Ariane Toscan du Plantier: «En vingt ans, la restauration numérique a évolué d’un point de vue technique mais aussi moral»

Il y a un an, Nicolas Seydoux, PDG du groupe Gaumont, déclarait à France Inter : « Les films se détériorent et nous n'avons toujours pas trouvé de support pérenne. Sans doute le plus pérenne est la pellicule des frères Lumière. Si on ne restaure pas régulièrement les films, les générations futures n'en profiteront pas. Pour séduire, les nouvelles générations doivent bénéficier d'une qualité optimale. L'époque de la Cinémathèque qui passait des copies rayées dans le mauvais sens est révolu... ». En France, Gaumont, c’est le label cinématographique à la marguerite, une présence depuis que le cinéma existe. Ce sont des films aussi variés que L’Atalante, la série des Fantomas, Zazie dans le métro, les tontons flingeurs, La traversée de Paris, Le grand bleu, La boum, Le grand blond, Le dîner de cons, Intouchables, Les visiteurs, OSS117,ou plus récemment Barbara, Un sac de billes, Ballerina, Au revoir là-haut. Plus de mille titres dont 500 ont déjà été restaurés. En mai dernier au Festival de Cannes, le laboratoire Eclair, leader français de la restauration du film patrimonial qui a été repris par le groupe Ymagis, spécialiste des technologies numériques pour le cinéma, signait un accord avec Gaumont pour la restauration sur trois ans de plus de 100 films de leur catalogue comme My Dinner with Andre, de Louis Malle ou La Femme qui pleure, de Jacques Doillon. Nous avons rencontré Ariane Toscan du Plantier, fille de la comédienne Marie-Christine Barrault et du producteur Daniel Toscan du Plantier, tenant les fonctions de directrice de la Communication et du Patrimoine au sein de Gaumont. Gaumont, c’est plus de mille titres dont 500 déjà restaurés ? Oui et on continue le travail. Mais il existe des films pour lesquels on n’a plus de matériel de base donc on n’arrivera pas à les restaurer. De temps en temps, il y a une heureuse surprise. On découvre que dans une cinémathèque, quelque part dans le monde, il y a une copie. Quand ça arrive, c’est Noël. C’est très compliqué en fait car il y a des films perdus, des films pour lesquels on n’a plus de matériel, d’autres qui ont très mal vieilli, des films ratés, des films qui n’ont pas bien marché à la sortie puis sont devenus culte. Chaque film a sa propre histoire, et sa propre histoire avec le public. Qu’est-ce qui détermine qu’un film sera restauré ? Il y a plusieurs politiques en parallèle. La plus simple, c’est la demande. Ce sont des films qui voyagent tout au long de l’année, en France et à l’étranger. Ils sont demandés par des cinémas, par des festivals, par des organisations…Il y a les films évidents comme ceux de Godard et Bresson qui sont beaucoup demandés. Il y a les incontournables comme Les tontons flingueurs ou French Cancan par exemple. Si on ne restaure pas, on n’exploite pas et on ne conserve pas car le matériel vieillit jour après jour. Il faut qu’on arrive à restaurer au maximum pour conserver dans la meilleure qualité possible. Le 35 mm –et je ne parle même pas des films nitrate- se détériore donc même si on essaie de les conserver dans ces bunkers organisés pour, avec la bonne température, on a un matériel qui s’abîme. Donc, il est préférable à un moment de restaurer pour pouvoir conserver un matériel dont on sait qu’il passera les années. On sait que ce n’est plus le matériel source mais c’est un matériel qu’on pourra réutiliser dans cinquante ou cent ans. Aujourd’hui, un film non restauré est un film non exploité à 80%. On a une petite collection rouge de films non restaurés car on trouve important de donner accès au public mais ce sont souvent des films qui seront à un moment ou à un autre dans le couloir de la restauration. Depuis quand pratiquez-vous cette politique de restauration ? On a commencé bien avant le numérique. A l’époque, on parlait de restauration, aujourd’hui, on appelle cela du nettoyage. Nicolas Seydoux qui est extrêmement soucieux de notre politique patrimoniale a toujours eu en tête qu’il fallait être extrêmement vigilant quant à l’état des films, la conservation, l’exploitation. C’est ce qui fait aussi la valeur de la maison Gaumont ! Qu’est-ce que le numérique a changé ? Il a amené une facilité. Avant, il fallait repartir de la copie avec des gants blancs. On nettoyait au pinceau. Cela coûtait une fortune. On voyait une différence mais ce n’était pas majeur. Nous avons re-restauré une copie des « Tontons flingueurs » en 4K -car maintenant on restaure des copies restaurées. Et ce, grâce à la plateforme de financement participatif sur la restauration, Celluloïd angels. En fait, tout dépend du film. Là, pour Les tontons flingueurs, l’engouement fut dingue. Des villages entiers se sont mobilisés. Or, on n’était pas dans le scénario « il faut sauver le soldat Flingueur » car le film était déjà restauré mais avec le 4K, on est encore passé à une qualité supérieure. Les gens pensent toujours image quand on parle de restauration, mais il y a aussi le son. Le numérique offre une telle palette de possibilités qu’on pourrait retrouver le grain du 35 mm. Le danger est de savoir où on s’arrête car c’est sans fin. Quand on a restauré La guerre des boutons d’Yves Robert, au début du film, il y a un envol de colombes. Le numérique a fait apparaître le fil de nylon qu’on ne voyait pas en 35 mm même sur des copies neuves. On s’est posé la question : faut-il le laisser ? Faut-il l’enlever ? On avait la chance d’avoir encore Danielle Delorme, la femme d’Yves Robert, au moment où on a restauré et elle nous a dit : « Je pense qu’Yves ne l’aurait pas enlevé. » On aime bien pouvoir s’entourer soit du réalisateur s’il est toujours vivant, soit d’un directeur photo, d’un assistant, d’un ayant droit pour nous éclairer. On vient de restaurer les films de Jean Vigo et on s’est posé énormément de questions, d’autant qu’il y a quelques années, on avait fait des petites erreurs, on avait rajouté des plans qui n’étaient là dans l’original sans volonté de dénaturer mais pour « bien faire ». En fait, la restauration numérique a évolué au cours de ces vingt dernières années tant d’un point de vue de la technologie que d’un point de vue morale par rapport à l’auteur et à ce qu’il aurait aimé. Quand on a restauré L’Atalante la première fois, on a retrouvé des plans géniaux dont celle de Michel Simon mettant sa cigarette dans son nombril et fumant ainsi. On avait pris la liberté de l’insérer avec l’accord de Louise Vigo, la fille de Jean Vigo. On a été laminé par les puristes de l’histoire du cinéma. Quand on est reparti sur une restauration de ce film, on s’est dit que peut-être, on avait outrepassé nos droits à l’époque même si cela avait été fait pour de bonnes raisons. Donc, retour à ce qu’aurait aimé Jean Vigo. On a retiré ce plan et d’autres. On retire mais on garde tout. Pour Vigo, comme c’est un cinéaste majeur qui a marqué tant de cinéastes avec une œuvre très courte, on est en train de faire un film d’études pour expliquer aux gens pourquoi, comment et l’évolution des mentalités par rapport aux œuvres. En 2015, Gaumont a fêté ses 120 ans. Comment avez-vous accompagné cet anniversaire ? 120 ans, 120 films, ce n’était pas possible. Car que choisir ? Pourquoi juger ? Quel film par an ? Du coup, on a choisi de faire un coffret par décennie. Certaines décennies ont 40 films, d’autres 25. On a pris en considération le succès, la notoriété, les acteurs du moment… C’est notre regard subjectif mais que ce soit représentatif de la production française. Cela révèle une production très éclectique de Gaumont. Qu’en est-il pour les films actuels ? Nous gardons une copie de chaque film mais pas seulement. Il y a aussi tous les éléments du film pour le musée Gaumont. On garde tout. Les programmes de festival, le menu d’un repas d’une ambassade, des objets du tournage, une signature d’oeuvre adaptée, des costumes, le ticket de la première séance aux Halles du mercredi 9 h... Cela contibue à la sauvegarde du patrimoine du cinéma français et à la mémoire de Gaumont.

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