Il y a comme une pénurie de pilotes dans l’air

Depuis deux ans, le secteur aérien affiche un sourire contagieux. L’association mondiale des compagnies aériennes estime qu’on va doubler le nombre de voyageurs aériens à travers le monde, passant de 7 à 15 milliards d’ici 2035. Pour y arriver, Boeing et Airbus estiment qu’il faut construire entre 35.000 et 39.000 nouveaux avions. Et pour que ça fonctionne, il faut prévoir des membres d’équipage, dont une dizaine de pilotes, par appareil. Une récente étude faisait valoir que l’aviation commerciale allait devoir recruter 255.000 pilotes à travers le monde d’ici 2027. Plus de 600.000 d’ici 2037, dont plus de 100.000 pour l’Europe, selon Boeing. C’est qu’un avion doit voler un maximum pour être rentable et un pilote est légalement limité à 900 heures de vol par an, avec des variables énormes selon les compagnies : de 600 heures chez Air France à 850 chez Ryanair. Du coup, le pilote devient une denrée pas encore rare mais déjà prisée, ce qui a des répercussions en cascade sur l’ensemble du secteur. Par exemple sur les armées de l’air, grandes fournisseuses traditionnelles du secteur civil, qui éprouvent bien des difficultés à conserver leurs pilotes en activité et à attirer leurs successeurs dans des formations bien plus exigeantes que dans le civil. « Conditions attractives » « Pour le moment, c’est difficile de recruter des pilotes, surtout quand on voit certains salaires promis en Chine ou au Moyen-Orient » confirmait la semaine dernière Bjorn Kjos, le CEO de Norwegian, la compagnie low cost norvégienne, qui dispose d’un carnet de commandes de 228 appareils. Chez Ryanair (400 Boeing 737 actuellement en exploitation, 4.058 pilotes sur 13.000 membres du personnel), ce ne sont pas moins de 50 nouveaux avions qui débarquent chaque année, pour atteindre 585 appareils d’ici 2024 (et en remplacer certains autres). La compagnie low cost irlandaise recrute donc, en moyenne, dix pilotes chaque semaine. Dix ! Le week-end passé, certains avaient évoqué le manque de pilotes pour expliquer des annulations de vols au départ de l’aéroport de Charleroi. Ryanair a largement démenti, liant les origines du problème aux conditions météorologiques en Italie et leur implication sur le reste des vols à travers l’Europe, rappelant en sus qu’elle dispose chaque jour d’environ 200 pilotes en stand-by. Quant au recrutement, selon Eddie Wilson, le directeur du personnel de la compagnie irlandaise, il ne poserait pas de problème. « Nous proposons des conditions attractives, des possibilités d’avancement (un pilote peut espérer devenir commandant dans les cinq ans), un système de travail cinq jours on/trois jours off qui garantit des week-ends, etc. Alors, oui, c’est plus difficile parce qu’il y a une plus grande compétition entre compagnies pour attirer ces pilotes, mais ils voient bien que nous faisons partie de celles qui augmentent sans cesse leur capacité, on a un système de formation fabuleux avec des simulateurs de vols répartis à Bergame, Dublin, Stansted et East-Midland. Notre plus grande difficulté, c’est la nationalité des pilotes et les lieux d’affectation. C’est de convaincre quelqu’un d’être basé à Terceira aux Açores et d’y revenir tous les soirs. Mais dans le secteur, nous ne sommes pas les “bad guys”. » L’avenir, c’est l’Asie Cette difficulté de recruter se ressent, évidemment, de façon moins aiguë dans une compagnie comme Brussels Airlines, qui ne grandit « qu »’au rythme d’un long courrier par an. « Mais attention, poursuit Eddie Wilson, c’est un secteur cyclique. demain, si les 1.500 pilotes d’Air Berlin ou ceux d’Alitalia sont touchés par des faillites, ils vont se retrouver sur le marché d’un coup et ça changerait tout. » Enfin, il ne faut pas oublier que, si une certaine tension est constatée sur le recrutement des pilotes, les plus fortes demandes les prochaines années concerneront principalement l’Asie, pas la vieille Europe déjà hyper concurrentielle et plutôt soumise aux concentrations de compagnies. Reste un dernier paramètre à intégrer dans l’analyse de la pénurie potentielle, c’est l’émergence des drones commerciaux, des avions sans pilotes. Pour demain ? Plutôt après-demain, paraît-il.

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