Une délégation soudanaise en Belgique pour identifier des migrants, est-ce légal?

La venue de’une délégation soudanaise est-elle une procédure inédite et/ou illégale ? Dans sa défense, le secrétaire d’Etat reprend le refrain désormais connu : nous ne voulons pas d’une jungle de Calais à Bruxelles, ces personnes ne souhaitent pas demander l’asile en Belgique, nous allons donc les renvoyer chez elles, « de façon volontaire si possible, forcée si nécessaire », précise le cabinet. Si les Soudanais ne constituaient pas un groupe important jusqu’il y a peu, les choses ont changé. Ils seraient désormais 152 en centres fermés, précise l’Office des Etrangers. Or, « pour organiser le retour forcé de ce groupe, il est nécessaire que ces personnes puissent être effectivement identifiées comme soudanaises, poursuit la porte-parole de Theo Francken. Suite à une réunion avec l’Ambassadeur du Soudan, il a été décidé de déployer une mission d’identification soudanaise. » Le cabinet précise en outre que les membres de la délégation ont été « screenés » et « ne sont pas connus de nos services de sécurité ». Les noms des membres de cette délégation ne sont cependant pas connus. L’Office des Etrangers conteste qu’il s’agirait de membres des services de renseignement soudanais. Quant à la Sûreté de l’Etat, elle se borne à une réponse sibylline : « La Sûreté de l’Etat échange des informations avec des services de renseignement étrangers, dans le contexte migratoire, lorsque ceci répond à une exigence en lien avec ses missions légales (par exemple un risque pour la sécurité) ». Pour procéder à l’identification de personnes migrantes susceptibles d’être renvoyées, l’Office des Etrangers traite généralement avec les ambassades en Belgique. Mais l’Office affirme que d’autres délégations ont déjà été invitées pour des procédures similaires : Vietnam, Chine ou Sénégal, par exemple. Cette procédure n’avait par contre jamais été organisée avec le Soudan. Aucun cadre Reste que de façon générale, l’Union européenne a noué ces dernières années des liens de plus en plus étroits avec le Soudan. Jusqu’à présent, l’UE lui a ainsi accordé un peu moins de 215 millions d’euros pour freiner les migrations, dont une dernière tranche de 38 millions à la mi-décembre. Avant la Belgique, une délégation soudanaise avait déjà conclu un accord avec la police allemande, un autre avec l’Italie qui a, depuis, pris la décision de rapatrier un groupe de ressortissants soudanais qui tentaient de passer de la France à l’Italie. Quant à savoir si cette procédure est légale… Il n’existe en réalité aucun cadre en la matière, comme l’explique Tristan Wibault, avocat au Barreau de Bruxelles et membre de la Ligue des Droits de l’Homme : « Le problème, c’est que les procédures d’identification sont opaques. Rien dans la législation belge ne garantit une quelconque transparence. » On peut uniquement relever le principe de « l’identification préalable de l’étranger avant éloignement », poursuit l’avocat. Cela signifie qu’on ne peut renvoyer une personne dans son pays sans obtenir la garantie qu’il va y être réadmis. D’où la nécessité d’obtenir des accords avec les pays d’origine… Mais la teneur de ces accords ainsi que les pratiques d’identification ne font l’objet d’aucune législation en Belgique, ni au niveau européen : pas de procédures, pas de garde-fous. En réalité, tout cela relève de la diplomatie… « Un dictateur » Dans une interview à La Libre, réapparue sur Twitter hier, Theo Francken affirmait il y a encore quelques mois que des négociations avec le Soudan étaient « impossibles » puisqu’il devrait alors « négocier avec un dictateur ». Le discours a changé. Mais peut-on réellement renvoyer des gens dans un pays comme le Soudan ? Le cabinet Francken comme l’Office des Etrangers rappellent que les Soudanais peuvent demander l’asile en Belgique. Le taux de reconnaissance des demandeurs soudanais (55,6 %) dépasse d’ailleurs le taux de protection global en Belgique (49,6 %). Ensuite, de nombreux Soudanais devraient être renvoyés dans le premier pays européen dans lequel ils ont été enregistrés via l’application du règlement Dublin III. Ce qui fait dire à Geert De Vulder, porte-parole de l’Office, que les migrants effectivement renvoyés au Soudan ne seraient « pas plus d’une dizaine ». Quid d’une personne que la délégation soudanaise identifierait comme un opposant au régime ? Serait-il bel et bien renvoyé au Soudan avec la bénédiction de l’Etat belge ? « S’il ne demande pas l’asile en Belgique, oui », assure toujours Geert De Vulder. Une réponse que conteste Tristan Wibault : « Si lors de ces identifications, des éléments objectifs démontrent qu’il existe des profils à risque – comme des membres de minorités ethniques –, nous ne sommes pas dispensés de les protéger. Le principe général de non-refoulement est garanti par la Convention européenne des droits de l’homme et la convention internationale contre la torture peut aussi être invoquée. » La délégation soudanaise visite actuellement les différents centres fermés afin d’identifier leurs ressortissants supposés.

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