Omar Sy au «Soir»: «Un artiste, c’est d’abord une liberté»

Depuis le succès d’ Intouchables , Omar Sy est sur un nuage. César du Meilleur acteur en 2012, personnalité préférée des Français, petits rôles dans de gros blockbusters hollywoodiens, il revient aujourd’hui dans une comédie d’époque bien française, Knock de Lorraine Levy, nouvelle adaptation de la pièce de théâtre de Jules Romains popularisée au cinéma par Louis Jouvet en 1951. Rencontre dans un hôtel parisien avec l’acteur, toujours prompt à partager sa bonne humeur. [scald=9018108:sdl_editor_representation] « Knock » est un film d’époque dans lequel vous jouez non seulement un médecin, mais où en plus, il n’y a aucune réplique humoristique de type : « Mais, c’est un Noir ! »… Exactement, parce que ce n’est pas le propos. C’est ça qui est intéressant. Parce que Knock, c’est quoi ? C’est un médecin qui arrive dans un village et qui va utiliser la science pour faire fortune. Il ne s’agit pas de savoir s’il est blanc ou noir ou jaune. C’était agréable d’aborder ce rôle simplement en tant qu’acteur et non en tant qu’acteur noir. Ça me change, moi. Mais ça va aussi changer le public. C’était intéressant d’avancer un peu sur ce sujet-là. « Knock » est d’abord une pièce de théâtre bien connue. Comment aborde-t-on une réplique aussi culte que : « Ça vous grattouille ou ça vous chatouille » ? Le plus simplement du monde. C’était une réplique que je connaissais, sans savoir d’où elle venait. Quand on s’est mis à travailler dessus, même si la volonté de la réalisatrice Lorraine Levy était de faire tabula rasa des différentes versions de Knock, j’étais curieux et je suis allé voir ce qui s’était fait avant. Mais le truc, c’est vraiment de jouer sans y penser. J’ai abordé ce Knock comme n’importe quel autre film. C’était le seul moyen de l’interpréter librement. Pas question de mettre dans cette réplique le poids de son passé. On voulait faire quelque chose de nouveau. [scald=9017874:sdl_editor_representation] Vous êtes entouré de nombreux acteurs de théâtre dans ce film qui a un côté burlesque. Ça vous a donné envie de faire du théâtre ? Je suis passé d’un « Non » catégorique à « Pourquoi pas ? ». On progresse (rires). C’était « Non » parce que pour moi, le théâtre, au sens classique, noble, était une discipline à laquelle je n’avais pas droit compte tenu de la manière dont je suis arrivé dans le métier (via la télévision et l’humour – NDLR). Cela ne me donnait pas accès à quelque chose qui, pour être honnête, ne m’intéressait pas non plus. Aujourd’hui, avec cette expérience, je vois les choses différemment. [scald=8891906:sdl_editor_representation] Contrairement au « Knock » de Jouvet, votre personnage arrive dans le village et permet aux gens de se retrouver en communauté… Complètement, et je trouvais ça très intéressant. C’est ce vivre ensemble qui fait le propos du film. C’est positif. Peut-on dire que, à la manière de « Knock », vous soignez les gens par la comédie. Est-ce que le métier de comédien est un moyen de faire du bien ? J’espère. C’est mon souhait que les gens voient le film et passent un bon moment. Deux heures, ce n’est pas grand-chose, mais parfois, c’est l’addition de petits plaisirs qui fait le bonheur. Il sert aussi à ça, le cinéma, à faire oublier ses soucis pendant un temps. Si cette comédie a cet effet, j’en serais très heureux. C’est pour ça qu’il est important que dans les films il y ait ces notions de rédemption, d’espoir, d’amour, de partage. C’est un discours qu’on n’entend plus beaucoup. On dit qu’il s’agit de poncifs, que c’est béni-oui-oui, que c’est un peu facile… Moi, je l’assume complètement. Je n’ai aucune crainte à passer pour l’idiot du village et être l’imbécile heureux. Mais heureux quand même. « Pour moi, un artiste doit être là où il veut être, là où il est le plus honnête avec lui-même » Votre personnage a cette phrase dans le film : « On ne choisit pas d’être heureux ». Vous êtes d’accord ? Je suis plutôt d’accord avec ce que dit Adèle (personnage joué par Ana Girardot – NDLR) : « Promettez-moi d’essayer ». Ça, j’adore. C’est ce message-là que j’ai envie de faire passer. C’est peut-être un poncif, mais je trouve ça magnifique. Parce que, évidemment, ce n’est pas simple de trouver le bonheur, mais si on essaie, on a plus de chance d’y arriver. C’est un truc dingue de s’autoriser à tenter, ça veut dire s’ouvrir plus. Je trouve ça super beau. Et moi, j’aime bien ! J’assume ça ! Surtout dans le cynisme ambiant dans lequel on vit aujourd’hui. Et ce n’est pas qu’en France, j’ai l’impression que c’est un sentiment général. Pour parler de la France, personne ou presque n’a réagi quand Marine Le Pen s’est retrouvée au deuxième tour de la présidentielle. Comment l’expliquez-vous ? C’est une autre époque qu’il y a quinze ans, tout simplement. Avec beaucoup plus de craintes, plus de gens effrayés, moins de thunes. C’est le nerf de la guerre, l’argent. La révolution française a commencé parce que les gars n’avaient plus de pain. Ça n’avait rien à voir avec une quelconque idéologie. Ils ont pris la fourche parce qu’ils avaient faim. Et là, on a des gens en France qui crèvent la dalle. Ça fait réfléchir, ça rend aigri, ça mène au repli sur soi, on n’a plus en vie de se battre pour les autres. Chacun reste de son côté. Encore une fois, ce film parle d’unité, de regroupement, de partage. Avec un petit rappel : c’est quand même mieux quand on est ensemble que seul dans son coin. Or, c’est ça qui se passe. Ça nous guettait, on est en plein dedans et si on ne réagit pas on va sombrer. [scald=8891905:sdl_editor_representation] Vous aviez à l’époque été un des rares artistes à réagir en tweetant un texte de l’essayiste Raphaël Glucksmann. Le rôle d’un artiste, c’est juste de donner du bonheur aux gens ou est-ce aussi d’être concerné par ce qui se passe et de s’insurger sur la place publique ? Le rôle d’un artiste, c’est celui qu’il a décidé de prendre. Il n’y a pas de rôle défini. Ce qui fait un artiste, c’est sa liberté de dire et faire ce qu’il veut sur le moment. Quand on dit : « Le rôle d’un artiste, c’est ci ou ça », on se trompe. Le rôle d’un artiste est de ne pas être là où on veut le mettre. Personne n’a dit à Balavoine de tenir tête à Mitterrand dans les années 80. Il l’a fait parce que ça lui brûlait le ventre. On ne peut pas dire aujourd’hui : « Fais ton Balavoine ! ». Pour moi, un artiste doit être là où il veut être, là où il est le plus honnête avec lui-même. On ne peut pas l’obliger. Un artiste, c’est d’abord une liberté. Vous revenez au cinéma français après un passage aux États-Unis… Je n’ai jamais quitté le cinéma français ! Je fais des films, c’est tout. Mais votre expérience américaine vous offre-t-elle un regard nouveau sur le cinéma français ? Ou pour le dire autrement, l’exception culturelle française existe-t-elle réellement ? Bien sûr, il y a une singularité avec la France, mais il y a une singularité américaine aussi. La France a une manière de raconter des histoires bien à elle, des sujets qui l’intéressent plus que d’autres. Mais je ne compare pas non plus le cinéma français au cinéma américain. Je ne les différencie pas. C’est du cinéma. C’est quand on sépare les choses qu’on compare. Pour moi, le cinéma, c’est un ensemble qui constitue ma vie, mon métier. J’ai juste la chance de pouvoir faire du cinéma aux États-Unis. Il n’y a pas de calcul, pas de comparaison, je fonctionne à l’envie. Si on se met à comparer, on peut comparer chaque film et comparer tout tout le temps. Je ferai ça plus tard (rires). Comment avez-vous vécu l’énorme succès d’« Intouchables ». Avez-vous dû vous protéger ? Pourquoi se protéger d’un succès ? C’est positif, un succès ! Je n’ai pas à me protéger de quoi que ce soit. C’est une chance énorme, ce qui m’est arrivé. C’est marrant, parce que c’est un des premiers trucs que j’ai appris avec le succès, c’est comment fonctionnent les journalistes (rires). C’est-à-dire que les questions des journalistes associent souvent quelque chose de négatif à un truc formidable : « Comment on se protège ? N’avez-vous pas peur ? Et quand ça va se tasser ? » C’est là que je me suis promis de ne jamais, jamais – on ne doit jamais dire jamais alors je vais le dire une troisième fois –, jamais associer quelque chose de négatif avec Intouchables. Ce film, c’est un bonheur fou, une chance incroyable. C’est un phare qui, je pense, m’éclairera toute ma vie. Jean Rochefort est mort. Ça vous fait quelque chose ? Bien sûr, ça m’a fait quelque chose, mais en même temps, j’ai beaucoup de mal avec ça. Parce que c’est un artiste, on a l’impression qu’il nous appartient, qu’on est intime, quelque part. Mais je pense d’abord à sa famille, à ses proches qui ont un deuil beaucoup plus compliqué que le nôtre. C’est pour ça que j’ai du mal à m’exprimer là-dessus quand on me tend le micro. Qui suis-je pour m’exprimer sur sa perte ? Bon, maintenant, il s’est passé un peu de temps, je peux quand même dire que j’ai un souvenir d’enfance avec Jean Rochefort. Quand on était petit, on nous emmenait souvent à la ferme. Et comme j’ai grandi à Trappe, à l’ouest, le plus proche pour nous, c’était la Normandie. On allait souvent à Harras du Pin, où il allait souvent parce qu’il adorait les chevaux. Et un jour, on l’a vu ! On était en train de marcher et on a entendu un bruit de sabots. On s’est retourné et on a vu Jean Rochefort à cheval, qui nous a dit : « Bonjour, les enfants ! » C’était la voix de Winnie l’Ourson ! Il a dit ça de façon tellement gentille. Moi, ça m’a marqué, c’était la première personne célèbre que je rencontrais. Un grand monsieur. Il avait quelque chose de clownesque aussi. J’ai un grand respect pour lui et une pensée pour ses proches. Pour terminer, il paraît que votre père vient de la même ville que le père du rappeur Booba… Oui, Bakel. Ce qui est marrant, c’est que lui vient du côté sénégalais et moi du côté mauritanien. C’est la même ville, mais avec la colonisation, ils ont tracé les frontières à la latte, là où passe le fleuve Sénégal. Mon père avait ce souhait qu’on aille souvent là-bas, on y allait tous les deux ans quand j’étais gamin. On n’est pas vraiment du désert, parce qu’il y a le fleuve, mais c’est vrai que chaque fois que je suis dans un endroit désertique, je ressens le besoin d’aller me perdre dans le désert. Parce que je suis un descendant d’un peuple nomade, les Peuls qui amenaient le bétail, ils voyageaient énormément. J’ai aussi ce besoin de bouger, de voyager, de voir le désert. C’est un peu dans mon ADN. Et en même temps, je suis très très Français. J’ai tout ça en moi.

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