Faut-il parler du terrorisme en classe?

Le radicalisme est-il en train de devenir une (nouvelle) source de préoccupation pour les enseignants ? À quelques jours de la rentrée, fin août, la presse flamande faisait état de comportements problématiques détectés dans une école maternelle de Flandre-Orientale. Refus de donner la main, récitation de versets du Coran à la récréation, non-présentation de l’enfant pour raison religieuse… : tout avait été consigné dans un rapport interne. Le directeur a depuis nuancé l’information mais l’affaire a, semble-t-il, encouragé d’autres enseignants du secondaire et du primaire (du libre comme de l’officiel) à faire état de situations inquiétantes : refus par certains élèves d’écouter un enseignant de sexe féminin, non-respect d’une minute de silence en hommage aux victimes d’attentats, tensions avec les élèves issus de la communauté musulmane lorsqu’il s’agit d’aborder le conflit israélo-palestinien, etc. Faut-il s’inquiéter de ce que disent (ou se disent) ces enfants qui grandissent dans un climat plombé par le terrorisme islamique ? Ces gamins, surtout pour les plus jeunes, pour qui le militaire en rue, les contrôles de sécurité et les conversations autour du dernier attentat font partie du quotidien. [scald=7420171:sdl_editor_representation] L’accès à la nuance Fin novembre 2015, quelques semaines après les attentats de Paris et le très angoissant « lockdown » qui verrouilla Bruxelles pendant plusieurs jours, une classe de 3e primaire de l’école Saint-Antoine de Forest avait adressé au bourgmestre, à un éducateur de rue, au chef de zone et à la rédaction du Soir une série de questions pour tenter de comprendre ce qu’était le terrorisme. Nous sommes retournés voir le professeur qui avait accompagné ces élèves dans leur démarche pour savoir comment ces enfants avaient évolué. Et si, elle aussi, avait été confrontée à des comportements inquiétants, à des propos radicaux. « À l’époque, ce sont surtout les réponses du commissaire de police qui les avaient rassurés, confie Mounira Schmidt. Il leur avait simplement dit que personne n’avait le droit de vie ou de mort et que si on essayait de les amener à remettre en question cela, il fallait le dénoncer. Après ça, il n’y a plus eu de questionnement. » Ce qui n’a pas vraiment étonné l’institutrice. « Les enfants sont capables d’avoir une certaine finesse dans la compréhension des choses. Il ne faut pas avoir peur d’utiliser les mots justes. » Dans cette école, un incident est tout de même survenu l’an dernier. Il avait été demandé aux élèves de 5e année de décrire le voyage de leur rêve. L’un d’eux se voyait bien en Syrie alors qu’une jeune Syrienne venait justement d’intégrer sa classe. Pour l’amener à réfléchir sur ses propos, la direction a pris la décision de le confronter à la réalité en lui montrant des images de la ville dévastée dont était originaire sa nouvelle camarade de classe. Le jeune s’était excusé. « Les enfants disent des choses qu’ils ne comprennent pas toujours, embraye Housnia, éducatrice. Mais s’il n’y a pas de filtre, si les parents ne sont pas là pour leur expliquer la situation, s’ils n’ont pas accès à la nuance, qu’on ne leur permet pas de poser des questions ou de se positionner, on peut alors arriver à des situations de radicalisation. » Dans cette école où six élèves sur dix sont musulmans, les inquiétudes viennent davantage des parents que des enseignants. « Ces enfants font partie d’une génération qui va devoir vivre à la fois avec le terrorisme et les réseaux sociaux », amorce Pierre Laurens, le directeur de l’établissement. « Avant, les parents inquiets empêchaient leurs enfants de sortir, poursuit Housnia. Mais aujourd’hui la radicalisation se fait devant les écrans. Internet, les réseaux sociaux, les jeux vidéo… Les parents se sentent dépassés. » [scald=7420194:sdl_editor_representation] « Je ne suis pas naïve » À l’école primaire « La Rose des Vents », à Molenbeek, on évite par contre de lancer le débat sur le terrorisme à la moindre occasion. [scald=7420397:sdl_editor_representation] Du moins, on n’invite pas les enfants à prendre la parole sur ce sujet s’ils n’en manifestent pas le désir. Les parents non plus ne sont pas demandeurs. « Franchement, ils ont envie qu’on passe à autre chose, confie Mélanie Pfaff, la directrice. Ici, le terrorisme fait partie de la vie de tous les jours. C’est presque une habitude. Vous voyez ? Une espèce de routine. » Basée dans un quartier où les perquisitions et autres opérations antiterroristes ont rythmé le quotidien des riverains après les attentats de Paris, la petite école s’est, en prime, retrouvée au cœur de l’actualité. Le 18 mars 2016, l’établissement était évacué par les unités spéciales de la police fédérale qui s’apprêtaient à débusquer Salah Abdeslam dans une habitation toute proche de la rue des Quatre-Vents. Quatre jours plus tard survenaient les attentats de Bruxelles. « À ce moment-là, c’était très compliqué pour nous de mettre des mots sur ce qui était arrivé. Alors nous avons fait passer le message que le sujet pouvait être abordé au cours de citoyenneté. » L’émotion dans la petite école était évidemment très forte. Mais étrangement, et bien qu’affectés par ces deux événements consécutifs, les enfants n’ont pas vraiment questionné leurs enseignants. « On a senti une forte résilience. Comme si on avait intégré les événements. Les jours suivant, les enfants ont suivi leurs parents en qui ils avaient confiance et ils sont venus à l’école. » En classe comme à la récré, aucun discours inquiétant à signaler dans cette école molenbeekoise qui compte 90 % d’élèves musulmans ? « Bien sûr, si un enfant mange du jambon, ça va provoquer le questionnement des autres mais par rapport à d’autres cultures, d’autres traditions que la leur. C’est notre rôle de leur expliquer. » Pédagogie ou aveuglement ? « Je ne suis pas naïve. Je sais qu’il existe des situations plus extrêmes. Je dis juste que si c’est le cas, cet extrémisme ne s’exprime pas ici. Que moi, dans la vie de tous les jours, je ne constate pas de faits inquiétants. »

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