Autriche: Sebastian Kurz, un «phénomène» à l’assaut de la chancellerie

Sebastian Kurz s’élance d’un pas svelte et léger sur scène. Devant lui, une centaine de délégués régionaux de l’ÖVP (parti populaire autrichien) l’acclament durant de longues minutes. A 31 ans, l’« enfant prodige » de la classe politique autrichienne rayonne, avec son large sourire, son regard bleu et ses cheveux tirés en arrière. Sebastian Kurz a des allures d’adolescent bien élevé, avec sa peau lisse et son respect affiché envers les cadres plus âgés du parti. Sur scène, Sebastian Kurz va droit au but. Pas de long discours détaillé, il se limite à quelques idées clés.« Nous voulons le changement et nous voulons un nouveau style en politique » lance-t-il lors de ce mini-meeting électoral organisé à Graz, la deuxième ville d’Autriche. Le renouveau, Sebastian Kurz estime l’incarner et compte bien le mettre en œuvre s’il remporte les élections législatives du 15 octobre. A quatre jours du scrutin, il semble bien parti pour cela. Ministre de l’Intégration et des Affaires étrangères au sein d’un gouvernement de coalition, il fait la course en tête dans les intentions de vote, devant le parti social démocrate (SPÖ) et l’extrême droite du FPÖ - parti de la liberté d’Autriche. A Graz, Sebastian Kurz brosse le tableau d’une Autriche « qui ne s’est pas toujours développée positivement » et dont le système social serait mis à mal par l’immigration. Il y a deux ans, ce petit pays alpin a accueilli 90.000 réfugiés, soit près de 1 % de sa population. Depuis, Sebastian Kurz prône une réduction de l’aide financière accordée aux demandeurs d’asile et une redistribution« à ceux qui en ont vraiment besoin ». « L’immigration illégale doit être aussi réduite » conclut-il. La foule l’acclame. Le discours aura duré à peine un quart d’heure Quelques minutes plus tard, vient le moment tant attendu de la séance de selfies. Les curieux s’agglutinent autour de lui. Patiemment, Sebastian Kurz pose, sans abandonner son sourire. Il donne la priorité à une sœur en coiffe blanche, reçoit le soutien de mères de familles et de jeunes, mais aussi de plus âgés en costumes traditionnels. « Je l’ai mon selfie ! » se réjouit Katarina Meyer, 26 ans. « Je vais voter pour lui car j’approuve sa volonté de changer la politique. Nous avons besoin d’un bon coup de frais » lance-t-elle. Un peu plus loin, un cadre du parti confirme cet engouement. « Sebastian Kurz a attiré des gens de milieux, d’âge et de professions très différents. Cela fait 25 ans que je fais de la politique et je n’ai jamais vécu une telle dynamique » explique Detlef Eisel Eiselberg. Bleu turquoise Au sein de l’ÖVP, Sebastian Kurz est perçu comme un sauveur depuis qu’il a pris la tête du parti, en mai. L’an dernier, cette formation conservatrice avait échoué à faire qualifier son candidat pour le second tour des présidentielles. Un choc immense pour un parti présent depuis 1987 dans chaque coalition gouvernementale fédérale. Aujourd’hui, Sebastian Kurz jouit d’une cote de popularité record. « Kurz a fait un peu comme Macron en France, il a fondé un mouvement qui s’adresse à des gens de toutes sensibilités et cela marche », explique Alexandra Pichler-Jessenko, une élue locale de Graz. Avant de prendre la tête de l’ÖVP, le ministre des Affaires étrangères avait posé plusieurs conditions, dont celle de mener campagne pour les législatives non pas au nom du parti mais sous le nom « Liste Kurz ». Finie aussi la couleur noire attribuée traditionnellement à l’ÖVP. Désormais c’est le bleu turquoise qui apparaît sur les tracts et les affiches, en résonance avec les yeux de son candidat. A Graz, en ce jour de fête populaire, cette couleur règne en maître, des nappes à la crème glacée distribuée aux passants. Visuel, le changement est aussi perceptible sur les listes des candidats à la députation. Sebastian Kurz y a imposé des personnalités issues de la société civile (dont une sportive de haut niveau) et des transfuges d’autres partis.« En Autriche, les partis politiques sont très impopulaires » explique Franz Fallend, politologue à l’université de Salzbourg. « Sebastian Kurz a fondé un mouvement vivant et dynamique pour créer une image de nouveauté. Le rapprochement avec Macron est une stratégie de communication ». Interrogé entre deux selfies, l’intéressé prend la comparaison avec le président français comme « un compliment ». Sur le fond toutefois, le parallèle s’arrête là. Contrairement à Emmanuel Macron, Sebastian Kurz s’appuie sur un parti très structuré qui l’a soutenu dans sa quête de transformation. Et s’il a dépoussiéré l’image de sa formation, il n’est pas un outsider de la politique autrichienne. Membre de l’ÖVP depuis l’âge de 17 ans, ce Viennois a été propulsé secrétaire d’État à l’intégration à 24 ans et cumule depuis 2013 ce portefeuille avec celui des affaires étrangères. Pour ses concurrents, il ne symbolise en rien la nouveauté. A droite toute ! En ce samedi ensoleillé à Graz, le sujet fait réagir un groupe de sympathisants du parti d’extrême-droite (FPÖ), réunis autour d’un stand de saucisses et d’un chanteur en chapeau de cow-boy. La popularité de Sebastian Kurz a entraîné la chute des intentions de vote pour leur chef Heinz-Christian Strache. « Kurz est un imposteur » résume Berno Mogel, élu local du FPÖ. « Il dit ce que notre parti réclame depuis toujours. Il était ministre en 2015 et est responsable de l’entrée massive de migrants dans notre pays. Maintenant, il affirme qu’il faut faire les choses différemment. C’est un charlatan ». Sebastian Kurz est de fait accusé d’avoir calqué une partie de son programme sur celui de l’extrême droite. « C’est vrai en ce qui concerne le thème migratoire » confirme Franz Fallend.« L’ÖVP a glissé à droite. Sur le fond, les idées sont les mêmes que celles du FPÖ mais sur la forme Sebastian Kurz est plus civilisé » analyse le politologue. L’actuel ministre des Affaires étrangères se félicite ainsi d’avoir obtenu la fermeture de la route des Balkans en 2016 et prône celle de la route migratoire méditerranéenne. Il est par ailleurs à l’origine de l’interdiction du voile intégral dans l’espace public, entrée en vigueur début octobre. Au sein de l’ÖVP, on ne voit pas de problème particulier dans cette stratégie. « Aucun thème n’appartient exclusivement à un parti » explique Detlef Eisel Eiselberg. « Il est normal d’aborder les problèmes qui touchent les gens. L’immigration en fait partie » explique ce cadre de l’ÖVP. Le rapprochement avec le parti d’extrême droite pourrait d’ailleurs se concrétiser à l’issue des élections de dimanche. Sebastian Kurz est à l’origine de ces élections législatives anticipées, destinées à mettre fin à 10 années de coalition avec les sociaux-démocrates. Et il n’exclut pas une coalition avec le parti de Heinz-Christian Strache. Le choc serait grand pour l’Union européenne, 17 ans après l’entrée au gouvernement de l’extrême droite. En Autriche, en revanche, cette hypothèse ne fait plus hurler grand monde, et surtout pas Sebastian Kurz.

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