Crise catalane: Bart De Wever a raison…
La N-VA a largement soutenu les personnalités qui réclament l’indépendance de la Catalogne. La position des nationalistes flamands se fonde sur des arguments de poids.


Face aux événements récents en Espagne, il est souhaitable que les citoyens s’expriment. Le risque est réel, en effet, de faire d’un débat fondamental sur les droits démocratiques une lutte « privée » entre les nationalistes flamands, enclins à soutenir les indépendantistes catalans, et le PPE, soucieux de soutenir le Premier Ministre Rajoy.
Un débat pour tous les démocrates
La vue d’une police anti-émeute tabassant des enfants ou des vieilles dames qui ne se livrent à aucune activité criminelle est choquante : comme le dit Jan Jambon (N-VA) : « Lorsque la police espagnole est allée frapper des gens, on peut quand même se poser des questions. » De même, la destitution, par un pouvoir national, d’un gouvernement régional légitimement élu pose question. Enfin, l’emprisonnement de ministres ou de parlementaires en fonction est extrêmement inquiétant. Cette fois, c’est Bart De Wever, président de la N-VA, qui le dit : « On n’enferme pas des gens parce qu’ils exercent simplement leurs droits démocratiques ». Par contraste, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, membre du PPE affirme : « Je ne trouve pas que l’Espagne viole l’Etat de droit ». Ainsi posé, le débat revient curieusement à opposer les droits démocratiques à l’ordre constitutionnel, alors que le second sert précisément à garantir les premiers.
L’Etat de droit
Un premier élément du débat tient à l’Etat de droit que les Catalans auraient enfreint. C’est le sens de l’accusation de rébellion. La rébellion n’existe pas dans l’arsenal juridique belge lorsqu’il s’agit d’opinions politiques. A juste raison, car la « rébellion » pacifique est inhérente à toute action politique. C’est le désaccord sur les options fondamentales du fonctionnement d’une société qui justifie l’existence de partis politiques qui recherchent le soutien de l’électeur. Faut-il assimiler l’opposition politique à une « rébellion » ? Certainement, si le mot est pris dans le sens d’opposition intellectuelle, nullement si on veut lui donner un caractère violent. Les indépendantistes catalans sont en désaccord avec le gouvernement de Madrid, c’est un choix qu’ils peuvent proposer aux électeurs, c’est un désaccord ou une « rébellion » intellectuelle mais non violente, et elle ne justifie aucun emprisonnement.
L’action des indépendantistes est aussi contraire à la constitution espagnole. Celle-ci ne prévoit pas le droit, pour une région, de se séparer de l’Etat. A la vérité, peu de constitutions prévoient explicitement ce droit. La constitution belge ne le prévoit pas non plus. Cela pose un problème logique : si les Catalans doivent respecter la constitution espagnole, ils ne pourront jamais revendiquer l’indépendance, même si ce choix est majoritaire au sein de leur population. Dans ce cas, faire de l’Etat de droit espagnol le seul critère d’appréciation revient à fixer le score avant même que le match soit joué.
La séparation des pouvoirs
Un autre élément du débat tient à la séparation des pouvoirs. Pour Wouter Beke, Président du CD&V, c’est un juge qui, en vertu de la séparation des pouvoirs, a décidé l’emprisonnement des ministres catalans. Mais, ce qui inquiète alors, c’est qu’un juge puisse prendre une telle décision. Car si un juge peut faire emprisonner des ministres en raison de leurs choix politiques, c’est que la loi le permet. On est alors en présence de prisonniers politiques, au premier sens du terme.
Pour garantir la séparation des pouvoirs, des dispositifs légaux prévoient généralement l’immunité des parlementaires. Ceux-ci ne peuvent être traduits devant les tribunaux sans le consentement de leur parlement. Aucune disposition de ce type ne semble avoir été appliquée en l’occurrence. En Belgique, les parlementaires sont protégés et personne n’envisage qu’un juge indépendant emprisonne Jan Peumans (N-VA), le président du Parlement flamand, aux motifs qu’il est ouvertement républicain et partisan de l’indépendance, à terme, de la Flandre.
La crédibilité de l’Union et la Cour européenne des Droits de l’homme
L’argument de la séparation des pouvoirs pour justifier les emprisonnements catalans ouvre la voie à tous les débordements, pour autant qu’ils soient exécutés par un juge « indépendant », minant ainsi la crédibilité de l’Union européenne. Comment celle-ci peut-elle critiquer la politique de Viktor Orban si elle soutient ce qui se produit en Catalogne ? Comment condamner les répressions musclées, les emprisonnements ou même les exécutions dans les nombreuses dictatures qui, hélas, existent sur la planète ? En général, ce n’est pas le gouvernement qui décide des emprisonnements ou des exécutions, mais des juges « indépendants » qui appliquent des « lois conformes à la constitution »…
Des paragraphes qui précèdent, ressort le besoin manifeste d’un arbitrage neutre pour mieux définir les limites de l’action répressive, pour les questions politiques. En particulier, la Cour européenne des Droits de l’homme pourrait utilement être sollicitée.
En tout état de cause, la question mérite d’être suivie avec attention, et il ne faut pas laisser ce débat dans les mains des seuls nationalistes flamands, même si, en l’occurrence, ils semblent avoir raison plus souvent qu’à leur tour.
Pour poster un commentaire, merci de vous abonner.
S'abonnerQuelques règles de bonne conduite avant de réagir12 Commentaires
Tous les arguments developpés dans cet article peuvent être balayés du revers de la main.
Avec les articles de Mrs Uyttendaele, Gheude et Pagano, je trouve remarquable la contribution de votre journal pour éclaircir les termes du débat, particulièrement pour un public francophone peu porté sur les nationalismes. Il faut, sans doute, que la solution aux problèmes posés par une éventuelle indépendance de la Catalogne se fasse dans le respect des droits et des intérêts des catalans non nationalistes, des espagnols et des européens, et une issue dialoguée et démocratique est la voie royale. Mais le problème qui a provoquée la venue de Mr Puigdemont et ses ministres à Bruxelles est le non-respect par le Gouvernement espagnol des droits fondamentaux : le droit des peuples à l’autodétermination, le droit à la ‘rébellion’ politique, le droit d’expression et de réunion, la séparation des pouvoirs, le droit pour les prévenus à un tribunal indépendant et équitable … La liste est longue, les auteurs cités ont bien développé le problème et des nombreux juristes espagnols, des nombreux espagnols tout-court aussi, sont d’accord avec eux.
Pour que les choses soient claires: je suis catalan et ma famille l'est depuis des générations, bref, je pense avoir tout le "package". Mais pour les nationalistes (écouter le discours devenu célèbre de la présidente du parlement catalan, Mme Forcadell), si je ne suis pas avec eux, je suis forcément un "colon" (ndrl.: terme peu élogieux communément utilisé par les nationalistes pour désigner un "envahisseur espagnol" et forcément fasciste). Ils considèrent que « l’ennemi est l’état espagnol » et les « colons » sont des traîtres parmi la société catalane. Longtemps, ceux qui ne sont pas indépendantistes se sont tus. Nous étions montrés du doigt. Les gens n’osaient plus s’exprimer sur le sujet. A l’université de Barcelone, on a même dressé des listes d’étudiants non séparatistes. On nous discrimine et harcèle constamment. Les partis non indépendantistes, dits constitutionalistes, sont appelés « unionistes » (en référence, péjorative, à l’Irlande du Nord). Cela fait des années que ces gens manipulent les faits, y compris l'histoire, endoctrinent les enfants dans les écoles publiques, utilisent les médias publics à des fins de propagande afin de propager la haine envers tout ce qui est espagnol. Bien sûr, Mariano Rajoy porte une responsabilité morale dans la crise catalane. C'est la première fois dans la démocratie qu'un gouvernement central utilise l'argument anti-catalan afin de grappiller des voix dans les milieux "espagnolistes" (ces vieux nostalgiques de l'ancien régime, habitant surtout au centre du pays qui ont une profonde rancœur à l'égard des catalans, qu'ils considèrent comme des êtres qu'il faut absolument écraser). C’est le problème de l’Espagne, où il n’y a pas de parti d’extrême droite. En France, ces gens voteraient FN. En Espagne, ils se tournent vers le PP (qui regroupe des tendances allant de la droite dure jusqu’au centre démocratique) afin être représentés. Rajoy a eu raison de refuser de discuter de projets qui auraient créé une inégalité entre espagnols et aurait été contraire à la Constitution mais il n’a jamais proposé la moindre alternative. Il s’est contenté de dire « non » et chaque camp est resté borné. Pour les suprématistes catalans, c’était une façon de dire : « nous avons voulu dialoguer et ils ont refusé ! », de se victimiser afin de gagner des voix. Or, des solutions existent. La Constitution, même si en 1978 avait été approuvée par 90 pourcent des catalans, peut être réformée afin de mieux refléter l’Espagne plurielle d’aujourd’hui. Mais Rajoy s’est toujours contenté de gérer les affaires courantes sans apporter d’idées de réformes pour le futur. Il manque totalement de vision d’avenir et se contente de répondre à un problème politique par des solutions juridiques, ce qui démontre son incompétence à réformer. Il ne s’adresse jamais au peuple catalan et quand il voyage à Barcelone c’est seulement pour s’adresser aux militants de son parti (8% aux dernières élections régionales). Il n’essaye même pas ! Les nationalistes eux, avaient promis qu’en cas d’indépendance, la Catalogne serait un petit paradis, qu’on serait plus riches, qu’il ne fallait pas croire les menaces de sortie de l’UE parce que jamais l’Europe ne permettrait qu’une région aussi prospère puisse se retrouver dehors (et ce, malgré les avertissements de toutes parts) et même, que les enfants auraient de la crème glacée en dessert tous les jours ! Mais ça, c’est mauvais même d’un point de vue nutritionnel ! Mais ce qu’a fait l’exécutif catalan, outre violer toutes les lois démocratiques et bafouer les droits de la majorité des citoyens de la Catalogne (52 pourcent n’ont pas voté pour les indépendantistes) c’est avoir profondément divisé la société catalane. Nous étions un peuple où il faisait bon vivre, chacun avait ses opinions mais il y avait le « vivre ensemble » et le respect. Aujourd’hui, les positions se sont radicalisées. Il y a une vraie fracture sociétale. Des amis de longue date ne se parlent plus. Des parents ne voient plus leurs enfants. Des frères se haïssent ! C’est simple, Puigdemont n’apporte que la division. Même en Belgique ! Il y a aussi l’économie. Plus de 2500 entreprises ont déjà quitté la Catalogne et le tourisme est en berne. Et on peut pratiquement dire adieu à l’Agence du Médicament (qui doit quitter Londres et Barcelone était la candidature la mieux placée à tous points de vue). Voilà ce que Puigdemont et les nationalistes ont réussi à faire : détruire la Catalogne (à la place d’indépendance on a le 155. Bravo Monsieur Puigdemont ! Oui, il a déclaré l’indépendance mais c’était irréalisable), fracturer la société, faire fuir les entreprises et assombri notre futur…
On aimerait lire plus souvent ce genre de commentaire en réaction à un article. Merci Monsieur pour votre éclairage, pour votre contribution.
Merci et bravo pour cet éclairage important !