Jan Vertonghen, un héros très discret

Sa rédemption aurait pu avoir un cadre plus beau, comme celui du Maracana, là, où il avait débuté sur le banc le deuxième match de la Coupe du Monde avant de remplacer son meilleur ami Thomas Vermaelen. Qu’importe, ce sera Sao Paulo. Avec le brassard de capitaine. Ce jour-là, le 26 juin 2014, la Coupe du Monde de Vertonghen débute véritablement, grâce à un match parfait ponctué du but de la victoire face à la Corée du Sud. Le fidèle soldat, sacrifié au back gauche pour la cause depuis tant d’années, discret mais régulier, connaissait son jour de gloire. Samedi face à la Bosnie, il en vivra un autre en égalant le record de sélections de Jan Ceulemans (96). Un look de gentleman Son look est celui d’un parfait premier communiant. N’a-t-il d’ailleurs pas été enfant de chœur dans sa paroisse de Tielrode lorsqu’il était enfant ? La coiffure est nette, avec la raie toujours bien marquée. On le croirait sorti de Cambridge, lui qui écume les pelouses anglaises depuis maintenant cinq ans, pour le compte de Tottenham. Pourtant, Jan Vertonghen est bien plus que cela. Parfois cynique, parfois chambreur, parfois râleur mais toujours de bonne compagnie. Bien loin du cliché des footballeurs actuels aussi. Quand il évoluait pour l’Ajax d’Amsterdam, il avait insisté pour habiter dans le centre-ville, non loin du Rijksmuseum et du musée Vincent Van Gogh qu’il aimait visiter. Pour se rendre à l’entraînement, il prenait son vélo qu’il garait à côté des berlines de ses coéquipiers. « Le capitaine de l’Ajax qui se promène en vélo dans la ville, c’était quelque chose », explique dans Sport-Foot Magazine David Endt, team-manager de l’Ajax à l’époque. Dans l’ambiance surchauffée de Sarajevo, Jan Vertonghen va donc battre, à 30 ans, le record de Jan Ceulemans. Étonnant ? Pas vraiment pour ceux qui ont eu le loisir de suivre sa carrière. À Pékin déjà, lors des Jeux Olympiques avec les Espoirs, son destin semblait tracé. À 20 ans, on prend généralement comme mesure-étalon le talent pour miser sur tel ou tel jeune. Pourtant, tous ceux qui ont suivi les exploits de la bande à De Sart n’avaient que deux noms en bouche : Vertonghen et Vermaelen. Pas les meilleurs, pas les plus techniques. Mais certainement les plus malins, les plus professionnels à un âge où d’autres pensaient avant tout à s’amuser. « Ils jouent comme s’ils ont déjà 10 ans de carrière. Ils sont déjà tellement professionnels dans leur rapport au métier et dans leur langage qu’ils ne peuvent que réussir », nous avait lancés le sélectionneur de l’époque, Jean-François de Sart. Une maturité née des épreuves traversées Précoce et mature sont les deux raisons qui expliquent sa longévité. En 2007, les gens écarquillent les yeux lorsque le nom de Jan Vertonghen, qui vient d’être relégué avec le modeste club néerlandais du RKC Waalwijck, est cité par René Vandereycken pour intégrer l’équipe nationale. Pour beaucoup, il s’agit d’une lubie supplémentaire du sélectionneur. Vertonghen joue alors médian défensif. Il a de l’avenir à ce poste car même s’il n’est pas rapide, ni trop dribbleur, il est complet et possède surtout l’intelligence de jeu qui lui permet de voir les choses avant tout le monde. Il est physique, grand et a le sens du placement et du timing. Un peu une version 2.0 de Vandereycken himself. Et il a du caractère ! « Normalement, je suis un passeur mais ça m’arrive de faire des fautes (il sourit). Je n’ai pas toujours été un gagneur, j’ai appris à le devenir lorsque j’ai senti que je n’étais pas le joueur le plus talentueux sur le terrain comme Maarten Martens ou Moussa Dembélé qui ont plus de technique. J’ai dû compenser par l’engagement », nous expliquait-il un jour que nous lui avions rendu visite à l’Ajax en décembre 2008. À cela, il ajoute une dose de duperie. « J’ai appris à flirter avec les limites. J’espère que le grand public ne me voit pas seulement comme un salopard ». Les propos sont ceux de quelqu’un qui a appris à s’adapter à des environnements hostiles et à encaisser des coups durs sans broncher, comme le décès de son père, mort d’une tumeur au cerveau en 2006. « On a diagnostiqué les premiers symptômes quand Jan avait cinq ans. Mon mari a subi sa première radiothérapie au moment de sa première communion et il a rechuté au moment de sa communion solennelle », expliquait la mère de Vertonghen, Ria Mattheeuws. Le coup est dur pour cet expatrié qui tient une partie de son caractère de son paternel. Il craque lorsqu’il est élu joueur de la saison aux Pays-Bas en 2012. « Si je pouvais rencontrer encore une fois mon papa, décédé, j’arrêterais immédiatement le football. », nous confiait-il d’ailleurs. Médian défensif, back gauche puis défenseur central Chez Vertonghen, l’homme n’est en effet jamais loin du footballeur. Pour lui, tout a commencé dans le petit village du VK Tielrode avant qu’un coup de téléphone d’Urbain Haesaert, recruteur du Germinal Beerschot l’attire dans la métropole anversoise. La suite rapide, ce sera l’Ajax à 16 ans. Un autre style de jeu, une école de vie et de football, pour celui qui doit intégrer une famille d’accueil à Amsterdam. Des Pays-Bas, il ressortira avec un contrôle de balle impressionnant, et un sens tactique aigu. Mais aussi avec une certaine confiance en lui inébranlable, typiquement hollandaise. « Parfois, on le sent plus amstellodamois que ceux qui y sont nés », dit Endt. C’est de sa période néerlandaise aussi que date ce malentendu autour de son poste : d’abord médian défensif, il a reculé en défense à l’Ajax. Par la suite, il oscille entre le back gauche (où il aura effectué la majeure partie de son parcours chez les Diables) et le poste de défenseur central où sa puissance et son sens du placement compensent une certaine lenteur à se retourner. À gauche, on l’aime pour sa capacité à se projeter, à combiner aussi – un reliquat de l’Ajax – et à amener du danger, grâce à une frappe sèche, lourde et puissante. Et il aura finalement fallu attendre la toute fin de l’ère Wilmots et l’arrivée de Roberto Martinez pour qu’il reçoive la préséance dans l’axe. En 2012, c’est donc en capitaine de l’Ajax qu’il quitte Amsterdam pour Londres et Tottenham. Depuis lors, autant il éclabousse de son talent et sa constance les pelouses de Premier League, où il a toujours été titulaire pour les Spurs, au point d’intégrer l’équipe type de la saison en 2012-2013, autant il se confie peu dans les médias. Une manière de laisser les gens se concentrer sur ses prestations. Et comme elles sont bonnes…

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