Edwy Plenel: «On nous refuse ce qui est accordé à la presse papier»

Semaine très chargée pour Edwy Plenel, président et co-fondateur de Mediapart. Ce jeudi, le site d’information et d’opinion a annoncé faire l’objet d’un redressement fiscal de 4,1 millions d’euros. Le fisc français avance qu’entre 2008 (date de sa fondation) et 2014 (date d’entrée en vigueur d’une nouvelle loi consacrant l’égalité entre presse imprimée et numérique), Mediapart aurait dû s’acquitter d’un taux de TVA de 20 % et non de 2,1 %. Quand il décroche son téléphone, Edwy Plenel sort du tribunal de Bordeaux, où il comparaît en compagnie de quatre autres journalistes dans l’affaire dite des « écoutes » de l’héritière de l’empire L’Oréal, la milliardaire Liliane Bettencourt. Mediapart a reçu le soutien de nombreux responsables politiques, la loi française s’est même adaptée en 2014 pour mettre à égalité médias imprimés et médias numériques en termes de TVA, et aujourd’hui le fisc vous tombe dessus. Comment l’expliquez-vous ? Par des conservatismes, des archaïsmes et des immobilismes face à un changement de paradigme qui est celui de la révolution numérique. Quand Mediapart s’est créé en 2008, nous avons été les premiers à défendre l’idée qu’un journal en ligne pouvait être payant, vivre des abonnements de ses lecteurs et pas de la publicité. Nous avons donc été les premiers à soumettre aux pouvoirs publics, français mais aussi européens, cette question simple : des journaux numériques sont équivalents à des journaux papier, que ce n’était pas le support technique qui faisait la différence, mais les contenus qui définissaient un journal. Même fonction démocratique et donc même droits et devoirs. Ce qui, s’agissant de Mediapart, repose la question de cette aide indirecte à la presse par des taux de TVA réduits. Ce faisant, nous avons fait évoluer tout le monde, non seulement la France qui a voté une loi de principe en 2014, mais aussi l’Europe puisqu’en cette année 2015, Jean-Claude Juncker, devant des éditeurs de presse allemands, a reconnu que la directive TVA européenne datant de 1991 a été élaborée dans la méconnaissance de l’ampleur de la révolution numérique, à un moment où la presse en ligne n’existait pas. Nous opposer une directive européenne datant de cette époque pour nous refuser ce qui est accordé à la presse papier est une aberration ! Donc, comment en est-on arrivé là ? Par l’insigne faiblesse, le manque de volonté des pouvoirs publics. Nous continuerons à mener le combat, jusqu’à saisir le président de la Commission européenne, jusqu’à saisir la justice administrative et si nous n’obtenions pas raison, à saisir les instances de recours européennes. Car c’est évidemment une discrimination qui vise ce qui est la nouveauté de la presse et qui plus est, dans un moment de crise de notre secteur, le seul exemple probant de réussite économique grâce au soutien du public. Mediapart est en danger aujourd’hui, vu le montant réclamé ? Non, nous sommes des gestionnaires responsables et nous avons pris soin de mettre de côté les économies nécessaires pour assumer cette bataille si finalement l’administration fiscale n’entendait pas nos arguments. Nous avons 4,7 millions en trésorerie, par précaution. Le fisc nous réclame 4,1 millions. Nous pouvons payer. Mais cela nous remet presque à zéro. Cet argent que nous avons gagné était dévolu à construire notre indépendance, à développer nos contenus. Alors même que les journaux qui sont la propriété d’industriels privés immensément riches touchent des millions de l’Etat, nous refusons par principe toute subvention publique. Et pourtant, c’est nous que l’Etat pénalise en nous enlevant tout simplement ce que notre réussite a permis de dégager comme profit. Vous lancez une campagne de soutien. Quel objectif visez-vous ? Nous vivons de nos lecteurs, de leurs abonnements. Nous lançons pour la première fois de notre histoire une opération de financement participatif. Ce mauvais coup fiscal intervient alors même que nous sommes jugés à Bordeaux pour nos révélations dans l’affaire Bettencourt. Vous soupçonnez un règlement de comptes politiques pour vos multiples révélations très sensibles ? Nous ne soupçonnons pas, nous affirmons que ce contrôle fiscal déclenché fin 2013 et qui nous vaut aujourd’hui ce redressement est une vengeance de l’affaire Cahuzac. Il est l’œuvre des mêmes responsables du ministère du budget et des finances qui avaient soutenu l’ancien ministre Cahuzac dans ses dénégations face à la révélation de son compte suisse caché. Tous ces gens étaient en place à l’époque. Car nos révélations ont donné tort à ce milieu-là, à cette haute administration, qui a essayé de maquiller le mensonge de M. Cahuzac. Il s’agit donc d’une vengeance par rapport à notre rôle d’alerte sur la fraude et l’évasion fiscale. C’est d’autant plus une vengeance que nous n’avons jamais fraudé, que l’ensemble de nos interlocuteurs administratifs connaissaient nos positions sur la TVA et la soutenaient ! Ils disaient tous “Vous avez raison, nous sommes sur la même position, vous pouvez y aller”. Une loi a ensuite été votée, et l’actuelle Commission a également adopté une attitude critique vis-à-vis de la précédente et de la directive TVA.

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