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Fin de l’anonymat des cartes SIM: les opérateurs télécoms mitigés

Base craint une remise en cause du modèle économique de la carte prépayée.

Journaliste au service Economie Temps de lecture: 3 min

La volonté des ministres Alexander De Croo (Télécoms) et Koen Geens (Justice) d’obliger les acheteurs de cartes SIM prépayées à déclarer leur identité (Le Soir du 16 juin) suscite des sentiments mitigés chez les opérateurs télécoms. S’ils se déclarent ouverts à la discussion et trouvent des avantages au projet, ils ont des inquiétudes quant aux modalités pratiques de mise en œuvre.

A l’origine, la fin de l’anonymat vise à faciliter le travail de la police qui doit aujourd’hui déployer des moyens importants et coûteux pour identifier les personnes qui se cachent derrière des coups de fil suspects. Mais les opérateurs télécoms y trouvent aussi un intérêt. Cette obligation leur permettrait de connaître leurs clients prépayés, ce qui est précieux d’un point de vue commercial. Ils pourraient leur proposer de nouveaux services, essayer de les convaincre de souscrire à un abonnement, formule plus intéressante financièrement parlant. « Mieux on connaît nos clients, mieux on peut les servir », réagit Jean-Pascal Bouillon, porte-parole de Mobistar, qui se dit plutôt favorable au projet. Cela fait d’ailleurs longtemps que des opérateurs encouragent les détenteurs de cartes sim prépayées à s’identifier volontairement. Chez Base par exemple, malgré l’absence d’obligation, 51 % des détenteurs de cartes prépayées se sont identifiés. « Nous le leur demandons via l’envoi d’un SMS dès qu’ils activent leur carte ou dans nos Base shops », explique François Bailly, porte-parole.

Des inconvénients plus lourds que les avantages pour les opérateurs

Certains opérateurs craignent néanmoins que les avantages de cette nouvelle obligation soient largement contrebalancés par les inconvénients. C’est le cas chez Base. 50 % de ses cartes prépayées sont vendues via internet ou via des circuits parallèles aux boutiques télécoms : night-shops, supemarchés, librairies, pompes à essence,… Si demain la vente de ces cartes est liée à toute une série de formalités administratives à remplir à la caisse, ces canaux de distribution vont-ils vouloir continuer à proposer ce produit ? Le doute est permis. «  De plus, ces commerçants ne disposent pas des moyens techniques pour assurer l’identification correcte des acheteurs, souligne François Bailly. In fine, une telle obligation risque de remettre en cause le business model de la carte prepaid ». Formule qui rencontre beaucoup de succès auprès des populations les plus fragilisées ;

Plus généralement, les opérateurs craignent le coût opérationnel que cela va représenter. Il va falloir mettre en place des systèmes de récolte des données personnelles qui remontent des points de vente, bâtir de nouvelles bases de données… Des dépenses qui pourraient peser lourdement sur les finances de certains petits MVNO (opérateurs virtuels) qui ne vendent que des cartes prépayées afin de maintenir une structure de coûts la plus légère possible.

Une question centrale taraude aussi les opérateurs : l’obligation de s’enregistrer vaut-elle uniquement pour les nouvelles cartes sim vendues ou pour toutes les cartes en circulation ? Dans la seconde hypothèse, les opérateurs devront déployer d’importants efforts pour contacter tous leurs clients et les convaincre de s’inscrire. Plusieurs millions de cartes prépayées à mettre en conformité, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Et avec quelle sanction à la clé si l’utilisateur n’obtempère pas ? Une coupure de la ligne ? Avec quel impact commercial (perte de clients) ?

Enfin, certains insistent sur le fait que tous les fournisseurs de services de télécommunication doivent être logés à la même enseigne, y compris les acteurs OTT (internet) tels que Whatsapp, Skype ou Viber qui sont également très prisés par les criminels pour passer leurs coups de fil de façon anonyme.

 

Bientôt la fin de l’anonymat des cartes prépayées?

Des discussions ont lieu au cabinet De Croo pour supprimer l’anonymat. La Belgique devient une exception européenne. Ce n’est pas la panacée pour lutter contre la criminalité.

Journaliste au service Economie Temps de lecture: 4 min

Téléphoner avec son GSM dans la discrétion la plus complète, c’est peut-être bientôt fini. Selon nos informations, des discussions ont lieu entre le cabinet du ministre des Télécoms, Alexandre De Croo, celui du ministre de la Justice, Koen Geens, l’IBPT (le régulateur) et les opérateurs télécoms en vue de mettre un terme à l’anonymat qui prévaut lors de l’achat d’une carte sim prépayée. Contrairement à de nombreux pays européens, la législation belge n’oblige pas les acheteurs de ces cartes disponibles un peu partout (supermarchés, night-shops…) à déclarer leur identité au vendeur.

Mettre fin à cette situation est une vieille demande des forces de police qui, dans le cadre d’une enquête judiciaire, peinent à identifier les personnes se cachant derrière ces numéros de téléphone. Au cabinet de Koen Geens, on nous confirme que le ministre soutient pleinement cette demande. Elle émanerait aussi des services d’urgence qui pourraient travailler de manière plus efficace dans certains cas si l’identification des appelants était plus aisée. Les opérateurs, eux, ne demanderaient pas mieux. Cela leur permettrait de connaître commercialement parlant cette frange de leur clientèle. Fin 2013, les cartes prépayées représentaient 40 % des cartes sim en circulation en Belgique.

Vu l’absence de données d’identification chez les opérateurs, les forces de police qui enquêtent sur un numéro « prépayé » doivent mettre en œuvre des méthodes particulières longues et coûteuses. Il faut procéder par recoupement : en analysant quels numéros sont appelés à partir de cette ligne, depuis quels endroits (triangulation), à partir de quel GSM (ceux-ci laissent des traces sur les réseaux). Des méthodes moins fiables et bien plus intrusives pour la vie privée des gens qu’une simple demande d’identification à un opérateur télécom… Parfois les choses sont plus simples : si la personne a acheté sa carte ou l’a rechargée via un terminal de paiement ou internet, il « suffit » de s’adresser à la banque pour retrouver sa trace. Dans certains cas par contre, toute identification est illusoire. Par exemple lorsque quelqu’un achète une carte sim prépayée et un nouveau GSM en cash et se débarrasse des deux aussitôt les appels compromettants passés.

Une bonne chose

« L’obligation de s’identifier à l’achat d’une carte prépayée serait une bonne chose, réagit Alain Grignard, spécialiste de l’antiterrorisme à la police judiciaire fédérale. Je ne vois pas en quoi cela restreindrait les libertés individuelles et cela nous faciliterait la vie. Dans certaines affaires, on se retrouve avec des dizaines voire des centaines de numéros qu’on ne peut relier à personne ».

Pour lui, c’est néanmoins loin d’être la panacée. « Pour la criminalité la plus basique, cela nous sera utile mais les grands criminels, eux, trouveront toujours des filons pour obtenir des cartes sim anonymes. Déjà aujourd’hui, nous sommes confrontés à des cartes dont on se demande d’où elles viennent (Chine…)… » Rien n’empêchera non plus les personnes mal intentionnées de faire acheter leurs cartes prépayées par des tiers à qui on aura fait miroiter un beau bénéfice. Restent aussi les téléphones satellites, difficilement traçables.

80 pays en 2013

L’identification obligatoire des détenteurs de cartes prépayées s’est propagée rapidement dans le monde ces quinze dernières années dans la foulée des attaques terroristes. Les bombes placées dans les trains à Madrid en 2004 ont par exemple été actionnées à distance par des téléphones équipés de ces cartes. Selon un rapport de la GSMA, l’association mondiale des opérateurs mobiles, au 1er juillet 2013, 80 pays obligeaient leurs citoyens à s’identifier à l’achat d’une carte prépayée ou étaient sur le point de l’imposer (voir ci-contre). Parmi ceux-ci, nos voisins : France, Allemagne, Pays-Bas.

Beaucoup font remarquer qu’aucune étude n’a jamais démontré de lien entre l’obligation de s’identifier et le taux de criminalité. La GSMA cite l’exemple du Mexique qui a introduit cette mesure en 2009 puis a fait marche arrière trois ans plus tard, après qu’une évaluation a démontré que cela n’avait pas contribué à faciliter les enquêtes et la poursuite des criminels. Au Royaume-Uni, la question a également été étudiée. Les experts ont finalement conclu que cette obligation n’apporterait aucun bénéfice significatif.

Par ailleurs, elle inquiète les défenseurs des droits fondamentaux. « C’est une ingérence dans la vie privée des gens, estime Wim Debeuckelaere, président de la Commission vie privée. Toute la question est de savoir s’il y a une proportionnalité entre le bénéfice que l’on peut espérer retirer de la mesure et ses effets négatifs ». Le contexte n’est guère favorable. Jeudi dernier, la Cour constitutionnelle a rappelé l’importance que revêtait à ses yeux la vie privée en annulant la loi belge sur la conservation des données internet.

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