La fin de l’indépendance des centres d’experts de la santé?

Chaque année, le KCE produit une vingtaine d’avis scientifiques sur des questions de soins de santé. Et sur ce point, toutes les parties sont d’accord : le travail effectué par le centre est d’une excellente qualité. Une qualité assurée, notamment par son indépendance vis-à-vis des autorités publiques et des différents groupes de pression. Pour Raf Mertens, le directeur général du centre, son incorporation au sein de Sciensano pourrait mettre en péril cette indépendance. Sciensano ? Le projet fait partie de l’accord de gouvernement. Dans sa première mouture, il devait regrouper l’Institut scientifique de Santé publique et le Cerva, Centre d’étude et de recherches vétérinaires et agrochimiques. Dans un second temps, il devra aussi accueillir le KCE et le Conseil supérieur de la santé (CSS). « Notre volonté est de réaliser des économies d’échelle en rassemblant les institutions de recherche sur la santé », explique Els Cleemput, porte-parole de la ministre de la Santé, Maggie De Block (openVLD). A l’origine, c’est un rapport de la Cour des comptes paru en 2010 qui préconisait entre autres, une stratégie davantage intégrée pour la gestion du système de recherche sur la santé (HRS) et une meilleure coordination entre institutions d’expertise. « Trop souvent, on constatait que différents centres travaillaient en même temps sur les mêmes études. Il est évident pour nous qu’il s’agit là d’un gaspillage de temps, de ressources et d’intelligence. » Le gouvernement a par ailleurs choisi d’intégrer à la fois les approches animale et humaine de la santé « sur base des recommandations de l’OMS ». Raf Mertens, le directeur général du KCE y voit lui un mélange des genres inquiétant. « Les intérêts du secteur agroalimentaire ne sont pas toujours en adéquation avec les intérêts de santé publique. » Le problème ? Pour le directeur du centre, le KCE risque de perdre son indépendance dans la fusion. « Les questions de politiques de santé sur lesquelles le centre rend ses avis, sont des questions éminemment délicates. Il existe donc toute une série de pressions émanant de toutes les parties. Et pour nous protéger de ces influences, nous nous appuyons sur notre comité d’administration. Celui-ci est constitué de toutes les parties prenantes du secteur, en ce compris, depuis deux ans, les associations de patients. Cela empêche donc l’un ou l’autre groupe de prendre l’ascendant. Or, au sein de Sciensano, le conseil d’administration se composera uniquement d’autorités publiques. Et nos avis ne vont pas toujours dans le sens des politiques de santé adoptées par les pouvoirs politiques. Il y a là un clair conflit d’intérêts : comment émettre des avis critiques sur le fonctionnement de l’un ou l’autre SPF si c’est à lui que l’on doit rendre des comptes. » « Par ailleurs, s’il est vrai que les missions du KCE et du Conseil supérieur de la santé se rejoignent sur certains points, nos méthodes de travail varient fortement. Elles sont en réalité complémentaires et nous avons toujours été favorables à un rapprochement entre ces deux instances d’avis. Mais de là à nous faire disparaître dans une grande institution qui est surtout axée sur des activités de laboratoire y compris dans les domaines vétérinaires et d’agriculture… Difficile d’y voir l’avantage pour le type d’avis sur les soins de santé que nous produisons, bien au contraire. » La réponse du cabinet ? Au cabinet de la ministre De Block, on assure comprendre les inquiétudes mais on les affirme infondées : « Effectivement, le futur conseil d’administration sera uniquement composé de pouvoirs publics. Mais un CA ne prend pas que des décisions scientifiques. Il y a aussi des décisions prises sur la gestion du centre. Et il nous semble anormal que des acteurs de la santé comme les mutualités prennent des décisions, mettons, sur les ressources humaines. Une commission composée de toutes les parties sera en revanche mise en place et ce sera elle qui prendra les décisions quant aux études scientifiques à mener. Nous avons tout intérêt à conserver l’indépendance de ces centres. Si nous voulions des avis qui allaient systématiquement dans notre sens, nous les rédigerions nous-mêmes. Nous continuons d’avoir besoin d’un avis indépendant et fiable pour prendre des décisions en connaissance de cause. »

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