Pourquoi le budget fédéral lèse les Régions

Les épures des budgets des entités fédérées et de l’Etat fédéral sont prêtes. Et sur quel taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) ces entités se sont-elles basées pour les préparer ? La Fédération Wallonie-Bruxelles : 1,7 %. La Région Wallonne : 1,7 %. La Région flamande : 1,7 %. Et l’Etat fédéral : 1,8 % ! Contre toute attente, les taux divergent. Comme nous l’écrivions la semaine dernière, le gouvernement Michel a opté pour un taux de croissance de 1,8 %, qui n’est pas celui validé dans le cadre du budget économique par l’Institut des comptes nationaux (ICN), chapeauté par la Banque nationale de Belgique (BNB) et le Bureau du Plan. La première table sur un taux de 1,6 % en 2018, le second de 1,7 %, après révision à la hausse de sa projection au mois de septembre. [scald=8356077:sdl_editor_representation] Double peine budgétaire Pourtant, que ce soit dans le cadre européen (Two-Pack) ou dans le cadre de la loi belge (une loi de dispositions diverses de 1994 renforcée en 2014), l’Etat belge est censé se conformer à ce qu’on appelle le budget économique établi par l’ICN. Cette incohérence risque de poser problème, et dans des proportions bien plus importantes qu’imaginé au départ. « L’autorité fédérale peut y déroger mais elle doit alors se justifier. Or, les transferts vers les entités fédérées, organisés par la loi spéciale de financement, doivent eux, sans dérogation possible, se budgétiser sur la base du “budget économique”, ce qui crée un risque sérieux d’incohérence », explique Marc Bourgeois, professeur de droit fiscal (ULiège). Quoi qu’il en soit, avec la sixième réforme de l’Etat en général, la loi spéciale de financement en particulier, qui organise les transferts de moyens de l’entité fédérale vers les entités fédérées, les moyens aux mains des Régions ont été considérablement renforcés. En 2017, les moyens transférés se montaient à 43 milliards d’euros (contre une cinquantaine de milliards à l’Etat belge). Une différence de 0,1 % (43 millions d’euros) n’est donc pas anodine et ne se limite donc pas à une part de l’amélioration du solde de financement (environ 40 % de 368 millions d’euros, soit 147 millions) résultant de la prévision plus optimiste émise par l’Etat belge avec ce taux de 1,8 %. Pour le dire plus simplement, prendre 1,8 % de croissance du PIB, ça rapporte plus de recettes que 1,7 %. Les Régions sont donc lésées, dans des proportions avoisinant, à la grosse louche, les 190 millions d’euros (147 + 43). Mais reprenons les choses dans l’ordre. En quoi le fait que le gouvernement et les entités fédérées aient prévu des taux de croissance du PIB différents peut-il « techniquement » poser problème ? La Commission veille « Si on reprend les choses d’un point de vue chronologique, le premier problème qui va se poser se situe au niveau de la Commission européenne, explique le professeur de finances publiques Benoît Bayenet (ULB et Uliège). Pour le 15 octobre, la Belgique devra avoir remis son esquisse budgétaire pour 2018. La Commission ne manquera pas de soulever cette incohérence sur le taux de PIB différent pris par les différentes entités. Même si cela pourrait être différemment interprété suivant les lois auxquelles on se réfère, on peut estimer que l’Etat fédéral déroge à cette obligation de se conformer au budget économique de l’ICN, mais la justification doit être bétonnée. » Or, la réponse de la ministre au député Kristof Calvo (Groen) laisser planer le doute sur la pertinence d’opérer des choix différents. En substance, la ministre du Budget Sophie Wilmès (MR) dit ceci : « Le Bureau du Plan prévoyait en juillet une évolution du PIB de 1,6 % en 2017 et 2018. Dans ces dernières perspectives de septembre (après l’établissement du budget 2018, donc…, NDLR), le Bureau du Plan a relevé la croissance du PIB à 1,7 % pour ces deux années, ce qui correspond à un effet cumulé pour 2016-2017 de 0,2 % ». « C’est une explication étonnante et qui ne peut pas être considérée comme convaincante », estime Marc Bourgeois, professeur de droit fiscal (ULiège) et spécialisé en finances publiques. A bonnes sources, le mot « étonnant » circule également au niveau de la Commission européenne. « Le document explicatif lié au budget 2018 de la Belgique vaudra la peine d’être regardé avec attention, mais je ne vois pas très bien comment ils vont pouvoir justifier cela, poursuit l’expert de l’Ulg. Pour moi, vu que l’on est sur la corde raide au niveau de notre trajectoire budgétaire (on doit tendre vers l’équilibre, NDLR), je pense que la Belgique accroît le risque d’une procédure de déficit excessif si elle ne parvient pas à se rendre crédible dans sa manière d’élaborer ses budgets. De toute façon, on est ici clairement dans un cas où l’esprit du droit européen sur les statistiques budgétaires, qui préconise l’indépendance des évaluations, est bafoué. » Concertation avec les Régions inexistante Mais il y a un autre souci, qui se situe au niveau de l’accord de coopération entre l’Etat et les entités fédérées. La section « Besoin de financement » du Conseil Supérieur des Finances (CSF), censé être indépendant, sur la base des chiffres a posteriori (ex-post), pourrait aussi trouver à redire dans la répartition entre entités de l’effort vers l’équilibre suivant la loi spéciale de financement. Répartir l’effort de chacun sur la base d’une trajectoire budgétaire qui se calcule à partir de paramètres de croissance différents, ce n’est pas très cohérent ni très sérieux… D’autant plus, que les flux financiers entre le Fédéral et les entités fédérées doivent, eux, bel et bien se budgétiser en fonction du budget économique de l’ICN, c’est-à-dire des chiffres de la BNB (1,6 %) et Bureau du Plan (1,7 %). On voit ainsi l’usine à gaz poindre… Le seul hic : les Régions ont toujours refusé jusqu’ici d’opter pour le respect de la trajectoire budgétaire. Il leur sera donc difficile de dire que l’Etat ne remplit pas ses obligations alors qu’elles-mêmes ne le font pas non plus ! « Ce ne serait du reste pas la première fois que l’Europe tance la Belgique sur ce point. Pour la Commission, le manque d’accords intra-belges commence à poser problème », conclut Benoît Bayenet.

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