Liban: la «mystérieuse» disparition du Premier ministre Hariri

Depuis Beyrouth Saad Hariri a annoncé sa démission à la télévision saoudienne samedi dernier, 4 novembre. Alors que le Liban semblait enfin renouer avec une forme de stabilité institutionnelle, ce geste a pris tout le monde de court. Depuis, Saad Hariri est demeuré silencieux. Quelques photos – les seules images de lui – le montrent abattu, se tenant la tête entre les mains. Malgré de nombreux appels, il n’est toujours pas rentré au Liban. « Pourquoi il ne s’exprime pas ? Pourquoi il ne rentre pas ? Est-ce qu’on l’a forcé à rédiger sa démission ? » , se demande Ahmad, un jeune Libanais qui vérifie sans cesse les informations sur son portable. « Les gens se sentent humiliés, déçus. On essaie d’avoir des informations pour comprendre ce qui se passe mais rien ne filtre, », ajoute Cynthia Choucair, une réalisatrice qui a failli participer à une manifestation pour dénoncer l’ingérence des pays étrangers dans les affaires libanaises. Prévu sur la place principale de Beyrouth samedi, le rassemblement a finalement été annulé suite à des pressions des autorités libanaises qui craignaient des débordements. La classe politique libanaise paralysée Les proches du Premier ministre sont tout aussi dépourvus. Ils évoquent des rencontres avec des diplomates étrangers à Riyad, quelques brefs coups de fil. Hariri s’exprime à peine. Jeudi, son parti politique le Courant du Futur a appelé à son retour immédiat au Liban… en vain. Face à cette situation inédite, le président de la République Michel Aoun a demandé que l’Arabie Saoudite « clarifie les raisons empêchant le retour du Premier ministre ». En attendant, il refuse d’entériner une démission in absentia et considère que ce qu’a pu dire Saad Hariri « ne reflète pas la réalité » mais « une situation suspecte et mystérieuse ». « Si on lit ça dans un roman de Gérard de Villiers – un « SAS » – on n’y croit pas. Avec cette affaire, on est en train de réaliser que notre pays n’est pas réellement souverain. Vous avez beau être milliardaire, être Premier ministre, être à la tête d’une coalition politique… quand vous êtes pris dans ces équilibres régionaux, vous n’êtes plus maître de la situation. Aujourd’hui, le Liban est enfoncé jusqu’au cou dans la guerre des axes » explique Karim Bitar, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques de Paris. La piste saoudienne Les regards sont tournés vers l’Arabie saoudite. La démission a eu lieu au moment où plus de 200 personnalités saoudiennes de haut rang – des princes, des ministres, des hommes d’affaires – étaient arrêtées pour corruption. Or, Hariri – qui détient aussi la nationalité saoudienne – pourrait bien se trouver mêlé à cette affaire dans la mesure où son entreprise de travaux publics, BTP Saudi Oger, qui est aussi la colonne vertébrale de son empire financier, se trouve en Arabie. Plusieurs membres du gouvernement libanais considèrent Saad Hariri en état d’arrestation. A Tripoli, au nord du pays, des portraits du prince héritier saoudien Mohammad Ben Salman ont été brûlés en pleine rue. L’Arabie Saoudite dément ces accusations et affirme que le Premier ministre libanais est libre de ses mouvements. Bras de fer avec l’Iran Cette affaire rocambolesque, c’est aussi un bras de fer entre deux grands ennemis de toujours : l’Iran et l’Arabie saoudite. Dans son discours de démission, Saad Hariri a dénoncé la « mainmise » de l’Iran et du Hezbollah sur le Liban. Pour plusieurs médias libanais et pan-arabes, Saad Hariri aurait en fait été forcé à démissionner car il refusait d’appliquer une politique saoudienne trop violente vis-à-vis du Hezbollah. Hariri aurait signé son arrêt de mort en tentant de préserver l’équilibre libanais contre les ambitions saoudiennes. Quoi qu’il en soit, l’Arabie saoudite met la pression sur le Pays du Cèdre. Jeudi, la monarchie a appelé tous ses ressortissants à quitter le Liban « le plus vite possible ». Un geste de rupture diplomatique suivi par le Bahreïn et le Koweït, qui ne laisse rien présager de bon. En 2015, les pays du Golfe avaient déjà boycotté le Liban dans l’idée de punir le Hezbollah par ricochet. Résultat : le secteur du tourisme, dont dépend en grande partie l’économie libanaise, s’était effondré. A Beyrouth, beaucoup craignent que les pays du Golfe appliquent de nouvelles sanctions économiques, comme ils ont pu le faire au moment de la crise du Qatar. Alors que le pays souffre déjà des répercussions économiques du conflit en Syrie voisine, une rupture avec le Golfe où plus de 300.000 Libanais résident serait mal venue. La réponse du Hezbollah était sans équivoque vendredi : « L’Arabie Saoudite vient se défouler au Liban (…) Ils feront face à la défaite comme ailleurs dans la région. Ils ne peuvent pas battre le Hezbollah ». 42 kilomètres pour Saad Hariri Plus d’une semaine après l’annonce de la démission de Saad Hariri, le président de la République Michel Aoun, avait appelé, dimanche, les participants au marathon de Beyrouth à courir « en solidarité avec le Premier ministre », pour demander son retour au pays. Message reçu du côté des coureurs. Mahmoud, un Libanais 23 ans, n’hésite pas à s’exprimer sur le sujet quelques minutes seulement après avoir franchi la ligne d’arrivée. « Je viens de faire 42 kilomètres, c’est un sentiment incroyable. Aujourd’hui les Libanais sont unis, de toutes les religions et de toutes les communautés. On a couru pour Saad Hariri, il faut qu’il revienne » dit-il, en reprenant son souffle. Juste derrière lui, Fadia, une Libanaise de 37 ans, termine aussi son marathon. « J’espère qu’il va pouvoir revenir. Le Liban doit sauver sa dignité, notre Premier ministre est en prison, » lance-t-elle. Les organisateurs de l’événement ont tout fait pour marquer le coup en dressant tout au long du parcours d’immenses affiches à l’effigie du leader sunnite. On retrouvait aussi des casquettes, tee-shirts et pancartes de soutien. Des messages courts et percutants : « Nous sommes avec toi », ou « Nous t’attendons ». « Saad Hariri est dans nos cœurs », explique le maire de Beyrouth Jamal Itani, qui n’oublie pas que Saad Hariri avait l’habitude de participer au marathon. En marge des arrivées, Nour, une adolescente qui a fait le parcours de 8 km est nostalgique. « D’habitude il courrait avec nous » dit-elle.

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