Ronald Desruelles, la fin tragique d’un sprinter incompris

Il avait disparu des radars de l’athlétisme belge depuis de nombreuses années. Ce dimanche, Ronald Desruelles, qui détient toujours les records de Belgique du 100 m (10.02) et du 60 m en salle (6.56), a été retrouvé mort par sa compagne dans la salle de bains de son appartement de Phuket, en Thaïlande. Criblé de dettes, incapable de payer les salaires des employés des trois restaurants qu’il y possédait, l’Anversois, âgé de 60 ans, n’a trouvé que la pendaison comme issue. Une fin tragique pour un homme à la carrière flamboyante et controversée. Une carrière qui s’est étendue du milieu des années 70 jusqu’à la fin des années 80 et qui a été parsemée de plusieurs médailles européennes, toutes décrochées en salle. C’est en longueur que le grand frère de Patrick, le meilleur perchiste belge de l’époque, connaît ses premiers succès et qu’il se qualifie pour sa première grande compétition aux Jeux de Montréal, en 1976. Deux ans plus tard, à l’Euro indoor de Milan, il s’empare de l’argent, et en 1980, il monte sur la plus haute marche du podium à Sindelfingen après être retombé à 8,08 m. Un triomphe de courte durée puisqu’il est convaincu de dopage aux anabolisants ; son médecin lui avait prescrit, le jour de la compétition, du Dianavit, qu’il avait lui-même renseigné aux contrôleurs, ne se doutant pas qu’il contenait un produit interdit… Il écope de 18 mois de suspension et loupe les Jeux de Moscou. Ce coup d’arrêt ne va pas le freiner. Une fois sa sanction terminée, après quelques mois passés à « se chercher », il confie sa destinée à Roger Lespagnard chez qui il arrive en 1983. L’entraîneur liégeois modifie le départ de son nouvel élève et les résultats ne vont pas tarder à suivre, en sprint cette fois. En mars 1984, Desruelles finit 3e sur 60 m à l’Euro en salle de Göteborg, performance annonciatrice d’un bel été qui doit forcément culminer aux Jeux de Los Angeles. Las !, il va y connaître la plus grosse désillusion de sa carrière en se blessant à la cuisse en décélérant à l’arrivée de sa série du 100 m, qu’il avait facilement remportée. « Il était pourtant en super forme, soutient Lespagnard encore aujourd’hui. Je continue à penser qu’il serait arrivé en finale comme seul Blanc sans cette blessure… » En 1985, Ronald Desruelles entame son année avec deux nouvelles médailles de bronze en salle sur 60 m à l’Euro d’Athènes et aux premiers Jeux mondiaux, à Paris. Et, en mai, « claque », sur 100 m, à Liège, un 10.02 qui en fait le nouveau recordman de Belgique de la distance. Problème : le vent qui souffle trop fort pour toutes les autres courses du programme de la réunion est subitement valide pour la sienne. Du coup, sa performance, reconnue par la Ligue belge, ne sera jamais homologuée par la Fédération internationale, qui remet en cause la lecture de l’anémomètre. « Je reste convaincu que ce chrono était valable, affirme Roger Lespagnard. A cette époque, il valait ces 10.02 qu’il a, c’est vrai, courus ce jour-là dans des conditions idéales dans un petit meeting où il n’avait pas de concurrence, ce qui était idéal pour lui. Car s’il était extrêmement doué, Ronald avait tendance à se crisper quand l’enjeu était trop important ; il avait alors du mal à terminer ses courses. » Un problème qu’il connaît moins sur 60 m. En 1986, à l’Euro en salle de Madrid, il remporte enfin le titre après lequel il court depuis tant d’années. Deux ans plus tard, à Budapest, il complète sa collection avec une médaille d’argent, ultime trophée qui sera son chant du cygne. Quelques mois plus tard, en effet, il manquera sa sélection pour les Jeux de Séoul au bénéfice de Patrick Stevens, qui le bat en finale des championnats de Belgique, et ne parviendra plus à inverser la tendance malgré son passage, la même année, chez l’entraîneur hollandais Henk Kraaijenhof. [scald=146998:sdl_editor_representation] Au-delà de ses performances réussies grâce à un talent pur incontestable, Desruelles, c’était aussi une certaine arrogance vis-à-vis de ses adversaires et d’une fédération qu’il critiquait régulièrement. C’était aussi un look inimitable. Très soucieux de son image sur la piste, celui que le milieu appelait un peu ironiquement « le beau Ronald » arborait inévitablement des chaussettes hautes qui lui arrivaient jusque sous les genoux et un short ultra court qu’il n’oubliait jamais de remonter au maximum. Il était également obsédé par la hantise de perdre ses cheveux qu’il recoiffait constamment d’un revers de la main. « Je me rappelle l’avoir vu un jour arriver à l’entraînement, à Cointe, au volant d’une grosse américaine décapotable de couleur rouge !, raconte Didier Falise, l’ancien recordman de Belgique du triple saut, qui faisait, comme lui, partie du « groupe Lespagnard ». Cela nous avait tous bluffés. Mais c’était fondamentalement un gars timide, hypersensible, avec lequel j’ai entretenu d’excellents rapports. Nous étions très complices, on partageait pas mal de choses. Je me souviens qu’il avait notamment sollicité mon aide pour s’esquiver du village des athlètes lors de l’Euro 86, à Stuttgart, pour échapper aux journalistes parce qu’il avait complètement loupé ses championnats ! » Quelques années après la fin de sa carrière, il est approché par Patrick Stevens, qui a pris sa succession comme sprinter belge nº 1. Le Limbourgeois cherche à gagner en explosivité et estime que Desruelles, qui a fait ses preuves sur 60 m, peut l’aider en tant que coach. Leur fructueuse collaboration durera un peu plus de trois ans, entre juillet 1993 et septembre 1996. « Ronald avait énormément de compétences et était très méticuleux, affirme Stevens. Il m’a beaucoup appris. C’est d’ailleurs avec lui que j’ai fait mes meilleurs résultats. Mais c’était aussi un grand incompris. En raison de son passé et parce qu’il n’avait pas de diplôme d’entraîneur, il a toujours été considéré comme un paria par les instances dirigeantes qui ne l’ont jamais autorisé à m’accompagner dans les grands championnats, pas même aux Jeux d’Atlanta, où j’ai atteint la finale du 200 m (7e). Je sais qu’il en souffrait et qu’il cherchait à restaurer sa réputation à travers moi. » La fin de la collaboration entre les deux hommes, après les JO 1996, signifiera aussi la fin de sa carrière d’entraîneur. Et son départ vers d’autres cieux après quelques virages improbables – dont une candidature aux élections communales d’Aartselaar sur les listes du Vlaams Blok. « La dernière fois qu’il m’avait contacté, c’était en 2002, pour me féliciter de la naissance de ma fille, conclut Patrick Stevens. Depuis lors, je n’avais plus eu de ses nouvelles… »

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