Les producteurs de pommes en pleine déprime
A cause d’un coup de gel inédit au printemps, les fruiticulteurs ont perdu au moins 70 % de leur cueillette dans leurs vergers. Leur métier est menacé par le changement climatique.


Il fait beau et chaud. Mais sur son tracteur, Michel Stassen a le cœur gros. A cette période-ci de l’année, cet exploitant fruiticole installé depuis 13 ans sur ses terres familiales à Hannut devrait être absorbé par la cueillette de pommes. « Mais il y a eu tellement peu à cueillir qu’on a tout terminé fin septembre, en à peine quatre semaines. D’ordinaire, ça nous prend deux mois », soupire le producteur de fruits qui vient de couper son moteur agricole. Dans la nuit du 19 au 20 avril dernier, le mercure a frôlé les -6ºC, alors que les pommiers de Michel venaient de fleurir. Quantité de futurs fruits sont morts de froid en plein printemps. Une catastrophe climatique et arboricole dont les chiffres glaçants de production et de rendement permettent de mesurer l’ampleur. « D’habitude, j’atteins 40 à 45 tonnes de boskoops par hectare. Ici, j’ai à peine obtenu 2 tonnes par hectare. Je vais les vendre à perte, parce que mes frais de pulvérisation phytosanitaire, de tonte, de désherbage et mon crédit bancaire pour le matériel sont restés les mêmes. Dans le métier, vous rentrez de l’argent durant 3 à 4 mois mais vous en sortez toute l’année. »
Mis à part ces considérations financières et techniques, Michel l’avoue : « En une nuit de gelée, j’ai vu tout le fruit d’une année d’efforts de préparation et d’entretien s’envoler. Et maintenant, me lever tous les matins pour travailler à perte, c’est dur mentalement. Mais bon, je n’ai pas le choix, je dois continuer ». La déprime, Michel la ressent aussi quand il voit ses frigos industriels si peu remplis. C’est vrai : ils font peine à voir, alors qu’en cette période, ils devraient déborder de caisses bien fournies. Et s’il n’y avait que la quantité… « A cause du gel, j’ai des pommes marquées par un anneau brunâtre autour de la mouche (l’extrémité à l’opposé de la queue – NDLR). J’ai aussi des fruits dont la pelure présente de taches brunes et noires. Ça se vend mal. »
La pire récolte en un quart de siècle
Le fruiticulteur hannutois est loin d’être le seul à avoir souffert d’une météo anormalement froide au printemps. « Nous estimons que, pour l’ensemble des producteurs wallons, la récolte de pommes de cette année atteint à peine 10 à 15 % de celle de 2016. C’est la plus faible depuis 26 ans ! Les poires, elles, s’en sont mieux sorties, avec un résultat de 70 % par rapport à l’an dernier, » détaille Olivier Warnier, responsable du Centre fruitier wallon.
« Nous, nous avons subi 70 % de pertes en cumulant pommes et poires, témoigne Simon Van Parys qui, avec son frère Gabriel, exploite la Ferme du GaSi à Perwez. Pour nous, les pommes et les poires constituent six mois d’activité. Et bien, c’est simple : durant cette période nous devrons vivre avec 70 % de salaire en moins… Mais nous n’allons pas nous effondrer, nous allons continuer. » C’est le même discours que tient Pierre Lebrun, à la tête du verger de la Chise à Piétrebais. « Avoir 70 % de récolte en moins, c’est préoccupant. Heureusement que nous pouvons compter sur une réserve financière, grâce à la belle production de l’an dernier. »
La poire pour la soif
Si ces producteurs pensent pouvoir limiter la casse financière, c’est grâce à la moindre souffrance de la poire et, surtout, à la diversification de leurs activités. « Aujourd’hui, plus aucun fruiticulteur wallon ne produit à 100 % des pommes, assure Olivier Warnier. En moyenne, leurs vergers sont occupés à un tiers par des pommes et deux tiers par des poires. Et ils misent sur d’autres fruits. » Michel Stassen, lui, fait pousser des framboises. « Avec les poires, elles vont me permettre de garder mes comptes en équilibre », explique le producteur hannutois qui espère pouvoir éviter une demande de report de crédit à sa banque, tout en assumant l’ensemble de ses frais annuels. Pierre Lebrun, lui, s’est lancé depuis quelques années dans une activité de pressage de jus de fruits (pommes, poires et cerises notamment) qu’il vend dans sa boutique et qu’il distribue en grandes surfaces. Quant aux frères Van Parys, ils vendent leurs produits bio sur des marchés bruxellois et brabançons.
Les voilà donc tous la tête hors de l’eau. Mais pour combien de temps ? Et quel avenir attend le secteur ? « A l’exportation, nous avons déjà subi l’embargo russe sur les produits agricoles, ainsi que la forte concurrence polonaise qui bénéficie d’une main-d’œuvre beaucoup moins chère et de larges subventions européennes. Maintenant, nous devons composer avec une météo de plus en plus changeante, s’inquiète Michel. C’est un métier qui devient dangereux. Je ne conseille à personne de se lancer dedans et surtout pas à mes enfants. » La filière s’enfonce effectivement dans une grave crise qui en rappelle une autre : celle du lait.
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S'identifier Créer un compteQuelques règles de bonne conduite avant de réagir1 Commentaire
votre journaliste Julien Bosseler conclut son article en disant que la filière s´enfonce dans une grave crise rappelant celle du lait. Il ne faut pas exagérer: Car toute culture agricole fut toujours dépendante du climat,. Mais nos anciens étaient plus intelligents car ils plantaient differentes sortes, avec des floraisons differentes. J´ai un verger avec des arbres fruitiers centenaires et alternativement , ils portent encore.beaucoup. Donc diversifier et se plier aux lois de la nature.ce serait mieux.