Jours radieux Vue plongeante sur le racisme ordinaire

On pourrait résumer à grands traits et écrire que Jours radieux de Jean-Marie Piemme est le pendant théâtral du film Chez nous de Lucas Belvaux, dans un style plus caricatural et avec un je-ne-sais-quoi de Dario Fo dans le cynisme farcesque. Il y a d’ailleurs fort à parier que la pièce ira bientôt rejoindre le film sur la liste noire des partisans du Front national. Tout commence pourtant sous les auspices les plus apaisants. Dans un intérieur douillet ronronne le doux bruit de l’aspirateur tandis que Monsieur lit Le Figaro sur son canapé gris anthracite. « Il était une fois une famille tranquille », susurre sa fille. Pas de poussière, pas d’incertitude, pas d’agitation, rien ne vient troubler le quotidien du Blond, de la Blonde et de la Blondinette, dans cette maisonnée bien sous tous rapports. [scald=7813285:sdl_editor_representation] Sauf que… au moindre bruit, au moindre passage dans la rue, les parents sursautent. Untel a une tête de prédateur sexuel. Tel autre, avec son comportement suspect, rappelle à la Blonde qu’il faudrait réparer la barrière du jardin cet été. Quand le Blond se souvient qu’il a garé la voiture derrière l’entrepôt, tout le monde se met à imaginer la griffe sur la portière, un pneu crevé, voire le vol, puisque tout ça ne manquera pas de finir en voiture bélier dans la vitrine d’une bijouterie. C’est qu’on n’est à l’abri de rien avec cette « racaille » ! On écrit des lettres au commissaire de police pour dénoncer des va-et-vient douteux dans le quartier. On s’offusque d’aller au restaurant « entre gens honorables » et de ne pas pouvoir commander de porc. Ni boudin, ni pommes de terre au lard, ni jambon à l’os au menu : c’est un scandale ! Les Irlandais aussi mangent du mouton ? Et bien, c’est que « l’Irlandais est un arabe blond », rétorque le père de famille. Préparez-vous ! Il y avait déjà « le bruit et l’odeur », voici la vue plongeante sur le racisme ordinaire. On le comprend très vite, Jean-Marie Piemme y est allé à la louche pour planter sa blonde famille obsédée par sa peur de l’étranger, furieuse de payer des impôts qui ne servent qu’à entretenir « les parasites en tout genre », fatiguée de voir les migrants venir coller toute cette misère sous leur nez. Pourtant, sous l’énormité du trait pointe un air entêtant de déjà-vu, déjà entendu. Certes, les dialogues sont outrés, parodiques, mais ils n’en portent pas moins une résonance troublante avec ce qui bruit désormais en fond sonore dans notre société. Cette idée que le monde coule, qu’il faut essayer autre chose, qu’il faudrait un « chef », une voix qui écoute, protège. Quand notre famille de blonds se laisse tenter par une figure charismatique qui réclame la fermeture des frontières ou dénonce le « Système », difficile de ne pas y voir un relent des dernières élections présidentielles en France. Sans compter que la Blondinette (décapante Elisabeth Karlik), avec ses longs cheveux, rappelle furieusement Marion Maréchal-Le Pen, tandis que sa mère (explosive Joëlle Franco) dégobille (au sens propre) tout ce que lui inspire le « virus progressiste ». Dans le rôle du père, Stéphane Vincent est à la fois irrésistible et résistible (comme le personnage de Bertolt Brecht). Mise en scène par Fabrice Schillaci, la pièce désamorce son fond nauséabond avec un sens affûté du grotesque, et avec un humour de plus en plus décalé, voire surréaliste. À mi-chemin, la comédie bifurque vers le conte, emmenée par une Blanche-Neige Démocratie qui se débat avec sept nains chômeurs, une marâtre capitaliste et une sorcière facho. Dans cette forêt (dés)enchantée, notre famille blonde découvre le château de ses rêves, où l’on se gave de porc et de bière en compagnie de « gens de souche » et où tout le monde marche joyeusement au pas. Ne comptez pas sur nous pour vous dévoiler la fin. Disons juste que, dans le conte d’origine, la sorcière se prend une méchante falaise.

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