Overdose de réseaux sociaux à la #FashionWeek parisienne

Depuis Paris En janvier dernier, dans la collection couture de Maison Margiela pour l’été 2017, les utilisateurs de Snapchat avaient retrouvé en transparence sur un manteau blanc gaufré le filtre « vomi arc-en-ciel », le tout premier, celui qui lança véritablement l’application sociale. Et d’autres références encore, ce modèle portant des oreilles de chien ou ce visage maquillé comme le filtre qui change votre selfie en tableau de Lichtenstein. C’est que John Galliano, à la tête de la griffe depuis 2014 – quand Martin Margiela a quitté les lieux en 2009, la maison a tourné cinq ans sans directeur artistique –, est faaaaaaan des réseaux sociaux. Dans une interview donnée au site londonien Business of Fashion il y a quelques mois, le créateur britannique déclarait combien il aimait travailler avec « une équipe plus intime » qu’à l’époque où il était chez Dior et « des jeunes, les Instagram babes » dont certains sont devenus ses muses. « Je suis beaucoup plus en contact avec le monde réel aujourd’hui », explique-t-il, citant son amour pour Snapchat et pour les « glitches », ces fluctuations dans les circuits électroniques, petits ratés, moments flous qu’il compare à « de joyeux accidents dans le processus de conception. L’imperfection ouvre de nombreuses avenues où voyager. » Mercredi matin, le voyage, justement, était son inspiration. Les filles en trench sable et kaki trimballaient parfois jusqu’à trois sacs – à l’épaule, à la main, sur le dos –, plus un petit paquetage serré contre la poitrine (sac de couchage ? oreiller ? sac en plastique ?) et, autour du cou, le coussin qui permet de dormir en avion. Une collection pour femmes-bougeotte, femmes en mouvement, femmes dites « modernes ». Avec 5.604 likes et 21 commentaires pour la première photo postée sur le compte Instagram de la maison, deux heures après le défilé : peut mieux faire. Jeanne Lanvin, née trop tôt Martin Margiela, le vrai, doit détester les réseaux sociaux, lui qui rejetait violemment toute personnification de sa marque, refusant de montrer son visage, ou toute interview, ne signant ses collections qu’au nom de l’équipe et, au dos des vêtements, par quatre petits points blancs. Mais bon, est-ce qu’Anthony Vaccarello pense vraiment à Yves Saint Laurent quand il chausse ses mannequins de grosses bottes en fourrure (pour l’été) ? Et Olivier Lapidus, tout nouveau directeur artistique de Lanvin, qui présentait mercredi midi sa première collection pour la maison créée en 1889 –- ce qui fait d’elle la plus ancienne maison de couture française encore en activité –, avait-il en tête la fameuse Jeanne Lanvin ? [scald=8111531:sdl_editor_representation] [scald=8111542:sdl_editor_representation] Tout le monde devrait avoir en tête Jeanne Lanvin. Digression : cette petite pauvresse qui commence à bosser à l’âge de 13 ans est l’aînée des onze enfants d’un employé de presse et d’une couturière. Son grand-père, Firmin Lanvin, ouvrier typographe, permit à Victor Hugo de fuir Paris lors du Coup d’Etat du 2 décembre 1851. Jeanne démarre comme garnisseuse dans la boutique de chapeaux de Madame Félix à Paris et comme arpète (apprentie chargée de menus travaux dans l’atelier) chez la modiste Boni. Elle entre ensuite à la chapellerie Cordeau, qui l’envoie à Barcelone. Elle revient à Paris où, en 1885, elle ouvre sa première petite boutique, grâce à un louis d’or donné par une cliente et un crédit de trois cents francs accordés par quelques fournisseurs. Elle a 18 ans. Bref, Jeanne Lanvin, avec ses voyages, son jeune âge et son goût immodéré pour les couleurs, sur les réseaux sociaux, elle aurait cartonné. Mercredi, à midi pile, il fallait être devant un écran pour vivre le défilé en live streaming depuis le site internet de sa marque (pour ceux qui n’avaient pas la chance d’être au Grand Palais). Preuve que Lanvin s’adresse désormais aux enfants du Millénaire : à 12 h 38, le « channel » était « off-air », en français, plus moyen de revoir la vidéo. C’est l’instant présent qui compte. On y est ou on n’y est pas. Pas question de poster une image qu’on n’a pas prise soi-même, ou de rester scotché dans le passé. Il est 12 h 40, on zappe, on passe à autre chose. [scald=8111635:sdl_editor_representation] Olivier Lapidus (oui, le fils de Ted), à 59 ans, n’est plus un gamin. Mais comme le rappelait Shaw-Lan Wang, PDG et principale actionnaire de la griffe, au moment de sa nomination en juillet dernier, « avec beaucoup d’avance sur son temps, il s’est toujours intéressé aux nouvelles technologies. Couturier précurseur, il entre aujourd’hui en résonance avec les aspirations de la société et saura relever les défis de la maison Lanvin au XXIe siècle. ». Pour ces Millenials, il crée donc de petites robes graphiques avec « Lanvin » écrit partout et dans tous les sens, à porter sur des baskets, des jupes courtes asymétriques de couleurs vives, une garde-robe facile, basique mais stylée. Et parce que Jeanne Lanvin (il l’aura donc écoutée depuis l’au-delà), bien qu’amoureuse du Vert Vélasquez, du rose cerise (dit Polignac), du jaune cuivré, par-dessus tout aimait le noir, chic ultime qu’elle porta toute sa vie, il balance une bonne dizaine de petites robes noires, façon longs tee-shirts un peu sexy. Van Noten, intemporel Dans l’après-midi, le quartier de l’Hôtel de Ville grouillait de photographes – professionnels et/ou du dimanche. Jane Birkin sort d’une grosse voiture mais tout le monde s’en fiche. C’est le petit vieux sympa qu’on mitraille, le type avec le perfecto ouvert sur son torse nu, la fille aux lunettes orange ou celle (celui ?) avec la longue fourrure bicolore rappelant le manteau de Cruella. Il fait 20ºC, Paris fourmille, la 4G chauffe et les smartphones ont besoin d’être rechargés. A l’intérieur, Dries Van Noten fait ce qu’il fait de mieux. Suspendre le temps sur la voix tendue comme un fil du New-Yorkais DM Stith reprenant a cappella « Be my baby » des Ronettes. Faire une robe d’un foulard de soie. Y imprimer des motifs inspirés de l’Art Déco, des années 20 et des années 80. Mêler le féminin et le masculin, du rouille et du jaune canari, du prune et du châtaigne, du sable et du thé, une chemise blanche en popeline et un costume en laine peignée. Et les influences de quelques idoles : Picasso, Pina Bausch, Tina Barney, Slim Aarons, Tony Duquette. [scald=8111552:sdl_editor_representation] [scald=8111636:sdl_editor_representation] Les Millenials ? Il a dû y penser, juste un instant, en glissant entre les lèvres de ses mannequins un fin bijou de strass scintillant sous les spots comme des plaquettes dentaires sous les feux de l’adolescence.

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