Il y a dix ans dans Le Soir: «Maria Callas, L’unique»

(article paru le 15 septembre 2007). Qu’est-ce qui pouvait destiner cette Maria Kalogeropoulos, la petite fille, un peu boulotte, d’émigrés grecs au Etats-Unis, à devenir l’icône absolue de la chanteuse d’opéra au XXe siècle ? A peine 25 ans d’une carrière fulgurante suffiront à établir une légende que le disque n’a cessé depuis lors d’entretenir. La clé de cette saisissante présence, c’est Tullio Serafin, un vieux chef italien avec lequel elle a travaillé pas moins de 17 rôles, qui la lui avait donnée : « Si vous voulez savoir comment jouer un rôle, il vous suffit d’écouter la musique . » Callas elle-même revendiquera l’aveu : « C’est sans doute mon secret . » Et pourtant les choses ne vont pas de soi aux Etats-Unis. Sa mère rentre avec elle à Athènes où elle est acceptée très jeune (à peine 14 ans) au Conservatoire : c’est là qu’elle aura la chance de rencontrer Elvira de Hidalgo, qui façonnera sa stupéfiante technique. Très vite, elle aborde ses premiers rôles, notamment la Santuzza du Cavaliera rusticana. Après un retour malheureux aux Etats-Unis, elle débarque en Italie où Giovanni Zanatello, l’intendant de Vérone, l’engage pour la Gioconda de Ponchielli. L’année suivante, elle chante Isolde à Venise. Serafin la remarque et lui ouvre les portes du chant italien. Elle a déjà triomphé à Turin, Venise et Florence quand la Scala l’accueille pour Aïda en 1950. Elle ouvrira cinq fois la saison du temple milanais de l’opéra : des Vêpres siciliennes de 1951 à Norma en 1957. Le rôle fétiche de Callas, qu’elle chantera 90 fois et avec lequel elle fera également ses débuts au Covent Garden de Londres, à Mexico, Chicago ou au Met de New York. Un rôle auquel elle rend sa dignité et sa vérité, inaugurant ce qu’on appellera la renaissance du bel canto italien. Bellini et Donizetti deviendront des compositeurs fétiches. Callas parviendra à y sublimer l’enjeu technique : elle investit l’art de la colorature de qualités dramatiques et expressives. Mais justement, quelles sont les composantes de cette voix qui fascine plus que toute autre ? L’explication de Rodolfo Celletti, immense spécialiste du bel canto, surprendra. La voix de Callas n’est pas belle en soi, dit-il : elle serait plutôt laide mais son timbre a quelque chose d’incisif qui rend sa voix pénétrante. De là cette capacité à creuser le son pour pénétrer un personnage jusqu’au plus profond de lui-même, voire de son inconscient. Parce qu’elle ne disposait pas du charme facile des voix de velours, Callas a su partir à la recherche de couleurs nouvelles. Elle a osé user de toutes les potentialités de son timbre pour découvrir des sonorités inédites et les mettre au service du texte. Callas développe un chant dans le masque qui lui donne une émission vocale immédiatement reconnaissable d’une telle intensité qu’elle provoque littéralement le frisson chez l’auditeur. Ces qualités qui lui ont donné les moyens de transcender le bel canto romantique, vont lui permettre de ressusciter les grandes héroïnes classiques, les Médée, Vestale et autres Iphigénie auquelles elle offrira leur authentique grandeur tragique. Mais, pour la Callas, l’opéra est aussi du théâtre. Très vite, elle se confiera aux plus grands metteurs en scène : Zeffirelli et surtout Luciano Visconti. La vérité dramatique n’est pas non plus possible sans la présence d’un grand chef. Giulini, Karajan et même Bernstein pour une torrentielle Médée vont donc croiser son chemin. Callas est aussi incomparable par l’incroyable diversité de ses rôles. Comment cette Rosina coquine du Barbier de Séville , cette juvénile Gilda de Rigoletto peut-elle être l’Elvira rayonnante des Puritani, la tigresse enflammée de Tosca ou l’amante trahie de Traviata ? Tout le miracle de Callas réside dans ce mélange du chant et de l’action, des mots et des notes. Comme le dira Tito Gobbi, qui fut son baryton attitré, elle était une flamme vivante. Une flamme dévorante, à la scène comme à la vie. Ses amours tumultueuses avec Onassis et la trahison de ce dernier pour Jackie Kennedy mineront ses dernières années. On l’a parfois dit capricieuse parce qu’elle était d’abord une grande professionnelle. A Rudolf Bing qui lui propose de chanter Tosca ou Traviata au Met entre deux représentations de Macbeth , elle répond : « Ma voix n’est pas un ascenseur ! » Il n’empêche qu’elle l’a magnifiée au profit des passions les plus extrêmes. La Callas se consumait dans ses rôles comme dans sa vie. Trente ans après sa mort, on commence enfin à voir un peu plus clair dans ce phénomène. Si Callas est unique, c’est par le caractère suprême de ses exigences. Et cette vérité, personne ne pourra nous la voler.

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