Jean-Benoît Pilet, directeur du Cevipol: «Dans un système proportionnel, l’électeur ne peut pas choisir»

Comment analysez-vous cette proposition du CDH ? C’est une proposition que l’on a déjà vu émerger dans les années 90 lorsqu’il était question du passage au scrutin majoritaire. Le PRL et Ecolo avaient alors proposé une espèce de bonus. Soit l’électeur devait indiquer sa coalition préférée soit deux partis annonçaient qu’ils allaient ensemble et avaient un bonus si cette majorité pouvait être portée. Ce sont des mécanismes qui visaient, d’une part, à rendre plus transparente la formation des coalitions pour l’électeur et, d’autre part, à rendre le système proportionnel un peu moins proportionnel puisque de facto ce à quoi on peut assister avec ce genre de mécanismes c’est à une forme de bipolarisation avec des “pôles” qui s’instaurent. C’est pourquoi il n’est pas anodin que ce genre de propositions réapparaisse. Si l’on prend la situation actuelle, cela revient à dire : « Ok, vous êtes prêts à voter Ecolo ou PS mais êtes-vous prêts à soutenir un gouvernement avec le PTB ? Ou est-ce que vous préférez soutenir une coalition même si le MR et le CDH ne sont pas votre choix préféré ? » Après la sortie de Thierry Bodson, le patron de la FGTB wallonne, ce n’est pas anodin. C’est un élément. Autre élément : on peut constater que ce genre de mécanismes porte le risque de renforcer les blocages politiques. Si la coalition préférée de l’électeur, c’est MR-PTB, qu’est ce qui se passe, que fait-on du choix de l’électeur ? Donc, je ne suis pas certain que derrière quelque chose qui semble une bonne idée, il y ait véritablement une bonne idée. Pour ma part, je pense que si on veut aller vers des mécanismes qui laissent à l’électeur non seulement le choix du parti mais aussi celui de la coalition, il faut alors que ces coalitions soient installées à l’avance. Comme c’est le cas en Italie, comme c’est le cas en France pour les élections municipales. Est-ce imaginable cela chez nous ? Oui mais alors on va singulièrement vers là où le CDH n’a jamais voulu aller, c’est-à-dire une bipolarisation de la vie politique. On devrait alors forcer les partis à se constituer soit dans un bloc de droite soit dans un bloc de gauche. De façon circonstanciée, le CDH serait ravi d’être dans un bloc de centre-droite. Mais peut-être que dans dix ans, il pourrait préférer être dans un bloc de centre-gauche. Autrement dit, soit on choisit un système proportitionnel et on laisse les partis former les coalitions, soit on choisit un système à dominante majoritaire, en y introduisant éventuellement une dose de proportionnel, mais alors on va vers une forme de bipolarisation de la vie politique. On ne peut pas avoir clarté d’un système majoritaire et diversité de choix de la proportionnel. Avoir le meilleur des deux sans renoncer à certaines des vertus, ce n’est pas possible. Le système proportionnel ne prévoit pas que l’électeur intervienne dans le choix de la coalition. Ce manque de transparence au sujet des coalitions est-il responsable selon vous de la montée de la défiance envers notre système démocratique ? Je ne suis pas convaincu que le cœur du problème se situe là. Les pays qui ont des systèmes majoritaires ne produisent pas des taux de satisfaction à l’égard de la politique plus élevés. La confiance en la politique n’est pas plus élevée en France, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni qu’en Allemagne où le système est plus proportionnel. Il n’y a pas de corrélation. Ce qui semble déterminer la confiance, ce sont plutôt les scandales politiques, la corruption et l’écart perçu entre ce que veut la population et ce que font les responsables politiques.

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