Franz Beckenbauer prend l’Allemagne à contre-pied

Autour de la Fifa, la tourmente est telle que, désormais, elle n’épargne plus rien ni personne. D’explications bancales en affaires obscures, même la grande Allemagne et l’impérial Franz Beckenbauer vacillent et glissent sur le terrain de la tricherie. Avide de rédemption, l’Allemagne a grandi avec Franz Beckenbauer, né quelques semaines avant le procès de Nuremberg, à Munich au milieu des ruines, laissées par la Seconde Guerre mondiale. Le lien est d’autant plus étroit entre eux. Empereur (Kaiser), figure emblématique et champion du monde : en Allemagne, Franz Beckenbauer a toujours été considéré comme l’homme superlatif. Mais, quelques semaines après ses 70 ans, la vie a décidé de lui ôter cette invulnérabilité qu’il a transférée des terrains de jeu aux aires d’influence. Au mois d’août dernier, il a perdu son fils aîné, Stefan (46 ans), atteint d’une tumeur au cerveau. Six semaines plus tard, le Spiegel le place au cœur d’un scandale sans précédent dans son pays. Lui, le « Kaiser », à la carrière immaculée et lumineuse, à la reconversion sans le plus petit hiatus ni la moindre tache, qui renvoyait tel un miroir cette image d’une nation propre, lisse, l’entraîne à présent dans des eaux bien turpides. Au plan affectif, ces rumeurs de malversation prennent ainsi une envergure encore plus embarrassante pour tout un pays, dont pourtant l’irréprochable réputation s’étouffe encore des fumées dégagées par la fraude antipollution de VW. Parce que, justement, c’est Franz Beckenbauer. Parce que, aussi, cette Coupe du monde 2006 avait recueilli une adhésion totale de tout un peuple. De tous les peuples de l’Allemagne réunie et multiculturelle. Cette campagne, malgré une élimination en demi-finale, avait été rebaptisée la Marche de l’Eté. Alors, cette ombre se prolonge au plus profond d’eux-mêmes. Et pour la première fois, la défense du mythique joueur n’a convaincu personne. « Une petite erreur », a-t-il concédé avant de se murer dans un silence inusité pour un joueur, un homme, qui s’est bâti sur sa force de commandement et mal venu dans un contexte aussi vicié que celui de la Fifa depuis le mois de mai dernier et la descente du FBI à l’hôtel Baur à Zurich. Pour la précision, Der Spiegel avait révélé le 16 octobre que la Fédération allemande de football (DFB) avait eu recours à une caisse noire pour « acheter » des voix et s’assurer avec celles-ci l’organisation de la Coupe du monde 2006. Détail qui n’est pas anodin, alors que Blatter déballe ses vérités à tout-va : à l’époque, c’est l’Afrique du Sud, que le Haut-Valaisan poussait tant et plus, qui avait été « victime » de cette prétendue corruption. Le quotidien allemand avait ajouté que la somme incriminée, 6,7 millions d’euros, avait été anticipée par feu Robert Louis-Dreyfus, directeur alors de l’équipementier allemand Adidas, un des quatre partenaires majeurs de la Fifa, montant qui avait été ensuite remboursé à l’ancien patron de l’OM et du Standard. Franz Beckenbauer, à la tête du comité organisateur, a admis que la DFB (la fédération allemande de football) avait bien versé ces 6,7 millions d’euros à la Fifa en 2005, mais « à titre d’avance », sur proposition de la commission des finances de cette même FifaA, pour débloquer la subvention promise de 170 millions d’euros « Cette transaction a été une erreur de ma part. Avec le recul, en tant que responsable, j’aurais dû la refuser, a reconnu le Kaiser, mais en aucun cas cet argent n’a servi à forcer le vote. » « Ce n’est tout simplement pas vrai, je n’ai reçu d’argent ni de la part de Beckenbauer, ni de celle du DFB », a, pour sa part, rectifié Joseph Blatter avant que le président actuel de la DFB, et vice-directeur du comité d’organisation à l’époque, Wolfgang Niersbach, le contredise : « Beckenbauer a bien remis les 6,7 millions d’euros à Blatter au cours d’un entretien entre quatre yeux. » En revanche, le représentant majeur de la fédération allemande n’est pas parvenu à expliquer à quoi cet argent avait servi, surtout que la Fifa a démenti avoir exigé une avance pour débloquer une subvention… Son prédécesseur à la DFB, Theo Zwanziger, lui le sait : « A soudoyer 4 votants », plaçant par là même, si Zwanziger dit vrai, Beckenbauer face à son mensonge. Cette affaire en cours en ramène sous les projecteurs de l’actualité une autre, tue sans doute sous les célébrations de la victoire de la Mannschaft à la dernière Coupe du monde. En juin 2014, Franz Beckenbauer, membre du comité exécutif de la Fifa (2007-2011) avait déjà été suspendu 90 jours par la commission d’éthique pour avoir refusé de coopérer avec l’Américain Michael J. Garcia, auteur d’un rapport d’enquête sur le vote d’attribution des Mondiaux 2018 (Russie) et 2022 (Qatar). Même si sa sanction avait été levée 14 jours plus tard, après qu’il a accepté de remplir le formulaire que Garcia lui avait soumis, la chambre de jugement doit encore se prononcer sur le dossier Beckenbauer. Le simple fait que celle-ci a été saisie suggère que la sanction le guette. Il faut savoir en effet que 10 des 24 membres du comité exécutif responsable de la désignation de la Russie et du Qatar, ont été suspendus ou carrément radiés par la Fifa ! On le voit le cercle se resserre autour de Beckenbauer, et la forme n’a rien de vertueux. Vendredi encore, on a appris que les justices helvète et américaine – cette dernière enquête précisément sur les attributions des Coupes du monde en Russie et au Qatar – ont envoyé une requête au Crédit suisse pour pouvoir examiner « ses relations bancaires avec certains individus et entités associés à la Fifa », tandis que le ministre des Sports russe a tenu à rappeler que son pays « avait obtenu la coupe du monde à la sueur de son front, sans arrangements. » L’icône Beckenbauer risque donc, à tout moment, de tomber de son piédestal à cause d’un faux pas commis au crépuscule de sa vie. Un comble pour l’impeccable et infaillible défenseur qu’il fut : Beckenbauer n’a jamais raté une passe, jamais perdu un duel, jamais il n’a été pris en défaut de placement. On aurait cru le rôle de libero taillé sur mesure pour ses qualités. Plus intellectuelles que physiques encore. La posture droite et la tête haute balle au pied, on comprend d’autant plus mal qu’il marmonne juste quelques mots à présent pour se redresser de cette position indélicate. Comme s’il ne s’attendait pas à ce que le destin l’abandonne. Parce que Beckenbauer n’aurait jamais dû jouer au Bayern Munich. Il était promis au Munich 1860, le club phare de la ville bavaroise jusqu’au milieu des années 60. Mais un match amical contre sa future équipe avait tourné à l’empoignade de foire, notamment à cause de lui. Du coup, Franz Anton Beckenbauer Jr, 14 ans à peine, mais déjà un caractère bien trempé, avait signé au Bayern (alors D2), juste pour vexer les dirigeants de Munich 1860 et devenir l’intouchable qu’il est devenu. En 1998, un réalisateur lui avait proposé de tourner un film sur sa vie. Franz Beckenbauer avait décliné. « L’idée en soi n’est pas pour me déplaire, mais voilà, je veux vivre et exister dans le présent. Je veux qu’on m’écoute pour ce que je suis, pas pour ce que j’étais. J’ai peut-être donné le meilleur de moi-même en tant qu’être humain après avoir raccroché… »

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