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La crise catalane, la logique du pire

On représente souvent la crise catalane comme un bras de fer entre Madrid et Barcelone. Il n’en est rien : le face-à-face a tout d’un choc frontal. Une carte blanche de Grégoire Polet.

Carte blanche - Temps de lecture: 5 min

Je ne suis pas sûr qu’en Belgique on voie clair dans la question catalane.

On parle d’un « jeu malsain » entre Puigdemont et Rajoy, on se demande si Puigdemont convoquera des élections anticipées pour « couper l’herbe sous le pied du Premier ministre espagnol » qui activerait l’article 155 « pour avoir les coudées franches ». Bref, on se représente le problème catalan comme un bras de fer. C’est une erreur.

L’image utilisée en Catalogne depuis 2010 au moins, n’a jamais été celle d’un bras de fer mais toujours celle d’un « choque de trenes » : un accident ferroviaire, un frontal entre deux trains, avec constat de sinistre total. C’est la stratégie prévue de longue date.

Il ne s’agit pas dans cette histoire d’un rapport de forces classique. L’indépendantisme catalan sait pertinemment depuis le début qu’il n’est pas armé pour lutter contre Madrid, puisque Madrid détient la Loi, la Constitution et l’Europe.

Le sens du tragique

Contre Madrid et sa loi, les indépendantistes catalans ne disposent que de deux armes un peu faibles : une légitimité au parlement régional (coûteuse, fragile et contestée) et la mobilisation citoyenne (presque indéfectible, elle, mais dont le peu démocratique adversaire à Madrid se moque éhontément). Plus une arme secrète et terrible, qui se trouve dans l’identité culturelle catalane, dont personne ne prend la mesure à l’étranger : le sens du tragique.

Qu’a fait Madrid ?

Madrid, sachant que l’indépendantisme catalan n’a pas et ne peut pas avoir les moyens de ses ambitions, a suivi dès le début la même stratégie : le laisser-faire. Le mot d’Aznar : « La Catalogne cassera avant de casser l’Espagne ». C’est la technique de Sun Tzu : laisse ton ennemi s’anéantir de lui-même.

Qu’a fait Barcelone ?

La Catalogne a fourbi ses deux seules armes. La mobilisation citoyenne, d’abord, qui fut comme un cadeau du ciel. Personne n’avait prévu le « million » qui chaque 11 septembre depuis 6 ans défile à Barcelone. Ensuite, deuxième arme, la fondation sur cette immense foule d’une majorité politique. À coup d’élections anticipées, l’ex-président catalan Artur Mas est parvenu à regrouper une majorité absolue pro-indépendance au parlement régional. Majorité improbable, réunissant tout le spectre politique de l’extrême gauche léniniste à la droite catholique, et dont a hérité, un peu inopinément, le candidat Puigdemont, dont la charge politique majeure n’avait encore été que le mayorat de Gérone. (Un bazooka dans les mains d’un enfant.)

Catastrophe diplomatique

Le ciment de cette alliance impossible, c’est la ferme volonté d’obtenir l’indépendance. Comme me le disait encore un ami proche du gouvernement : « la Déclaration d’indépendance, c’était dans le programme ». Chaque parti, pris à part, a son côté modéré, mais mis ensemble ils ne tiennent que par leur côté le plus radical. C’est de ces détails-là que sortent les catastrophes diplomatiques. Tous les partis de la majorité catalane sont pris en otage par leur aile la plus radicale.

Madrid, comme je l’ai dit, quoi qu’il arrive, continuera d’agir comme un robot. Avec autant d’âme, de cœur et d’intelligence.

Mais en face, les Catalans risquent de chercher, à défaut d’une victoire, le salut dans le pire. Et faire appel à la dignité des martyrs. C’est un point commun que les Catalans ont avec d’autres peuples tragiques (les Israéliens, les Serbes, entre autres) : leur identité nationale est liée à la commémoration émue, chaque année, d’une grande défaite militaire, d’une catastrophe nationale (pour la Catalogne, le 11 septembre 1714). La catastrophe revêt ainsi un symbole identitaire et, bizarrement, la défaite devient une manière d’être soi-même contre les autres. Le récent best-seller des indépendantistes ne s’intitule-t-il pas : Victus (Roman de Sánchez Piñol sur les événements de 1714) ?

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Cette donnée psychologique n’est pas à négliger, hélas, pour anticiper l’irrationalité où le processus catalan va continuer de se jeter, à cause de Madrid.

Nous assistons à la confrontation de deux positions qui ont tort. C’est la base d’une tragédie. Madrid a tort, parce que la seule addition d’une Constitution et du suffrage universel ne suffisent pas à faire une démocratie, si la voix des minorités n’y est pas entendue et respectée. Or, depuis 2012 des millions de voix citoyennes en Catalogne expriment haut et fort leur détresse, que le gouvernement conservateur (PP) espagnol s’est plu à discréditer internationalement et à ignorer avec une ostentation presque haineuse.

Le gouvernement catalan a tort aussi, parce qu’il ne suit plus une politique mais une mystique, dont la logique du pire n’est pas exclue, trahissant ainsi le devoir d’un gouvernement, qui est de protéger.

La tactique Sun Tzu

Il est peu probable que Puigdemont convoque des élections. Pour que l’indépendance de la Catalogne fonctionne, Puigdemont a besoin de légitimité internationale. Il ne peut plus en obtenir autrement qu’en poussant Rajoy à perdre la sienne.

Le plan indépendantiste consiste désormais à ne plus rien lâcher et à appliquer à son tour la tactique Sun Tzu : résister, ne pas bouger, rester têtu, paisible et non violent, pousser Rajoy et sa Guardia civil à se transformer aux yeux du monde en bourreaux.

L’impossible prise de contrôle de l’administration catalane par des fonctionnaires féaux à Madrid, attendue sous peu, continuera d’œuvrer en ce sens.

Jusqu’où ira la casse qu’Aznar prédisait ?

* Grégoire Polet a habité à Barcelone de 2008 à 2015. Il est également auteur de romans dont Barcelona ! (Gallimard, 2015) et TOUS (Gallimard, 2017).

 

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5 Commentaires

  • Posté par Pablos Gino, jeudi 26 octobre 2017, 17:15

    Sincèrement je pige pas,que veulent ces catalans,ils ont leur gouvernement,police,loisir de parler leur langue et l'enseigner,alors.....Je crois que le temps de la geurre civile et son cortège d'horreurs de la part de Franco est tout de même révolu .Pour moi c'est du grand n'importe quoi,les bretons fran çais ont fait leur maladie,puis les flamands et ça commence à leur passer,les basques,les lombards et autres habitants de vénitie etc etc.Tant qu'on y est reconstruisons des châteaux forts et revenons en aux bonnes et vieilles seigneuries,le féodal était tellement égalitaire et démocratique.

  • Posté par Gratter Poil, mardi 24 octobre 2017, 22:24

    Je ne suis pas sûr d’y voir beaucoup plus clair dans la question catalane après avoir lu cette contribution.

  • Posté par Sophie Boudoir, mardi 24 octobre 2017, 22:23

    La réalité en Catalogne, au délà de la propaganda et fake news denoncées par la presse internationale, en trois lignes: 1) la majorité ne veut pas l'indépendance que M Puigdemont veut l'imposer, 2) le gouvernement catalan se radicalise et son programme n'a plus de contenu qualitatif: Quid du social, l'économie,l'environnement, du transport... 3) fuite en masse des entreprises, epargnes, turistes... La Catalogne somme avec les independentistes, et son gouvernement fuit vers l'avant vers nulle part

  • Posté par Gratter Poil, mardi 24 octobre 2017, 22:20

    Si toutes les Régions d’Europe devaient proclamer leur indépendance par manque de solidarité pour leur voisin, on retournerait tout droit au Moyen Age. Qu’on nous épargne ce bond en arrière et que Madrid restaure au plus vite l’Etat de droit en Catalogne.

  • Posté par Etienne Van den Eeckhoudt, mardi 24 octobre 2017, 17:06

    Lorsque les citoyens ne peuvent pas s'exprimer par les urnes il leur reste le choix entre la soumission et la violence. Il est à craindre qu'une partie de la population ne se résignera pas.

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