Behind the garden Un jardin d’Eden où chacun voit ce qu’il croit

Un chant d’une beauté irréelle s’élève dans la grande salle du Museum du Botanique. Une voix féminine rappelant irrésistiblement l’univers du chant baroque. Pour autant que l’on soit familier de ce genre de musique. D’autres, plus à l’aise avec le rock et le rap, évoqueront simplement de la musique « classique ». D’autres encore, de culture asiatique ou arabe parleront sans doute de « musique occidentale ». Beaucoup penseront en tout cas à un chant influencé par les croyances chrétiennes. Bien malin celui y qui reconnaîtra des versets du Coran, chantés phonétiquement par un interprète occidental ne parlant pas l’arabe sur des airs du répertoire baroque occidental. Tel est le monde de Mehdi-Georges Lahlou, ce paradis, ce jardin d’Eden (en arabe, le même mot, « Jannah » sert pour désigner le paradis et le jardin) dans lequel il nous convie en nous invitant à oublier tout ce que nous croyons savoir pour mieux apprendre à voir. Et à entendre. Le parcours sur les deux niveaux du Museum est d’abord un choc esthétique. L’artiste n’a pas son pareil pour faire naître un monde merveilleux où le regard est constamment surpris, charmé, séduit. Son association avec le commissaire d’exposition Simon Njami a permis d’aller plus loin encore en jouant des associations entre les différentes œuvres, en offrant au regard qui embrasse la totalité de la salle la vision d’un monde à la fois mystérieux et fascinant. S’il n’y avait que cela, ce serait déjà beaucoup. Mais il y a bien plus. [scald=7830120:sdl_editor_representation] « 72 vierges » ou l’autoportrait de l’artiste partant toujours de ce qu’il est pour explorer le monde et susciter les interrogations. En s’approchant des œuvres, on découvre de quelles matières elles sont faites. Et de nouvelles surprises nous attendent. Cette grande fresque semblant sortir tout droit d’une construction arabo-andalouse pourrait provenir d’un quelconque musée d’archéologie. Ses parties abîmées évoquent ces pièces anciennes découvertes sur des sites lointains et transportées dans des musées occidentaux. Il s’agit pourtant bien d’une œuvre totalement contemporaine, réalisée par Mehdi-Georges Lahlou avec… de la semoule de blé. L’information vient tout à coup transformer notre regard. Il ne s’agit plus d’une œuvre ancienne et précieuse mais d’une sorte de copie facétieuse d’un artiste actuel. Connaître ou ne pas connaître cette information transforme donc l’œuvre également. Chaque chose que nous voyons prend un sens, un poids, une valeur, en fonction de notre culture, de notre passé, de nos souvenirs, de nos croyances… Chacun voit ce qu’il croit. Et Mehdi-Georges Lahlou nous invite à passer au-delà de toute croyance pour rendre à chaque objet son identité la plus originelle. Un livre sacré n’est-il pas avant tout un simple assemblage de pages comme n’importe quel autre bouquin. Et si quelqu’un l’a décrété sacré, rien ne nous oblige à le considérer comme tel. « Les choses ne sont pas ce qu’on voudrait qu’elles soient », sourit Simon Njami. Mehdi-Georges Lahlou joue ainsi avec les présupposés. Dans cette succession de portraits féminins où les visages sont remplacés par des têtes d’oiseau, le chrétien reconnaîtra sans doute des images de la Vierge Marie. Quel rapport entre celle-ci et les 72 vierges dont les bustes blancs sont posés à même le sol. Si elles rappellent évidemment les fameuses 72 vierges promises aux martyrs musulmans à leur arrivée au Paradis, elles s’avèrent plutôt étranges pour qui y regarde d’un peu plus près. Toutes ont le même visage. Et ce visage n’est autre que celui de l’artiste. Quant au hidjab dont elles sont coiffées, il pourrait aussi bien s’agir d’un simple fichu ou de cette coiffe que les pharaons portaient sous leurs parures. Mehdi-Georges Lahlou multiplie ainsi les références, les allusions en les détournant avec un humour qui n’enlève rien au sérieux du propos. Dans un monde de catégorisation et d’enfermement, il invite à ouvrir grands les yeux et à rendre à chaque chose sa vraie valeur. Loin de toute assignation définitive et de toute croyance. Jusqu’au 5 novembre au Botanique (Saint-Josse-ten-Noode).

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