Ronan Farrow, l’avocat qui a eu la tête d’Harvey Weinstein

C’est l’homme qui a eu la tête de Harvey Weinstein. La longue enquête, publiée dans le New Yorker au lendemain de révélations dans The New York Times et reposant sur les témoignages accablants de proies et victimes sexuelles de l’ogre hollywoodien, c’est lui : Ronan Farrow, 29 ans, avocat, militant des droits de l’homme, ancien conseiller de Hillary Clinton, et aujourd’hui journaliste. Le jeune homme n’en est pas à son coup d’essai. En septembre 2014, le reporter prépare une interview du biographe de Bill Cosby. Son angle d’attaque : la biographie omet de façon incompréhensible de mentionner les graves agressions sexuelles dont s’est rendu coupable le showman américain. Le sujet des abus sexuels accompagne son vécu depuis longtemps. Et pour cause : Ronan Farrow a tout vu, tout entendu, vécu. C’est un enfant de Hollywood, qui a grandi entouré de stars. À commencer par sa mère, Mia Farrow, son père présumé, Woody Allen, mais aussi Frank Sinatra, qui serait « peut-être » son père biologique – c’est ce que déclarait Mia Farrow en 2013. La carrière de Mia Farrow doit pratiquement tout à deux cinéastes : Roman Polanski, qui la dirigea dans Rosemary’s baby. Et Woody Allen, avec qui elle tourna, entre 1982 et 1992 douze films, dont quelques pépites absolues (Zelig, La Rose Pourpre du Caire…) Le prestige du créateur Polanski et Allen sont d’immenses cinéastes. Ils sont également accusés d’agressions sexuelles sur des mineures. Polanski auprès d’une gamine de treize ans, qu’il viola et drogua en 1977, dans la villa de Jack Nicholson. Woody Allen auprès de sa fille Dylan, qui était au moment des faits incriminés âgée de sept ans. Tous deux bénéficient auprès de l’intelligentsia artistique (d’Alain Delon à BHL) et dans une partie de la presse d’une sorte d’immunité artistique. Ce sont des génies du septième art et leurs admirateurs estiment qu’ils ne méritent pas d’être poursuivis. Ronan Farrow a coupé les ponts avec son père depuis longtemps et pris fait et cause pour sa sœur Dylan, qui tenta, en 2014 dans le New York Times, d’exprimer son vécu d’enfant abusé et qui buta sur une indifférence généralisée – ou embarrassée. Quelques jours après la publication de cette tribune, alors que son père recevait un Golden Globe pour l’ensemble de son œuvre, Ronan Farrow commentait sur Twitter : « J’ai loupé l’hommage à Woody Allen. Ont-ils parlé, avant ou après avoir cité Annie Hall, du fait qu’une femme avait publiquement confirmé qu’il l’avait agressée à 7 ans ? » Culture du silence et de l’impunité Le 12 mai 2016, jour de l’ouverture du Festival de Cannes, et alors que Woody Allen monte les marches pour son dernier film, Cafe Society, Ronan Farrow publie une tribune dans le Hollywood Reporter, où il dénonce non seulement les agressions sexuelles de son père contre sa sœur Dylan, mais aussi la « culture du silence et de l’impuni té », qui règne dans le monde du cinéma. Sa colère vise les acteurs, dont il dénonce le silence opportuniste, mais stigmatise aussi les médias, incapables selon lui de jouer leur rôle de lanceur d’alerte. « Ce soir, écrit-il alors, le Festival de Cannes s’ouvre avec un nouveau film de Woody Allen. Il va y avoir des conférences de presse et il va monter les marches. Il sera entouré de stars, mais ils peuvent tous être tranquilles et faire confiance à la presse pour ne pas leur poser de questions dérangeantes. Ce n’est pas le moment, ce n’est pas l’endroit, ça ne se fait pas. » Quelques semaines plus tard, deux Femen font irruption, seins nus, dans une salle à Hambourg et interrompent le concert jazz de Woody Allen. Sur leur poitrine, « culture du silence et de l’impunité ». Ainsi, un an et demi avant l’affaire Weinstein, Ronan Farrow dénonçait déjà, au détour d’un règlement de compte familial digne du film Festen, l’omertà rongeant la belle famille du cinéma. Seul un « insider » comme lui, qui savait tout des réalités du milieu, pouvait sans doute réussir à briser cette loi du silence.

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