russell : C’est dû à notre personnalité sans doute. On est fiers d’avoir toujours eu le luxe de faire à notre façon ce qu’on voulait. De revenir aujourd’hui sur un label majeur, BMG, est une surprise plaisante. Ils nous ont approchés quand on venait de terminer le disque. Et ils ont adoré ce qu’on leur a fait écouter. Vous êtes américains mais votre musique est-elle aussi bien comprise là-bas qu’ici en Europe ? Russell : On ne sait pas trop ce que la presse américaine pense de nous en fait. Ron : Cela a fort changé avec Internet. Notre public est devenu très homogène un peu partout dans le monde. On vivait en Angleterre dans les années 80 et quand on est rentrés à L.A., on entendait nos nouvelles chansons sur les radios locales. Parfois certaines de nos chansons ne passaient pas ailleurs… Avec Internet, c’est plus flou. Russell : On vit à Los Angeles car on y est né et on y a grandi, on y a nos familles et nos amis. C’est un environnement bizarre, c’est vrai mais on y a aussi notre studio. Mais on adore Paris ou le Japon où on retourne en octobre. Et puis Bruxelles aussi bien sûr où on a gardé de nombreux amis : Laurence Moulin, Dan et Michel de Telex… Vous avez collaboré avec Bijou, les Rita Mitsouko, Telex ou récemment Franz Ferdinand. Par curiosité, par amitié… ? Ron : Il ne s’agit pas d’injecter la musique des autres dans la nôtre mais c’est intéressant de voir comment ils fonctionnent. Ce sont des gens qui nous inspirent malgré tout. Comment fonctionnez-vous entre vous pour écrire des chansons ? Russell : Ça n’a pas vraiment changé depuis le début. On a une sensibilité commune envers la musique et ce que celle des Sparks doit être. On cherche pour chaque album de nouveaux challenges, sans être complaisants avec nous-mêmes. Au départ, c’est Ron qui apporte une idée de chansons qu’on travaille ensemble. Ron : D’avoir notre studio a aussi fait évoluer le processus. On prend le temps de faire nos recherches, de tester différentes choses. Pour les paroles, je cherche toujours à garder cet humour particulier, avec un double sens. On a un peu une image de frivolité mais on cherche toujours à donner du fond à nos chansons. Sur « Edith Piaf (Said It Better Than Me) », vous citez la phrase « Life fast & die young » en disant que c’est un peu tard pour vous… Ron : C’est un commentaire un peu personnel sur le cliché de l’âge. C’est une chanson au sujet d’un type dont la vie est tellement vide qu’il n’a même pas de regrets comme ceux dont parlait Edith Piaf, une femme qui a eu une vie tragique. Et vous, Russell, vous comprenez toujours ce que vous chantez ? Russell : En gros, oui. Mais je me concentre tellement sur la meilleure façon possible d’interpréter la chanson que je ne fais pas toujours attention à ce qu’elle dit. « Giddy », par exemple, est une chanson très difficile à chanter. Comment vous sentez-vous en tant qu’Américains avec votre nouveau président ? On y pense dans la chanson « What The Hell Is it This Time ? » Ron : Ça pourrait. Mais plus spécifiquement, ça parle d’un dieu débordé par toutes les demandes de l’humanité. La situation est telle aujourd’hui aux États-Unis que n’importe quelle chanson pourrait être interprétée dans le sens que vous évoquez. Russell : On n’aime pas donner des leçons ou dire aux gens comment penser… Vous êtes plus proches d’une forme de surréalisme… Russell : Oui, on est d’ailleurs de grands fans de la boutique de votre musée Magritte. On est collectionneurs et il nous faut toujours de la place dans les bagages pour ramener tout ça à la maison. Ron : Oui, on craque tout le temps. On fait vivre l’économie belge. Où en est le projet avec Leos Carax qu’on entend dans « When You Are a French Director » ? Ron : On a terminé l’histoire et la musique d’Annette, notre comédie musicale qu’il va réaliser et comme derrière chaque réalisateur se cache un musicien frustré, il voulait être sur notre disque. Le tournage va bientôt commencer. C’est encore beaucoup de travail… Vous devez être très sollicités. Il vous arrive souvent de dire non. Avez-vous un regret particulier ? Russell : C’est vrai qu’on n’aime pas refuser mais il faut savoir que le projet FFS, entre le moment où on en a parlé et celui où il s’est réalisé, ça a duré dix ans. Ron : Catherine Ringer est une personne absolument adorable. On va la rejoindre bientôt sur scène. C’est fabuleux qu’elle ait continué après le décès de Fred. Russell : Notre plus grand regret est le projet de Jacques Tati qui n’a pas pu se faire dans les années 70. On l’a rencontré souvent et le film dans lequel on devait jouer était bien avancé. Il voulait des Américains pour l’aider à se faire connaître chez nous. On adorait ses films. Vous êtes toujours passionnés, bourrés d’énergie, très frais en fait. Quel est votre mystère ? Ron : C’est une conduite. Ça a toujours été notre mission de convertir les païens. On tient toujours à présenter du mieux que l’on peut notre personnalité. Et on a toujours eu la chance, au fil des décennies, d’avoir suffisamment de gens pour nous suivre et nous apprécier. Ça nous permet d’avoir une certaine perspective générale. Et de pouvoir écrire ces films et comédies musicales, ça nous donne de l’énergie, ça nous permet de sortir de notre zone de confort.

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