Faut-il élargir les conditions d’accès à l’euthanasie?

[scald=7485456:sdl_editor_representation] Jacqueline Herremans : « Envisager plutôt une loi d’assistance au suicide » Faut-il élargir la loi actuelle pour permettre à des personnes âgées « fatiguées » de vivre ou en proie à de la détresse psychologique d’y avoir recours ? On se trompe de sujet. Il ne s’agit pas de modifier la loi relative à l’euthanasie du 28 mai 2002 mais bien d’avoir une réflexion sur le suicide « rationnel », sur l’assistance au suicide. Des personnes âgées qui sont atteintes de polypathologie et qui en éprouvent des souffrances physiques ou psychiques peuvent répondre aux conditions de la loi relative à l’euthanasie, tout comme des personnes atteintes de troubles psychiatriques. Dans ce dernier cas, il faudra alors examiner si les traitements connus ont été proposés, si le tour des solutions possibles a été fait mais que les souffrances perdurent. Vous voulez dire par là que la loi telle qu’elle existe aujourd’hui est déjà large dans ses possibilités ? Oui. Trois conditions y sont centrales : une demande volontaire, réfléchie et réitérée, une affection médicale grave et incurable et des souffrances physiques ou psychiques inapaisables qui y sont liées. La question posée par le débat que vous soulevez est celle de personnes âgées qui estiment avoir accompli leur vie. Cette demande existe et je crois qu’il est important de pouvoir l’entendre et d’envisager des solutions à apporter, mais en dehors du cadre de la loi sur l’euthanasie, loi qui a fait ses preuves aujourd’hui. Cela étant dit, j’ajoute que les demandes exprimées sont des demandes individuelles et qu’il ne faut pas les remplacer par une norme sociétale. Ce débat ne doit pas nous faire perdre de vue l’importance pour une société d’être « personnes âgées friendly », en pensant l’urbanisme de la ville, mais aussi tout ce qui relève de l’écoute, de l’accompagnement, des soins adéquats. Mais même si tout cela était amélioré, il resterait toujours ces demandes de personnes qui ne souffrent pas nécessairement ou qui ne sont pas dans une situation médicale sans issue mais qui de façon très rationnelle envisagent la fin de leur vie, estimant qu’elles sont arrivées à la dernière page de leur histoire. Une réponse législative n’est donc pas nécessaire pour ces personnes ? Il pourrait y en avoir une. Ce pourrait être une loi encadrant l’assistance au suicide. Dans celle-ci, il faudrait sans doute prévoir l’intervention du médecin, notamment pour qu’il puisse se rendre compte des raisons qui poussent la personne à exprimer ce genre de demandes. Le suicide est souvent brutal – se pendre, se couper les veines, se jeter du haut d’un immeuble ou sous un train –, avec un impact sur les autres, sur les proches, sur le conducteur de train… Et ceux qui détiennent la connaissance pour offrir une mort sereine, à l’heure actuelle, sont toujours les médecins. Un des objectifs de la loi sur cette assistance au suicide devrait être de protéger les médecins qui prescriraient les médicaments. Mais le débat ne fait que commencer. [scald=7485457:sdl_editor_representation] Ariane Bazan : « La loi actuelle permet déjà hypocritement le suicide assisté » Faut-il élargir la loi sur l’euthanasie ? Je suis contre un élargissement de l’euthanasie à tout ce qui dépasse des problèmes somatiques avec une dégénération des tissus du corps. Je pense que si on appliquait aujourd’hui strictement la loi, un certain nombre de personnes qui ont des problèmes psychiques ne pourraient pas recourir à l’euthanasie. La loi évoque « une situation médicale désespérée ». Mais en ce qui concerne la souffrance psychique, il est impossible d’objectiver le fait que ce soit médicalement désespéré. Dans la situation actuelle, il y a une certaine hypocrisie. Si le critère majeur pour octroyer l’euthanasie est la demande du patient et sa souffrance, on ne devrait pas parler d’euthanasie. Mais de suicide assisté. C’est différent, ça n’implique pas un avis de la profession des cliniciens sur l’incurabilité de la condition mentale. Et cela réclamerait un débat sociétal. La souffrance ressentie par quelqu’un est tout de même un critère à prendre en compte, non ? Une personne peut juger de sa souffrance, de son caractère intolérable. Mais dire qu’elle est la mieux placée pour juger de l’incurabilité de sa souffrance, je ne suis pas d’accord. La définition de la dépression est presque celle-là : avoir l’impression que cela ne va pas aller mieux. On ne peut dire d’une situation qu’elle incurable. J’entends bien certains qui disent : « Dépressions sur dépressions, récidives sur récidives, dépressions psychotiques ». Mais même dans ces cas-là, rien ne prouve que ce soit incurable. On voit de drôles de choses parfois. Une nouvelle cuisinière qui arrive dans l’hôpital et une connivence se crée parfois… Est-ce que des personnes qui ne peuvent pas bénéficier de l’euthanasie ne se tournent pas vers le suicide ? Choix brutal, notamment dans les moyens que cela suppose. Euthanasier quelqu’un pour ne pas qu’il se suicide, cela pose selon moi un problème. En tant que clinicienne, je peux vous dire qu’il n’est pas si évident que cela que les personnes qui pensent au suicide sont aussi celles qui font une démarche pour demander l’euthanasie. Les ressorts psychodynamiques ne sont pas les mêmes. Les Etats où il y a le suicide assisté, par exemple l’Oregon, sont là pour démontrer que cela n’entraîne pas forcément une diminution du nombre de suicides. L’empirie ne renforce donc pas l’argument. Enfin, plus philosophiquement, j’ajouterais que quelle que soit la société, il y aura toujours des suicides. Il y a quelque chose d’humain de la condition humaine là-dedans, il faut faire avec cela. Pour avoir une espèce de société propre, le prix à payer est terrible. Et il n’est pas évident non plus que la famille soit moins traumatisée dans le cas d’une euthanasie pour raisons psychiques que dans le cas d’un suicide.

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