Cela s’est passé un 8 septembre 2007: «Justine a conquis l’Amérique»

(article paru le 10 septembre 2007) Justine Henin aura mis neuf ans pour séduire l’Amérique. C’est très long pour une fille qui a un tel talent, d’autant qu’elle n’a pas chômé entre son élimination au premier tour en 1999 contre Amélie Mauresmo et sa victoire de samedi soir contre Svetlana Kuznetsova. Neuf ans durant lesquels on vit l’actuelle nº1 mondiale buter souvent au stade des huitièmes de finale à Flushing Meadows, un stade longtemps maudit pour elle ici, avant de connaître une première consécration en 2003. Cette première victoire new-yorkaise s’était déroulée, pourquoi le nier ?, dans l’indifférence la plus complète de ce côté-ci de l’Atlantique, un sort il est vrai réservé à la grande majorité des Européennes. Des apparitions dans des talk-shows comme le très réputé « Larry King Show » n’avaient contribué à donner à Henin qu’une gloire éphémère. Consciente de son déficit d’image aux Etats-Unis, la Rochefortoise râle parfois sous cape quand elle voit qu’elle n’apparaît pas sur les panneaux publicitaires de l’US Open aux côtés des sœurs Williams, Sharapova, Federer, Roddick et autres Nadal. En son for intérieur, elle sait toutefois qu’elle n’est pas taillée pour le show à l’américaine. Son image, c’est avant tout sur le court qu’elle doit la cultiver et à ce sujet, elle aura rempli sa mission de la plus éclatante des manières en remportant la plus belle, parce que la plus achevée sur le plan de la qualité du jeu et de la gestion des émotions, de ses sept victoires en Grand Chelem. En raison d’impératifs urgents qui l’obligèrent à quitter New York dimanche soir (elle comptait passer en Belgique pour voir sa sœur Sarah qui attend un heureux événement mais devait impérativement être à Monaco mardi), Henin a dû annuler les « talk-shows » du dimanche, et les « morning shows » du lundi matin où la WTA aurait souhaité qu’elle apparaisse. Il y a des priorités dans la vie auxquelles on ne peut se soustraire, même quand on s’appelle Justine Henin. Mais celle-ci peut être sûre d’une chose : elle a malgré tout frappé un grand coup ces deux dernières semaines. Ses victoires contre Serena et Venus Williams, beaucoup plus que la signature apposée au bas du contrat face à Kuznetsova en finale, lui ont conféré un statut que même les Américains ont été forcés de reconnaître… et d’apprécier. Henin est devenue désormais bien plus qu’une nº1 mondiale. Elle est une vraie patronne qui a su mettre à ses pieds les Williams ! Cette année, la championne a bénéficié beaucoup plus que par le passé d’un réel soutien du public à Flushing Meadows. Même lorsqu’elle se mesura à Venus lors d’une demi-finale qui restera comme l’un des plus grands matchs de sa carrière, elle put apprécier les très nombreux applaudissements. Un signe qui ne trompe pas. Enfin, un dernier point très important : Henin est apparue plus humaine durant tout son séjour. « Parce que j’ai l’air plus ouverte que par le passé, les gens sont davantage venus vers moi, dit-elle à ce sujet. C’est la première fois que j’ai la sensation de faire des choses pour moi-même. Je vis certainement l’année la plus intéressante de ma carrière. » Le sacre le plus achevé de la reine Des sept victoires en Grand Chelem de la Belge, celle de samedi apparaît comme la plus complète. Rien ne sera plus jamais comme avant. Ni pour le tennis féminin ni même, et surtout, pour Justine Henin. A la faveur de l’US Open, dernier tournoi du Grand Chelem de la saison, qui s’est achevé samedi soir en apothéose, la nº 1 mondiale a chassé les derniers démons qui venaient encore parfois se glisser sous sa porte. Elle l’a fait d’une manière éclatante, en prenant son courage à deux mains. En quart de finale contre Serena Williams tout d’abord, elle a définitivement vaincu la crainte que lui inspirait l’Américaine. Certes, elle avait pris récemment le meilleur sur elle, à Roland Garros et à Wimbledon. Mais c’eût été trop simple si ces deux victoires avaient suffi à Justine Henin pour se considérer comme supérieure. Il lui restait à surmonter le test ultime, cette vague géante que le surfeur chevronné attend pendant des années, pour savoir ce dont elle était réellement capable. Il lui fallait battre l’ancienne nº 1 mondiale, ici même sur le ciment de New York, dans son antre, pour se prouver une fois pour toutes à elle-même sa réelle valeur. Le test fut passé avec tous les honneurs mais on ignorait alors qu’il serait suivi d’une prestation plus énorme encore en demi-finales. Car la Rochefortoise le savait en débarquant à Flushing Meadows : Venus Williams, la sœur aînée qu’elle avait eu peur d’affronter en finale à Wimbledon, un sentiment qui causa sa perte contre Marion Bartoli, une Française dont la Belgique entière n’oubliera jamais plus le nom, était encore plus dangereuse. Avec un talent et un cœur énormes, Henin franchit ce nouveau cap avec la plus grande distinction. Ce test-là restera à n’en pas douter comme l’une de ses plus grandes victoires. Elle livra sans doute le plus grand match de sa carrière face à ce qui devait être vu comme une finale avant la lettre. Le court Arthur-Ashe vécut à cette occasion une rencontre pleine de bout en bout. Pendant deux heures, on eut droit à un spectacle d’une immense beauté entre deux combattantes qui se détestent publiquement mais se respectent intérieurement, toujours prêtes à repousser plus loin les limites de l’impossible. Jamais, depuis 2001, une joueuse n’avait réussi à battre Serena et Venus Williams dans un même tournoi du Grand Chelem mais l’événement avait été réalisé par une Suissesse prénommée Martina et il s’était produit à l’autre bout de la terre, à Melbourne. Pas à l’US Open, un tournoi que les Williams ont gagné à tour de rôle pendant quatre ans, de 1999 à 2002. C’est cet immense défi que balaya Henin à grands coups de revers et de coups droits. Mais parce que la victoire ne pouvait lui suffire, elle y ajouta la manière en ne concédant pas le moindre set aux Williams et en les battant sur leur propre terrain, à savoir celui de la puissance. C’est ce dernier élément qui étonna la galerie et dont elle fut le plus fière. « Battre Serena et Venus ici, c’est grand, dit-elle après coup. Peu de joueuses sont capables de le faire, parce qu’on a beau dire, mais l’atmosphère, ici, joue un grand rôle. » Il ne restait alors qu’un dernier cap à franchir, celui qui menait au trophée. A la lecture du résultat de la finale, certains trouveront sans doute que ce ne fut qu’une courte « walk in the park », comme disent les Américains, une balade sans souci. Ce ne fut pas le cas même si Henin apparut en contrôle de son tennis et de ses émotions pendant une grande partie du match. Malgré son titre remporté ici en 2004, la Russe Svetlana Kuznetsova, qui deviendra ce lundi nº 2 mondiale alors qu’elle n’a gagné qu’un titre cette saison (à New Haven, la semaine avant l’US Open), apparaissait comme l’oiseau parfait pour le chat, comme le démontraient les duels antérieurs entre les deux finalistes (14 victoires à 2 pour Justine Henin). Encore fallait-il pour cette dernière gérer la pression inhérente à une finale de Grand Chelem, d’autant qu’elle allait l’aborder dans la peau de l’immense favorite. A ce petit jeu-là, ce n’est pas nouveau, Henin est parmi les meilleures. Ses six victoires précédentes en Grand Chelem lui ont apporté une expérience inestimable des grands rendez-vous. Samedi soir, par une de ces nuits d’été tout simplement délicieuses, la native de Liège a mérité les applaudissements nourris d’un public américain qui l’a enfin reconnue. Grâce à un début de match parfait, elle prit d’emblée la Russe à la gorge, ne desserrant jamais l’étreinte, à l’exception peut-être d’une fin de match perturbée par un spectateur qui crut bon de donner de la voix entre deux services de la Belge. Les deux doubles fautes qui suivirent ce cri dans la nuit, puis encore une autre un peu plus loin qui permit à Kuznetsova de posséder une troisième balle de break pour revenir à 5 jeux à 4, furent finalement gommées par un sang-froid retrouvé comme par magie. « Justine mérite d’être nº 1 mondiale parce qu’elle possède d’incroyables qualités, dira la Russe, qui aura eu l’immense tort de ne pas profiter des rares occasions qui lui furent données. Elle travaille énormément et elle est très professionnelle . » Il était écrit que Justine Henin remporterait son deuxième sacre à New York quatre ans après sa victoire contre Kim Clijsters en 2003. Il faut encore parfois se pincer pour le croire mais ce petit bout de femme de 167 centimètres, qui ne pèse guère plus de 57 kilos toute mouillée et qui éprouve un besoin constant d’être rassurée parce qu’on lui a trop souvent répété par le passé qu’elle n’y arriverait jamais, vient déjà de remporter son septième titre du Grand Chelem. C’est assurément sa victoire la plus achevée. L’US Open gardera à jamais une signification particulière pour elle car c’est le premier titre majeur qu’elle remporte depuis janvier 2004 sur une autre surface que la terre battue de Roland Garros où plus personne ne discute sa suprématie. Trois ans et demi d’attente quand on s’appelle Justine Henin, c’est forcément très long. « Cette victoire sur dur, je l’attendais, dira-t-elle, le trophée placé à hauteur de ses yeux. Depuis l’Australie, j’avais atteint la finale à Wimbledon et ici même, mais ce fut à chaque fois une désillusion. Je voulais me prouver que je pouvais gagner une nouvelle fois à New York. » Voilà qui a été fait et bien fait. A la place des vieux démons, on se ferait du souci.

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