Il y a dix ans dans Le Soir: «Le titre de séjour grâce à l’empreinte génétique»

(article paru le 25 Octobre 2007) Quand j’ai appris les résultats, j’ai explosé de joie. Ça restera le plus beau jour de ma vie . » C’était le 15 avril dernier. Un appel téléphonique de l’Office des étrangers. Saleh Bin Ramazani, 33 ans, réfugié congolais, apprend que son épouse, Amouli Mami, et ses trois enfants, Jordan (6 ans), Declerck (5 ans) et Gabriel (3 ans) sont autorisés à le rejoindre en Belgique. Sur base de tests génétiques, dits tests « ADN », les liens de parenté sont avérés : après trois ans de séparation, Saleh et les siens, originaires de Bukavu, sont admis au regroupement familial. Trois ans qu’ils l’attendaient. « Au départ, raconte ce jeune homme sous contrat dans une société de construction hennuyère, je pensais que les actes d’état civil et l’attestation de mariage suffiraient. On m’a dit : le Congo n’est pas suffisamment fiable . » Le test ADN s’impose, estime l’Office. Prises de sang au Congo et à Bruxelles, envoi par colis express, analyse génétique… Saleh s’y plie. « C’est particulier comme démarche et puis on se met à douter : finalement, s’agit-il bien de mes enfants ? Quand mon épouse a signé la demande au Congo, j’ai été rassuré . » Le 30 avril, soit 15 jours après l’annonce des résultats, la famille est réunie. Oubliés les surcoûts prohibitifs (1.000 euros), les tracas administratifs, les malaises conjugaux. Aujourd’hui Saleh Bin et les siens respirent : « Une nouvelle vie commence »… Le recours aux tests génétiques dans le cadre du regroupement familial ? La législation belge le permet depuis 2003. Sans que cela ne provoque un tollé général comme en France, où le projet de loi sur la maîtrise de l’immigration a été voté au terme d’un violent débat politique (lire ci-dessus). Abus de la génétique ? Banalisation des tests ADN ? Outil de répression ? Vision réductrice de la notion de la filiation ? « Le contexte belge me semble très différent, plaide Anne Sterpin, responsable du regroupement familial au sein de l’Office des étrangers. Notre procédure de tests a été mise en place après concertation avec le secteur (SPF Affaires étrangères, avocats, éthiciens…) pour venir en aide aux demandeurs, pour protéger les enfants et, in fine, pour prévenir les abus. » L’Etat a passé un contrat avec l’hôpital Erasme (ULB). Il s’agit d’un projet « pilote », évalué de façon continue. En quatre ans, 3.578 demandes de tests ont été effectuées : 449 se sont soldées par un abandon, 2.725 ont donné lieu à une analyse complète. « Dans 92,8 % des cas, ces tests se sont soldés par un résultat positif : le lien de paternité a été prouvé », relève le Dr Catherine Streydio, en charge du laboratoire des empreintes génétiques. C’est la loi belge du 15 décembre 1980 consacrant le droit au regroupement familial qui sert de cadre légal. Elle permet à un réfugié reconnu, ainsi qu’à toute personne étrangère autorisée à s’établir définitivement en Belgique, de faire venir son conjoint et ses enfants (de moins de 18 ans). Mais l’intéressé doit apporter la preuve des « liens de parenté ou d’alliance invoqués ». En présentant, en priorité, tous les documents officiels nécessaires (extraits d’acte de naissance, carnet de mariage…). « Dans certains cas, ces documents sont non probants ou inexistants », constate Anne Sterpin. D’où l’idée du législateur de « proposer, le cas échéant, toute analyse complémentaire ». La procédure ? Deux échantillons de sang sont prélevés auprès des enfants, de la mère biologique et/ ou du père présumé. Dans le pays d’origine, le prélèvement se fait en présence d’un agent diplomatique. Les éprouvettes sont envoyées (via DHL) au laboratoire d’Erasme. « Accord écrit des parties, soucis d’information, sécurisation des données… Rien n’est laissé au hasard , insiste le Dr Streydio. Une procédure coûteuse (200 euros par test), relativement rapide (4 à 8 semaines) et totalement fiable. Dans la majorité des cas, le lien de parenté est confirmé. On ne peut pas se tromper, c’est la vie de famille qui est en jeu. D’où notre approche humaine . » « Au départ, les ONG et les avocats étaient plutôt partisans de ces tests qui permettaient, par exemple, de confirmer un regroupement familial dans le cas d’un pays où l’état civil est défaillant ou lorsqu’il y a de fortes présomptions de fraude », note Pierre-Arnaud Perrouty, juriste à la Ligue des droits de l’homme. En 2003, l’Office des étrangers travaillait avec 9 ambassades (Congo, Guinée, Ghana…). Aujourd’hui 21 pays sont concernés. « La pratique devient de plus en plus systématique. On pousse les intéressés à recueillir les documents, tout en sachant qu’on va leur demander in fine un test ADN », regrette Perrouty. « Quand on commence à mettre en doute la validité de documents délivrés dans certains pays d’Amérique latine, je m’interroge », ajoute Anne-Françoise Bastin, de l’association Aides aux personnes déplacées. Un ultime « moyen de preuve » au service des familles, le test ADN ? Pour le secteur des ONG, il devient, petit à petit, un élément de plus dans l’arsenal belge limitant insidieusement le droit à vivre en famille. Un droit pourtant consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Désormais, le candidat au regroupement doit bénéficier d’un logement « suffisant » 15 mois avant l’arrivée des siens. Son épouse doit percevoir un revenu minimum équivalent à 125 % du minimex. « Ça n’est pas sans conséquences sur la vie des familles », déplore Anne-Françoise Bastin. Dans ce contexte, le test ADN est tantôt une aubaine pour faciliter les retrouvailles, tantôt une épreuve pour le couple et les enfants. « Dans le cas de Rwandais déplacés en Ouganda ou de Tibétains qui se sont mis à l’abri en Inde, il est impossible d’avoir accès à des documents officiels ou de les traduire, le test est un moyen efficace pour prouver la filiation, constate Bénédicte Leloup, du service « tracing » de la Croix-Rouge. Reste le prix, très coûteux, et les modalités pratiques. Apprendre par téléphone que l’on est bien le père d’enfants que l’on n’a pas vus depuis des mois, c’est peu commode . » Relations extra-conjugales, cas de fausse paternité, réalités familiales multiples… Dans une minorité de dossiers, une filiation que l’on croyait certaine s’avère négative. « C’est très douloureux à découvrir, ajoute une assistante sociale d’ONG. Il peut y avoir un fossé entre la génétique et la vie d’une famille où, par exemple, l’on a pris en charge un neveu ou une cousine dès sa naissance. » Prouver l’adoption ou la tutelle ? Souvent, il n’existe aucun document officiel, l’Office exige des jugements supplémentaires, les coûts de procédure rebutent les demandeurs… Avec des drames à la clé. Des familles divisées. Des dettes qui s’accumulent. Des enfants mineurs qui atteignent la majorité et se voient privés de regroupement. C’est la face moins humaine de la Belgique « au service » des familles. Des réfugiés, régularisés, étrangers autorisés à s’établir. Et pour leurs enfants de cœur ? Sans chromosome pour preuve, pas d’accès au territoire.

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