«La disparition des lucioles» ou l’insurrection qui (re)vient
Découverte au Festival Emulation à Liège, « La disparition des lucioles » du Darpa Collectif jette maintenant ses lumières révolutionnaires sur le Théâtre de la Vie à Bruxelles.

Les connaisseurs de Pasolini auront reconnu dans ce titre – La disparition des lucioles – une référence à un texte de l’auteur italien qui tisse un lien métaphorique entre la disparition des lucioles dans la campagne italienne et celle des activistes dans le paysage politique. Ce phénomène d’éradication interpelle aussi le collectif Darpa qui a sorti ses propres lanternes pour éclairer le taux de désobéissance civile de notre société.
Tout commence dans une banlieue verte, au cœur d’un quartier menacé par un grand chantier public. Ce pourrait être Notre-Dame-des-Landes sauf qu’il s’agit ici de la construction d’une autoroute. Parmi les habitants prêts à se mobiliser figure une petite communauté de jeunes bobos révolutionnaires. Ils sont cinq colocataires, débordant d’idées pour empêcher la réalisation du chantier, entre autres combats idéologiques. Un jour, ils manifestent contre la vivisection et autres expérimentations sur les animaux. Le lendemain, ils s’activent sur un projet d’autonomie alimentaire. Pétitions, tracts, entartage à la Noël Godin, activisme inspiré des Yes Men : ils ne reculent devant rien pour lutter contre la société marchande techno-industrielle.
Venus du Conservatoire de Liège et de l’Insas, ces cinq jeunes artistes ont passé trois ans à rencontrer des activistes et à étudier toutes sortes de ruptures avec la société. « Plusieurs personnages ont inspiré le spectacle, se souvient Christophe Ménier, porteur du projet. Comme Theodore Kaczynski par exemple, un éco-terroriste américain qui a tué des gens par colis piégés et vécu trente ans, caché dans les bois. Mais aussi Andreas Lubitz, ce pilote qui a crashé un avion dans les Alpes, sans raison apparente, en faisant 149 morts. Nous avons creusé Mai 68 aussi et comment des figures de proue contestataires comme Daniel Cohn-Bendit, Raoul Vaneigem ou Guy Debord ont toutes suivi des voies différentes : l’un a fait de la politique, le second est devenu un écrivain parisien et le dernier s’est suicidé. Si l’activisme semble disparaître, c’est surtout qu’il mute et se propage ailleurs. »
Révolutionnaires ou enfants gâtés ?
Tout cela aurait pu être péniblement démagogique si l’équipe n’y glissait une irrésistible autodérision. On y fait des claquettes, on balance des riffs de guitare, on vole dans les nuages avant de foncer droit dans le mur. C’est ludique, imprévisible. Impossible de ne pas sourire devant ces anarchistes débordés qui militent pour consommer bio et achètent un âne avec les voisins mais sont incapables de cultiver un seul rutabaga. Qui imaginent des happenings en costumes de néo-druides devant le parlement européen pour récolter laborieusement 680 vues sur Youtube. Qui finissent par méchamment se disputer sur la nécessité de l’action non violente. Qui cliquent « j’aime » la photo d’un steak vegan au soja sur un iPad aux composantes anti-écologiques. Sont-ils des révolutionnaires ou juste des enfants gâtés ? Dans leurs attachantes contradictions, ils touchent du doigt la difficile résistance d’une génération qui a l’impression que tout a déjà été essayé.
Spectacle foisonnant, La disparition des lucioles soulève des montagnes de questions, dont celle du collectif. Plus qu’une façon de travailler, en adéquation avec le propos, le collectif tient quasiment ici du manifeste. « Chacun a amené des textes, fait des propositions sur le plateau. Le collectif, c’est une façon de résister au fonctionnement du monde professionnel, mais c’est aussi le refus d’une certaine hiérarchisation de l’institution avec ses directeurs, ses metteurs en scène, etc. Travailler en collectif, ça prend plus de temps, c’est plus compliqué mais c’est tellement plus riche ! »
Pour poster un commentaire, merci de vous abonner.
S'abonnerQuelques règles de bonne conduite avant de réagir0 Commentaire