Les enfants tyranniques, ces enfants qui font peur à leurs parents
Comment réagir quand l’enfant a totalement pris le pouvoir à la maison ? L’équipe de la pédopsychiatre Nathalie Franc s’intéresse depuis deux ans aux parents désemparés face à un enfant tyran et publie de premiers résultats.


Il est devenu le seul maître à bord. Du choix du programme télé à la destination des vacances, des repas quotidiens aux orientations professionnelles de ses parents, il décide de tout. Ou plutôt on le laisse décider, quand on n’anticipe pas ses envies pour s’y conformer. Par peur d’une nouvelle crise, voire de violences. Il (ou elle) n’a pourtant parfois que 8, 12 ou 16 ans. Des parents confrontés à un enfant « tyrannique », Nathalie Franc, pédopsychiatre au CHU de Montpellier, en a vu défiler une cinquantaine depuis l’ouverture d’un programme dédié en 2015. Avec son équipe de recherche, elle publiera ce mois-ci les résultats de deux années de travail aux côtés de ces mères et pères dépassés par un enfant maltraitant…
1
Comment reconnaître un enfant tyrannique ?
La pédopsychiatre le reconnaît d’emblée : la limite entre un enfant simplement capricieux, un adolescent invivable et un jeune réellement « tyrannique » avec ses parents est parfois mince. « Nous considérons que nous sommes face à de tels cas lorsque les parents ont peur de leur enfant, explique Nathalie Franc. Et qu’en conséquence, ils prennent toutes leurs décisions en fonction de cet enfant. Ils en viennent dès lors à renoncer à leurs propres choix, leurs propres envies, pour ne pas contrarier leur enfant. » Détecter les premiers signes se révèle souvent complexe, puisque le processus s’installe progressivement. C’est généralement lorsque la violence apparaît que les parents prennent conscience du pouvoir qu’a pris l’enfant.
2
Certaines familles sont-elles plus fragilisées que d’autres ?
Les familles qui poussent la porte d’un service comme celui du CHU de Montpellier ont forcément les connaissances, les moyens de s’y rendre. Les chercheurs ont néanmoins observé des similitudes. D’une part, dans tous les cas suivis, les enfants qui deviennent maltraitants souffrent toujours initialement de troubles de l’attention (hyperactivité…) ou d’anxiété. « Il s’agit d’enfants tellement inquiets qu’ils demandent énormément de réassurance à leurs parents, développe la psychiatre. Ces derniers sont piégés, d’une certaine façon, car ils voient surtout, à raison, que leur enfant est en souffrance. Dès la fin de la petite enfance, ils ont conscience que leur enfant est différent, plus fragile, plus inquiet, plus colérique. » La réelle prise de contrôle, voire éventuellement les actes de violence, peut commencer plus tard, par exemple à l’adolescence, mais les bases sont déjà là.
La trajectoire de l’enfant peut également être émaillée de traumatismes (problèmes de santé dans la petite enfance, drames, enfants adoptés) qui poussent les parents à surprotéger leur petit. Nathalie Franc remarque aussi que les parents qu’elle reçoit en consultation sont très impliqués : « Il ne s’agit pas d’un problème d’éducation. Au contraire, ces parents lisent beaucoup, se renseignent énormément. » Les nouvelles pédagogies, l’éducation positive, aujourd’hui privilégiées par de nombreux jeunes parents, les exposent-ils davantage à des enfants tyranniques ? « Il est certain que les modèles traditionnels d’éducation basés sur la peur et l’autorité ne sont plus à encourager aujourd’hui, nuance Nathalie Franc. Mais à l’inverse, on développe une forme d’hypersensibilité aux besoins de l’enfant et on s’adapte à tout. Peut-être trop. »
3
Que vivent les parents ?
Se sentir totalement dépassé par son enfant reste un sujet tabou. D’autant plus que les enfants tyranniques le sont généralement… au sein du foyer. L’image de ces gamins à l’extérieur est alors à mille lieues de ce qu’ils manifestent à la maison. « Lorsqu’ils arrivent chez nous, ces parents ont essayé beaucoup d’autres choses, rapporte l’experte. On leur a souvent renvoyé que le problème venait d’eux : ils sont très culpabilisés et se persuadent qu’ils ont dû rater quelque chose. Ils se sentent totalement impuissants. »
4
Quelle violence ?
Selon Nathalie Franc, à peu près la moitié des parents suivis rapportent des violences physiques, surtout contre des éléments matériels. Il peut aussi s’agir de bousculades lorsque le parent s’interpose… ou de faits plus graves (lire notre témoignage). Quant aux frères et aux sœurs du jeune tyran, ils subissent également son attitude. Et sont souvent priés, eux aussi, de s’adapter aux desiderata de leur frère ou de leur sœur, pour éviter d’autres crises.
Les enfants eux-mêmes ne manifestent pas réellement l’envie de changer et se montrent réfractaires aux diverses thérapies que leur proposent leurs parents. L’équipe de Nathalie Franc a donc entrepris d’aider les parents eux-mêmes à infléchir la dynamique familiale. « Pour l’heure, nous ne pouvons donner que des résultats très partiels, entame la responsable du projet. Ce qu’on observe rapidement au début, ce sont des parents qui reprennent confiance, qui sortent de la culpabilité et parviennent peu à peu à instaurer une dynamique familiale différente. Ce qui ne signifie pas que l’enfant, lui, change. Cependant, nous avons quelques cas où le jeune accepte de reprendre un travail thérapeutique. »
Pour poster un commentaire, merci de vous identifier.
Vous n’avez pas de compte ? Créez-le gratuitement ci-dessous :
S'identifier Créer un compteQuelques règles de bonne conduite avant de réagir0 Commentaire