De moins en moins de dossiers en correctionnelle

Les chiffres pour 2016, et les perspectives pour 2017, annonceraient une baisse globale bien plus importante encore, puisqu’on parle d’un input réduit d’une trentaine de pour cent en l’espace de quelques années. Le collège des procureurs généraux du pays a tout récemment abordé le sujet, avec plusieurs pistes de réponses. Il a demandé à son service statistique de formaliser celles-ci, de fournir des éléments d’explication même si cette baisse est, vraisemblablement, « le résultat d’un ensemble de circonstances » et non uniquement due aux moyens mobilisés pour la lutte contre le terrorisme. Ainsi, pour Liège-Huy-Verviers par exemple, l’input escompté pour 2017 est de 30 à 32.000 dossiers, ce qui représente une baisse d’environ 30 % sur les deux dernières années. Il y a cinq, six ans, à Liège, on a déjà avoisiné les 50.000 dossiers. Le parquet de Mons-Tournai n’a enregistré, durant le même laps de temps, qu’une baisse de 6,5 pour cent tandis que celui de Bruxelles annonce un chiffre de 81.878 dossiers en 2016 contre 91.338 l’année avant ; pour 2017, il est à ce jour de 61.096. Le 7 janvier 2015, l’attaque de Charlie Hebdo annonçait une vague d’attentats terroristes qui a profondément bouleversé la manière dont les pays européens gèrent leur sécurité. A moyens d’enquête identiques, les parquets ont dû centrer leurs forces sur le terrorisme, et plus encore après les attentats de Bruxelles ; petite section il y a vingt ans, celle dédiée à cette matière compte aujourd’hui, pour Liège-Huy-Verviers par exemple, une quarantaine d’enquêteurs sur 300. Par ailleurs, il y a « plus de bleu dans les rues », la présence de militaires, une surveillance étroite des événements. « Cette politique d’occupation du terrain a une série d’effets positifs , estime le procureur général de Liège, Christian De Valkeneer. D’abord cela a un effet dissuasif face à certains types d’infractions, ce qui peut expliquer en partie la chute d’inputs qui a été constatée. Ensuite, cela renforce le sentiment de sécurité, ce qui est primordial : si on avait sombré dans la panique, le terrorisme aurait gagné . » 30 % de baisse en deux ans pour Liège-Huy-Verviers Mais elle a également, admet le PG, ses effets négatifs : « Forcément, il y a moins de disponibilités du côté des services de police pour constater certaines infractions… C’est un deuxième élément d’explication qui permet de comprendre la baisse de dossiers entrants. » « Je ne veux pas ici critiquer le choix des priorités, mais pendant que les policiers passent du temps à assurer la sécurité publique face à la menace terroriste, il est clair qu’ils ne sont pas occupés à faire de la recherche d’infractions et à rédiger des PV » , complète Christian Henry, procureur du Roi de Mons-Tournai. « La baisse est générale, et ce n’est pas parce que la délinquance a diminué ou parce que tout cela est mieux géré, ajoute Luc Hennart, président du tribunal de première instance de Bruxelles. Mais ces chiffres sont à prendre avec énormément de précaution ! Les raisons sont multiples. » « Il faut relever que la plus grosse partie des dossiers entrants le sont sur plainte, et que nous n’avons donc pas de maîtrise là-dessus , relève Philippe Dulieu, procureur du Roi de Liège-Huy-Verviers. Je suis convaincu que la présence renforcée de policiers et militaires a un effet dissuasif important, qu’il a une incidence sur les vols dans les habitations, les petits deals, les arrachages de sacs… Je ne peux que m’en réjouir car la restriction des cadres est tellement importante qu’avec le flux d’antan, nous n’aurions pas pu faire face, le parquet serait en faillite virtuelle. Sur les 69 magistrats que je devrais avoir à Liège, il m’en manque 14… Et je ne dispose que de 79 % de mon cadre administratif ! » Les parquets ont dû centrer leurs forces sur le terrorisme Rappelons aussi, insiste Philippe Dulieu, qu’une série de dossiers (les vols à l’étalage portant sur moins de 250 euros, par exemple) sont passés en « sanctions administratives » et ne figurent désormais plus dans l’input. Dans les zones de police, on est plus sceptique face à cette baisse : « La police fédérale est particulièrement sollicitée dans les dossiers terrorisme , confie un des responsables d’une zone de la Province de Liège. Alors on demande aux zones de police locales d’aller remplacer des gardiens de prison en grève, de dépêcher des hommes pour sécuriser des matchs de foot à risques… Comment voulez-vous constater des infractions quand vous jouez les gardiens de prison ? » Un policier « de terrain » évoque quant à lui une certaine lassitude : « On file un dealer pendant plusieurs jours, on parvient à le coincer sur le fait, puis on le retrouve le lendemain à la même place parce qu’il n’y a pas eu de mandat délivré... » , confie-t-il, dépité. « Le type fait la balance risque/bénéfices , ajoute un collègue. Que risque-t-il ? Un passage devant le juge d’instruction, une matinée gâchée, quoi. Et au pire, six ou huit mois de prison… Alors il revient, c’est décourageant. » Sans parler de la lourdeur de certaines procédures : avec l’adaptation de la loi Salduz, depuis novembre dernier, toutes les personnes entendues comme suspectes peuvent être assistées d'un avocat, et ce à chaque audition. « L’avocat dispose de deux heures pour arriver , explique une avocate de Charleroi. Quand on leur téléphone pour une assistance Salduz, certains confrères acceptent tout ce qui arrive, même s’ils sont trop justes au niveau timing. Les policiers patientent pendant 1 h 50, puis l’avocat leur téléphone pour annoncer que finalement ça n’ira pas… C’est clair que Salduz bis est une bonne chose. Mais quand une audition demande deux heures avant de démarrer, ce n’est pas étonnant qu’il y ait moins de dossiers ! » Aujourd’hui, certaines audiences correctionnelles sont de plus en plus allégées. « Le risque » , avance l’avocat pénaliste liégeois Pascal Rodeyns, c’est que les bandes organisées, à l’échelon international, sentent très vite les tendances. « S’il y a de la relâche dans une matière, au profit du terrorisme, il y a vite un appel d’air. Certains types de criminalité peuvent revenir, se développer. On ne va pas s’en rendre compte de suite, c’est pernicieux. Mais on pourrait avoir de mauvaises surprises dans trois, quatre ans. »

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