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Albert Dupontel: «Ce qu’on fait de l’homme est détestable»

Albert Dupontel s’est emparé du roman de Pierre Lemaitre pour en faire un bouleversant spectacle qui raconte le cynisme du monde et l’élégance de la création : « Au revoir là-haut ».

Entretien - Journaliste au service Culture Temps de lecture: 8 min

Albert Dupontel a un débit de mitraillette. Il parle en rafale, passant d’une idée à l’autre sans perdre le fil de sa pensée pour raconter avec enthousiasme son adaptation du roman de Pierre Lemaître, Goncourt 2013, et le fabuleux terrain de jeu que cela lui a offert. Après Bernie, Enfermés dehors et Neuf mois ferme, il signe avec Au revoir là-haut un sixième long-métrage ambitieux, romanesque et politique qui dénonce ceux qui, sans foi ni loi, dominent le monde.

Le roman de Pierre Lemaitre est une métaphore de notre société puisqu’il parle des faibles qu’on écrase de plus en plus et des riches qui s’enrichissent de plus en plus rapidement. L’adapter, était-ce une manière « plus douce » de crier votre colère ?

Effectivement. Gamin, je n’arrivais pas à comprendre la réalité, donc je m’évadais dans le cinéma. Encore aujourd’hui, je comprends mieux la réalité depuis l’imaginaire. Là, j’avais une extraordinaire métaphore de la société. À travers cette histoire, je témoigne d’une époque que je traverse et que je ne comprends pas. C’est aussi une histoire universelle du rapport entre un père maladroit et un fils incompris. Moi, je n’ai pas eu ce traumatisme. J’ai été un enfant aimé. Pourtant quelque chose me travaille dans la relation à l’enfance. J’ai retrouvé dans le livre de Pierre tous les archétypes sociaux dont je parle dans mes petits films névrotiques. Dans mes films, ce sont toujours des pauvres gens écrasés par un système, qui essaient de s’en sortir. Le fait de passer par ce livre, par la grande et la petite histoire, était très intéressant. Cela me permettait d’« ouater » un peu ma frontalité et de m’amuser avec la caméra.

En voyant votre film, on sent que ce fut un bonheur de cinéaste…

Totalement. Dans mes propres films, je m’estime auteur limité qui ne fait que réexplorer sa cage mentale un peu redondante. Avec le temps, il est de plus en plus difficile de se réinventer. Et là arrive le livre de Pierre et tout est évident. J’y retrouve mes repères. Je sens que tout est prétexte à s’amuser avec la caméra. Car c’est un récit épique, picaresque, qui permet un foisonnement d’inventions, de costumes, de masques, de mouvements de caméra. Le livre de Pierre était un terrain de jeu fantastique. Les masques du livre sont plus réalistes, ces masques dans lesquels Édouard se cache le visage, certes avec inventivité, mais pas forcément avec des références à l’époque. Dans le film, c’est l’occasion de raconter une époque, Paris d’il y a cent ans. Paris est la plaque tournante de toutes les mutations artistiques de l’époque. Donc, on va piocher dans le répertoire. Puis les masques de Cécile Kretschmar prennent une importance vitale.

Vous revenez à la fois à la tragédie grecque et aux débuts du cinéma ?

Je témoigne d’une époque très riche artistiquement, très visuelle. L’image fait directement appel aux autochromes. Cela donne des images très émouvantes, avec des contrastes curieux, une patine d’image forte. Même si on tourne en numérique – le numérique permet de mentir tous azimuts –, on a menti. Faire croire qu’on est il y a cent ans, époque terrible et magnifique. La technologie va permettre de faire la guerre avec une sauvagerie jamais égalée. D’un autre côté, il y a ces témoignages visuels avec les premières caméras. Les peintres sont en pleine mutation avec le cubisme, le dadaïsme, le surréalisme. Édouard Péricourt est forcément au courant de tout ce qui se passe. Il l’exprime dans ses masques. Pour moi, c’est le plaisir immense d’une référence à la tragédie grecque comme à Cocteau. On décline ce concept tout au long du film.

Vous mentez, mais comme ment Pierre Lemaitre qui joue avec le vrai/le faux, le réel/l’irréel ?

Complètement. En tant que spectateur, j’aime bien qu’on me mente. Oui, tout est faux dans mon film. Un plan sur quatre est truqué, dont le Paris des années 20 qui a été intégralement reconstitué en 3D. Mais les émotions des personnages sont très sincères. Mon personnage Albert Maillard, écrasé par ce qui se passe, est un homme qui a comme ambition d’être honnête, ce qui est une faiblesse dans le monde terrible qu’il est en train de traverser. À ses côtés, il y a ce grand humaniste qu’est Édouard Péricourt. C’est ce personnage qui m’intéressait le plus. Car il n’y a que les artistes pour témoigner de manière élégante. À travers ses dessins et ses masques, Édouard témoigne de la folie du monde.

Y a-t-il une autre issue que la mort quand on a conscience du chaos ?

Il faut un peu de trivialité pour vivre. La spiritualité et la forme artistique peuvent aider. Mais quand on souffre trop, on n’y arrive plus. Personne très sensible, Édouard Péricout a cette conscience. Il faut suffisamment être vulgaire pour rester en vie longtemps. Boire, manger et aimer donnent un sens à la vie. Boire et aimer, c’est exister. Aimer, c’est vivre. Le sens de la vie est vraiment dur à percevoir mais il faut accepter ce doute. J’en veux personnellement à toutes les institutions qui essaient de nous expliquer le sens de la vie. Les marchands n’ont d’autre ambition que de nous transformer en consommateurs : produisez, consommez, mourez. Ne fût-ce que pour ça, il faut lutter contre. Car vivre est exceptionnel et on va témoigner. C’est ce que fait Édouard avec ses dessins et ses masques. Il souffre et le dit à travers ses œuvres.

Comme vous en tant que cinéaste ?

Oui, mais moi, ça vire souvent à la colère. Chaplin raconte brillamment l’époque terrible qu’il traverse. Son génie est de nous raconter des histoires tristes en nous distrayant. Si c’est pour se plaindre devant une caméra en tant qu’auteur obscur et engagé, on ne rend pas hommage à sa fonction d’artiste. Dans les influences que j’avais à 20 ans, il y avait les cinéastes visuels et distrayants comme Terry Gilliam avec Brazil, Paul Verhoeven avec Robocop ou encore Elem Klimov avec Come and see. J’aime cette façon de restituer ce constat extérieur via la distraction. C’est aussi ma quête. Là, je le fais dans une grosse production. Pour le prochain film, je reviendrai à un budget plus modeste mais avec la même ambition : raconter l’humain en disant que c’est un individu incroyable, mais ce qu’on en fait est détestable. Cela commence à l’école quand on nous met en compétition. Moi, adulte, je me rends compte que j’ai passé mon temps à régler des comptes avec mon enfance comme la plupart d’entre nous. Ça commence là. Le livre de Pierre me donnait un matériau extraordinaire. Je suis incapable d’écrire un tel livre, mais j’en ressens puissamment les émotions. Quand je vais aux racines de ça, Pierre Lemaitre confirme que ce sont les mêmes que les siennes.

En postface de son roman, il rend hommage aux auteurs auxquels il a emprunté. Vous, quels sont vos emprunts ?

J’arrive après plus de cent ans de cinéma… Je ne peux rien inventer, je ne peux que copier. Il y a délibérément Buster Keaton. Des références directes aux Lumières de la ville ou The kid, de Chaplin. Le fond et le propos politique, c’est Chaplin qui le véhicule. J’ai lu tous les livres de Erich Maria Remarque, qui parle de l’après-guerre. Il y a aussi Les croix de bois de Raymond Bernard tiré du roman de Roland Dorgelès, et Wings, de William Wellman, film de 1927 fait sans trucage… J’adore le western spaghetti. Il y a une musique de Ennio Morricone dans le film.

Rôles principaux et rôles secondaires, vous avez soigné le casting. Parlez-nous de Nahuel Perez Biscayart

Il n’avait pas encore fait 120 battements par minute. Je l’ai découvert lors d’un casting. Je désespérais de trouver un Édouard, je me disais que c’était un rôle ininterprétable. Quand Nahuel entre dans la pièce, je suis tout en éveil et je sens qu’il a quelque chose. Il y a sa façon de marcher, ses yeux, son expressivité, son recul. Il ne connaît rien à la culture française, il ne sait pas qui je suis. J’y vois un Péricourt potentiel. Je fais plusieurs essais. On travaille huit mois ensemble pour les masques, les démarches. C’est un jeune acteur créatif, rigoureux, précis. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec lui. Tout comme avec Laurent Lafitte. Quand je lui ai dit qu’il n’y avait qu’un rôle pour lui, que c’était Pradelle, cet homme sans foi ni loi, avide et cupide, non seulement il était d’accord mais – j’aurais dû me méfier – il était content. Il s’est amusé de jouer ce monstre sans le juger. Il a eu des pépites monstrueuses de jeu improvisé.

Niels Arestrup dans le rôle du père ?

Niels Arestrup était aussi une évidence. La seule scène que je n’ai pas répétée avec lui est la scène finale afin de préserver la spontanéité. Ce jour-là, il a plus vécu la scène qu’il ne l’a jouée. Il était l’amour fissuré devant la caméra et c’était impressionnant. Avec son personnage se pose la question de la filiation. C’est présent dans tous mes films. Les personnages, parents, enfants, passent leur temps à se chercher.

Pierre Lemaitre a annoncé une suite à « Au revoir là-haut ». Auriez-vous envie de l’adapter ?

Non. Je ne voudrais pas avoir moins de gourmandise que je ne l’ai eu pour ce roman.

 

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Nahuel Perez Biscayart, la nouvelle figure du cinéma français

Il a 31 ans, est né et a grandi à Buenos Aires. Cette année, cet Argentin au look de feu-follet chaplinesque est à l’affiche des deux films français les plus réussis de l’année : « 120 battements par minute », de Robin Campillo, Grand Prix au Festival de Cannes, et « Au revoir là-haut », de Albert Dupontel , en salle ce mercredi.

Journaliste au service Culture Temps de lecture: 11 min

Dans 120 battements par minute, de Robin Campillo, il était le jeune séropositif, militant d’Act Up, la rage de vivre chevillée au corps. Dans Au revoir là-haut, d’Albert Dupontel, il a la gueule cassée, n’apparaît que masqué et parle par borborygmes. En quelques mois et deux films –les meilleurs de la production française 2017-, Nahuel Perez Biscayart bouscule les stéréotypes du cinéma français et en devient une figure incontournable.

A la cérémonie des César le 2 mars prochain, sûr qu’on parlera de lui. Son accent est un mélange original de consonances d’Amérique latine et d’intonations du Sud-Ouest. Sa famille est d’origine basque mais il est né et a grandi à Buenos Aires. Jeune trentenaire au look bohème, il a l’allure d’un feu-follet chaplinesque avec deux grands yeux profonds couleur azur qui lui mangent le visage. Un jour à Paris, un autre à New York ou sous les tropiques, il aime les voyages, pose à peine son bagage, le monde est sa maison. Au collège, il avait choisi la branche électromécanique mais c’est l’atelier théâtre qui le branche vraiment. Cela le mènera jusqu’à New York pour jouer avec la troupe de Willem Dafoe. Il n’a jamais eu de plan de carrière.

Malgré le succès et la mise en lumière dont il bénéficie, ce polyglotte surdoué qui joue Shakespeare dans le texte et parle un français impeccable ne compte pas changer. Sa devise : « Je ne m’impose pas, je m’adapte ».

On peut dire que 2017 est une année particulièrement faste, non ?

Ah bon ?! Je suis un inconscient. Oui, oui, j’ai des retours des deux films. Mais je préfère rester inconscient. Je pourrais rentrer dans cette pensée glorifiante mais je me dis que c’est ainsi car ce sont les circonstances de la vie. Ce n’est pas l’aboutissement de quelque chose. 2017 est l’année où l’on cueille les résultats du travail. Et c’est assez épuisant car je ne tourne pas autant, c’est juste donner, donner, donner en parlant des choses que j’ai faites en 2016.

Les portes s’ouvrent ?

Peut-être. Je crois à la gravité. Je n’ai aucune idée de pourquoi je fais ce métier, je n’y pense pas trop. S’il faut intellectualiser, là, en ce moment –attention, mon rapport change tout le temps-, je dirais que quand je joue, je suis obligé d’être présent. Donc, c’est comme un antidote par rapport à ce que nous impose la société actuelle. Etre toujours dans le futur, dans le passé, dans l’identité, dans la création. On ne prend jamais le présent comme outil de transformation. Or quand je joue, je suis forcé d’être présent. Car si je ne suis pas présent, je ne suis pas avec toi donc on ne peut pas jouer. C’est aussi simple que ça. Plus jeune, j’étais attiré par l’idée de créer des familles parallèles, de créer un monde à nous qui serait une parenthèse de la vie. J’avoue avoir un peu de mal avec la vie telle qu’on nous la propose. Du coup, ce métier me permet de créer une vie à moi. Mais si mes personnages ne s’adaptent pas et font de leur singularité une force, moi, ce n’est pas comme ça que je fais ce métier.

Outre ces deux films, quelle est l’actualité de Nahuel Perez Biscayart ?

Merci pour cette question car c’est la preuve que je me résume pas à ces deux films. Pour l’instant, j’ai peu à raconter. Les propositions que j’ai reçues ne m’ont pas interpelé. Pour moi, le pouvoir d’un réalisateur, c’est de voir au-delà de ce qu’on est. C’est aller chercher ce dont on n’a pas conscience. J’ai joué deux marginaux, des êtres un peu blessés physiquement et psychologiquement. C’est trop facile de continuer à m’imaginer dans de tels rôles. J’attends des choses que je ne connais pas encore. Mais je ne m’inquiète pas. J’ai toujours vécu les choses par vague. J’aime travailler sur des projets qui m’interpellent sinon je joue mal. Là, je lis beaucoup de scénarios. Et j’accompagne mes deux films. Le film de Robin Campillo marche tellement bien à l’étranger que je voyage beaucoup. C’est très agréable car c’est pour deux films dont je suis très fier. Je jouis de cela car je sais que c’est rare.

Vous pensez aux César, ce qui paraît le couronnement logique ?

Non mais tout le monde m’en parle. Pour moi, c’est tellement ennuyeux de parler de ça ! Le fait qu’on parle beaucoup de moi en ce moment, c’est parce que les circonstances de la vie ont produit des rencontres avec des gens qui ont mis de la lumière sur moi, qui ont permis que mon travail s’expose un peu plus. Mais moi, je suis toujours le même, je travaille de la même manière.

En vous voyant à l’écran, on vous sent viscéralement dans la peau de vos personnages…

Je n’ai pas de méthode de jeu. Je fais une frontière entre le jeu et la vie. Mais parfois, quand le rôle est intense et le temps de tournage court comme sur « 120 battements… », c’est difficile de se déconnecter le soir, la nuit. J’aimerai pouvoir gérer les choses de façon détachée mais pour l’instant, je suis encore faible par rapport à ça et je me laisse imprégner.

Dans votre envie de ce métier de saltimbanque, y avait-il le rêve du cinéma français ?

Pas du tout. C’est un hasard total. Je me rends compte de l’échelle d’importance du cinéma en France. Avant, j’avais plutôt une notion historique ou culturelle mais sûrement pas concrète. Là, je découvre et je suis impressionné par la diversité des films qu’on monte en France. Je suis admiratif de la politique d’Etat qui permet à n’importe qui de faire un film.

Mais comment un jeune Argentin qui grandit à Buenos Aires, joue au théâtre à New York se retrouve à l’affiche de films français ?

Je ne sais pas ! Je peux vous raconter l’enchaînement des choses pour que je sois là aujourd’hui mais c’est très vague et très accidentel. J’ai grandi et étudié en Argentine jusqu’à l’âge de 21 ans. J’ai fait des études très techniques en électromécanique. Je suis passé par les Beaux-Arts et j’ai fait des cours de théâtre en loisir dès 17 ans. A 21 ans, je gagne une bourse pour aller bosser un an à New York avec la troupe de Willem Dafoe. Je m’enflamme et étudie comme un malade. En sept mois, j’ai appris l’anglais. Grâce à cela, j’ai appris à apprendre et compris que la possibilité d’apprendre peut modifier notre futur. L’idée des rêves qui sont loin de notre vie, c’est faux. Ils sont juste là, il faut simplement dans le présent essayer de construire cette possibilité. La production d’un film gallois coproduit par l’Argentine cherchait un Argentin pour un personnage voyageant au Pays de Galles. J’ai commencé à faire des petits films à l’étranger –en France, en Espagne, en Belgique…- de manière très bizarre. Le monde m’invitait et moi, j’adore voyager, rencontrer des gens, donc je suis très ouvert à ça. Donc j’ai pris cette manière de m’échapper, de changer. Benoît Jacquot m’avait repéré dans un film argentin retenu à la Semaine de la critique à Cannes en 2008 et m’engagea pour jouer un type parlant un dialecte inventé pour son film Au fond des bois. Mon accent était parfait. A l’époque, je ne parlais pas un mot de français. J’ai appris plus tard en passant par la Sorbonne. J’ai eu rendez-vous avec Benoit Jacquot au British Museum à Londres où je tournais mon film gallois… Donc tout est arrivé de manière très désarticulée.

Quelle a été votre réaction en lisant le scénario d’Albert Dupontel ?

Quand je lis, je me concentre sur l’histoire, pas trop sur le personnage que je pourrais jouer. Je veux avoir une idée globale du film. Pour « Au revoir là-haut », j’étais très surpris par la richesse du scénario. Je me suis demandé comment il allait faire pour tout mettre dans un film. J’y ai vu une ambition. J’étais impressionné par la dimension du film. Ayant joué plutôt dans des films intimistes jusqu’alors, j’ai eu envie de me retrouver dans ce récit fou. De plus, il y a des défis : jouer avec des masques, ne pas pouvoir parler. Quand j’ai peur, normalement, je me sens attiré car je vois la peur comme un moteur, pas comme un blocage. J’ai toujours avancé instinctivement.

Comment vous parle le jeune Edouard Péricourt, jeune fils de bonne famille défiguré et incompris ?

J’ai été touché par sa force, son besoin intime de combattre son manque d’affection dans l’enfance en se mettant à la place des autres. Au lieu de transformer le manque en violence, il va chercher chez les autres ce qu’il n’a pas eu. J’aime son altruisme. Mais aussi son envie d’artiste presque animal de tout bousculer. J’adore ça dans un monde où tout est formaté. Je n’y reconnais avec mon parcours esthétiquement marginal. J’aime sa vision très critique du monde. Il va tellement loin dans son raisonnement qu’il part à la guerre alors que sa position d’aristo pouvait lui éviter ça. Ce côté un peu limite et extrême du personnage me parle beaucoup. Ce sont ces gens-là dont on a le plus besoin dans le monde. Des gens qui laissent leur confort pour aller rencontrer les autres. Sa conscience distante était très inspirante.

Vous-même êtes-vous très critique vis-à-vis de notre société ?

Comment ne pas l’être quand on a les yeux ouverts et qu’on est un poil sensible. On ne peut pas ne pas critiquer ce qui nous entoure. C’est le confort, la joie, le plaisir pour un pourcentage minimum de la population mondiale au détriment de la souffrance de la plupart du monde.

Quelle est la responsabilité de l’artiste à ce niveau-là ?

Très peu. Mais à force d’avoir fait beaucoup de presse, je commence à m’apercevoir que j’ai une plate-forme où ma parole est très écoutée. Moi, je sens que si je pouvais donner ma parole à quelqu’un qui le mérite plus, je le ferais. Malheureusement, on vit dans un monde qui favorise l’idole, l’icône, la star. Tout est mis sur la personne en tant qu’image et produit. Cela empêche les gens vraiment importants et pertinents de s’exprimer et de partager leurs réflexions. C’est injuste. Je me sens invité à prendre une voix qui n’est pas que la mienne or je ne me sens pas du tout capable et légitime. Mais le système marche comme ça. Qu’est-ce que je fais ? Je n’ai jamais eu autant d’exposition en très peu de temps. Ne soyons pas prétentieux, il ne s’agit que de films et vus par un certain public. Non, je ne vais pas changer le monde. Restons calme.

Dans « Au revoir là-haut », votre personnage ne peut s’exprimer à travers des masques, son corps, son regard. On est proche du cinéma muet, de la commedia dell’arte ?

Effectivement. Mais j’ai dû apprendre avec plein de contraintes. Et ce fut très libérateur. C’est comme quand je parle d’autres langues : il faut être plus synthétique. Je peux dire des choses que je ne pourrais pas dans ma langue maternelle parce que j’ai des préjugés. Il m’est plus facile de jouer en français « je t’aime, tu me manques » que de le faire en espagnol. Car il y a moins de vécu. Du coup, je me permets de toucher à l’émotion sans être distrait par les mots qui n’ont pas d’histoire. Moi, je m’en fous du verbal quand je joue. Jouer dans une langue qui n’est pas la même fait que les émotions ne sont pas toujours liés à la parole puisque pour moi, la langue étrangère, ce sont des sons. Je ne crois pas du tout au lien intime entre la parole et l’émotion.

Est-ce facile de mettre tout un personnage dans un regard ?

Je ne suis pas seul. Il y a la caméra, la manière de filmer, de cadrer. Avec Albert, on n’a pas mal travaillé, on a fait des répétitions, on a un peu improvisé, on a joué avec la jeune Héloïse, on a travaillé le son de la voix, on a joué avec les masques créés par Cécile Kretschmar qui synthétisent chacun une émotion. On a surtout essayé de se connecter. Et on a créé une bête qui appartient à Albert, Cécile et moi. Quand on te dit : tu vas jouer avec une voix détruite, pas de visage mais un masque, évidemment que ça plaît. C’est tellement anti-comédien, j’adore. Cela n’arrive pas tous les jours.

Avec quel cinéma avez-vous grandi ?

Gamin, avec des dessins animés. Mon adolescence fut très marquée par le BAFICI, un Festival de cinéma indépendant à Buenos Aires. C’était la fête de l’année où pendant dix jours, je pouvais voir quatre-cinq films par jour venant des quatre coins du monde. Je n’ai pas trop grandi avec le cinéma hollywoodien.

Avez-vous le rêve hollywoodien ?

Je n’ai pas de rêve. C’est trop autocentré et comme tout peut être détruit demain… Je ne vois pas trop de futur. C’est bizarre mais je n’y arrive pas. Le vrai rêve, c’est la surprise qui va venir sans qu’on ne la connaisse. Mon vrai rêve, c’est de rencontrer des gens dont je n’ai encore entendu parler.

Au revoir là-haut, un pamphlet violent, drôle et baroque

D’Albert Dupontel, avec Nahuel Perez Biscayart, Albert Dupontel, Laurent Lafitte, Niels Arestrup, Mélanie Thierry, Emilie Dequenne, 117 mn.

Journaliste au service Culture Temps de lecture: 2 min

On commence dans les tranchées sous les bombes, avec de la boue, du sang, des ordres absurdes et des morts, avant de basculer dans le Paris d’après-guerre où deux rescapés de cet enfer tentent de survivre. Dans cette France qui s’intéresse plus aux morts qu’aux vivants, le dessinateur de génie et le modeste comptable imaginent une arnaque aux monuments aux morts…

Comment convertir 600 pages d’un roman d’une richesse incroyable en un film de deux heures pour dire une société cynique et cupide, sans foi ni loi ? Albert Dupontel a résolu magistralement l’équation et signe son film le plus ambitieux et le plus abouti. Son sixième long-métrage est une épopée violente et désabusée, tendre et baroque à l’image du roman magistral de Pierre Lemaître.

L’acteur-réalisateur réussit une fresque pleine de rebondissements, à la fois formidable expérience de cinéma et cinglante métaphore de notre société en crise. Liant le romanesque et l’intime, la tragédie et la comédie, Dupontel ose toutes les combinaisons pour donner du souffle à son film et crée un sidérant univers composé de poésie, d’humour caustique et de mystère. On pense au cinéma de Jeunet, à son Long dimanche de fiançailles. Mais Dupontel imprime très précisément sa personnalité au cœur de son film, voyageant de Buster Keaton à Tex Avery en passant par Sergio Leone et Chaplin. Et on se laisse faire, passionné par le récit qui est conté et la pertinence cinglante du propos pamphlétaire. L’énergie et la maîtrise de la mise en scène, les changements de ton, le jeu contradictoire des acteurs (casting irréprochable) transportent la passionnante histoire de ces deux frères d’armes rescapés.

Nahuel Perez Biscayart, déjà formidable dans 120 battements par minute, est l’étonnant jeune homme de bonne famille incompris et défiguré, passant d’un masque extravagant (quelle beauté et quel travail) à un autre selon ses humeurs. Ses yeux, son corps, ses silences, tout devient expressif comme par magie chez lui. Laurent Lafitte endosse avec jouissance le costume du salopard un peu dandy. Deux heures durant, Dupontel nous emmène dans son imaginaire. On sort enchanté et bouleversé.

Le premier chapitre de «Au revoir là haut».

Albert Dupontel signe une adapation au cinéma du roman de Pierre Lemaitre, goncourisé en 2013. En voici les première pages.

Temps de lecture: 1 min

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