Albert Dupontel: «Ce qu’on fait de l’homme est détestable»
Albert Dupontel s’est emparé du roman de Pierre Lemaitre pour en faire un bouleversant spectacle qui raconte le cynisme du monde et l’élégance de la création : « Au revoir là-haut ».


Albert Dupontel a un débit de mitraillette. Il parle en rafale, passant d’une idée à l’autre sans perdre le fil de sa pensée pour raconter avec enthousiasme son adaptation du roman de Pierre Lemaître, Goncourt 2013, et le fabuleux terrain de jeu que cela lui a offert. Après Bernie, Enfermés dehors et Neuf mois ferme, il signe avec Au revoir là-haut un sixième long-métrage ambitieux, romanesque et politique qui dénonce ceux qui, sans foi ni loi, dominent le monde.
Le roman de Pierre Lemaitre est une métaphore de notre société puisqu’il parle des faibles qu’on écrase de plus en plus et des riches qui s’enrichissent de plus en plus rapidement. L’adapter, était-ce une manière « plus douce » de crier votre colère ?
Effectivement. Gamin, je n’arrivais pas à comprendre la réalité, donc je m’évadais dans le cinéma. Encore aujourd’hui, je comprends mieux la réalité depuis l’imaginaire. Là, j’avais une extraordinaire métaphore de la société. À travers cette histoire, je témoigne d’une époque que je traverse et que je ne comprends pas. C’est aussi une histoire universelle du rapport entre un père maladroit et un fils incompris. Moi, je n’ai pas eu ce traumatisme. J’ai été un enfant aimé. Pourtant quelque chose me travaille dans la relation à l’enfance. J’ai retrouvé dans le livre de Pierre tous les archétypes sociaux dont je parle dans mes petits films névrotiques. Dans mes films, ce sont toujours des pauvres gens écrasés par un système, qui essaient de s’en sortir. Le fait de passer par ce livre, par la grande et la petite histoire, était très intéressant. Cela me permettait d’« ouater » un peu ma frontalité et de m’amuser avec la caméra.
En voyant votre film, on sent que ce fut un bonheur de cinéaste…
Totalement. Dans mes propres films, je m’estime auteur limité qui ne fait que réexplorer sa cage mentale un peu redondante. Avec le temps, il est de plus en plus difficile de se réinventer. Et là arrive le livre de Pierre et tout est évident. J’y retrouve mes repères. Je sens que tout est prétexte à s’amuser avec la caméra. Car c’est un récit épique, picaresque, qui permet un foisonnement d’inventions, de costumes, de masques, de mouvements de caméra. Le livre de Pierre était un terrain de jeu fantastique. Les masques du livre sont plus réalistes, ces masques dans lesquels Édouard se cache le visage, certes avec inventivité, mais pas forcément avec des références à l’époque. Dans le film, c’est l’occasion de raconter une époque, Paris d’il y a cent ans. Paris est la plaque tournante de toutes les mutations artistiques de l’époque. Donc, on va piocher dans le répertoire. Puis les masques de Cécile Kretschmar prennent une importance vitale.
Vous revenez à la fois à la tragédie grecque et aux débuts du cinéma ?
Je témoigne d’une époque très riche artistiquement, très visuelle. L’image fait directement appel aux autochromes. Cela donne des images très émouvantes, avec des contrastes curieux, une patine d’image forte. Même si on tourne en numérique – le numérique permet de mentir tous azimuts –, on a menti. Faire croire qu’on est il y a cent ans, époque terrible et magnifique. La technologie va permettre de faire la guerre avec une sauvagerie jamais égalée. D’un autre côté, il y a ces témoignages visuels avec les premières caméras. Les peintres sont en pleine mutation avec le cubisme, le dadaïsme, le surréalisme. Édouard Péricourt est forcément au courant de tout ce qui se passe. Il l’exprime dans ses masques. Pour moi, c’est le plaisir immense d’une référence à la tragédie grecque comme à Cocteau. On décline ce concept tout au long du film.
Vous mentez, mais comme ment Pierre Lemaitre qui joue avec le vrai/le faux, le réel/l’irréel ?
Complètement. En tant que spectateur, j’aime bien qu’on me mente. Oui, tout est faux dans mon film. Un plan sur quatre est truqué, dont le Paris des années 20 qui a été intégralement reconstitué en 3D. Mais les émotions des personnages sont très sincères. Mon personnage Albert Maillard, écrasé par ce qui se passe, est un homme qui a comme ambition d’être honnête, ce qui est une faiblesse dans le monde terrible qu’il est en train de traverser. À ses côtés, il y a ce grand humaniste qu’est Édouard Péricourt. C’est ce personnage qui m’intéressait le plus. Car il n’y a que les artistes pour témoigner de manière élégante. À travers ses dessins et ses masques, Édouard témoigne de la folie du monde.
Y a-t-il une autre issue que la mort quand on a conscience du chaos ?
Il faut un peu de trivialité pour vivre. La spiritualité et la forme artistique peuvent aider. Mais quand on souffre trop, on n’y arrive plus. Personne très sensible, Édouard Péricout a cette conscience. Il faut suffisamment être vulgaire pour rester en vie longtemps. Boire, manger et aimer donnent un sens à la vie. Boire et aimer, c’est exister. Aimer, c’est vivre. Le sens de la vie est vraiment dur à percevoir mais il faut accepter ce doute. J’en veux personnellement à toutes les institutions qui essaient de nous expliquer le sens de la vie. Les marchands n’ont d’autre ambition que de nous transformer en consommateurs : produisez, consommez, mourez. Ne fût-ce que pour ça, il faut lutter contre. Car vivre est exceptionnel et on va témoigner. C’est ce que fait Édouard avec ses dessins et ses masques. Il souffre et le dit à travers ses œuvres.
Comme vous en tant que cinéaste ?
Oui, mais moi, ça vire souvent à la colère. Chaplin raconte brillamment l’époque terrible qu’il traverse. Son génie est de nous raconter des histoires tristes en nous distrayant. Si c’est pour se plaindre devant une caméra en tant qu’auteur obscur et engagé, on ne rend pas hommage à sa fonction d’artiste. Dans les influences que j’avais à 20 ans, il y avait les cinéastes visuels et distrayants comme Terry Gilliam avec
En postface de son roman, il rend hommage aux auteurs auxquels il a emprunté. Vous, quels sont vos emprunts ?
J’arrive après plus de cent ans de cinéma… Je ne peux rien inventer, je ne peux que copier. Il y a délibérément Buster Keaton. Des références directes aux
Rôles principaux et rôles secondaires, vous avez soigné le casting. Parlez-nous de Nahuel Perez Biscayart…
Il n’avait pas encore fait
Niels Arestrup dans le rôle du père ?
Niels Arestrup était aussi une évidence. La seule scène que je n’ai pas répétée avec lui est la scène finale afin de préserver la spontanéité. Ce jour-là, il a plus vécu la scène qu’il ne l’a jouée. Il était l’amour fissuré devant la caméra et c’était impressionnant. Avec son personnage se pose la question de la filiation. C’est présent dans tous mes films. Les personnages, parents, enfants, passent leur temps à se chercher.
Pierre Lemaitre a annoncé une suite à « Au revoir là-haut ». Auriez-vous envie de l’adapter ?
Non. Je ne voudrais pas avoir moins de gourmandise que je ne l’ai eu pour ce roman.
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