«Grace» de Jeff Buckley n’a pas pris une ride

Rarement album a si bien porté son titre. Tout n’est que grâce dans ce premier album du fils de Tim Buckley, qui n’a pas 28 ans à sa sortie. Toutes les chansons sont habitées d’un romantisme magique, à tel point qu’on en oublie que « Hallelujah », qu’on retrouve encore aujourd’hui au programme de cérémonies de mariage comme de décès, est une reprise signée Leonard Cohen. De même que « Lilac Wine » est de James Shelton et « Corpus Christi Carol », une pièce classique de Benjamin Britten. C’est sa maman pianiste avec qui il vit en Californie (il a peu vu son père plus préoccupé par sa carrière) qui l’a initiée à toutes les musiques. Quand Jeff débarque dans le Lower East Side new-yorkais en 1992, il commence à composer, seul ou avec Gary Lucas, ses propres chansons. C’est en avril qu’il commence à faire parler de lui en se produisant toutes les semaines dans le bar Sin-É de ce quartier de Manhattan qui, à l’époque, est surtout le repaire des paumés, des parias et des artistes sans le sou. Il y chante beaucoup de reprises, de Dylan à Billie Holiday, en passant par le MC5, et déjà « L’hymne à l’amour » et « Je n’en connais pas la fin » d’Edith Piaf. Quand la firme Columbia lui met la main dessus, elle préfère d’abord publier un Live At Sin-é enregistré en août 1993. Jeff prend son temps et c’est après sa rencontre avec Andy Wallace, le producteur du Nevermind de Nirvana, que les choses avancent. Grace paraît un an plus tard en août 1994. Jeff tient à le défendre tout de suite sur scène. Ainsi le voit-on déjà le 21 septembre au Pacific d’Anvers. Il y chante aussi bien Jimi Hendrix que les Mamas & The Papas, en plus d’allusions à Led Zeppelin et James Brown. Il y est encore tout timide, tout fragile, replié sur lui-même. [scald=10165936:sdl_editor_representation] On le revoit quelques semaines plus tard chez lui, à l’Irving Plaza d’Irving Place. On trouve encore des places le soir même mais Jeff a changé devant ses amis : sûr de lui, il se repose davantage sur un groupe très électrique. On le retrouvera en Belgique le 26 février 1995 à l’Orangerie du Botanique, avant Torhout-Werchter, les 1er et 2 juillet, où il inaugure une deuxième scène. En tout et pour tout, Jeff Buckley n’aura donc donné que quatre concerts en Belgique. Les tourments d’un ange Des concerts, tous magnifiques, extatiques, gracieux. Avec cette voix d’ange qui ne cachait pas ses sombres tourments. Car Jeff, en interview, disait que sa consommation d’héroïne était contrôlée. Le 29 mai 1997, il est à Memphis pour poursuivre l’enregistrement de son nouvel album. En attendant l’arrivée de ses musiciens, il part se baigner tout habillé dans la Wolf River, un affluent du Mississippi. On retrouvera son corps six jours plus tard. La version officielle parle d’un accident. La maman de Jeff reprendra ses affaires au lendemain de sa mort à l’âge de 30 ans. Même qu’on a pu lui reprocher la publication du disque sur lequel il travaillait et qui, en l’état, ne le satisfaisait pas ( Sketches for My Sweetheart the Drunk , 1998) en plus de cinq albums live durant les années 2000 et de nombreuses compilations. « Techniquement, c’était le meilleur chanteur à être apparu depuis probablement vingt ans. Plus j’écoute Grace, plus j’apprécie son talent absolu… Ce n’est pas loin d’être mon album préféré de la décennie. », dira Jimmy Page de ce disque qui n’a pas pris une ride 23 ans plus tard. La mélancolie naturelle de Jeff, on l’a retrouvée chez Thom Yorke et elle influencera de nombreux artistes (d’Asaf Avidan au Belge Tamino plus récemment). Et on ne peut s’empêcher de lire dans les chansons « Last Goodbye » et « Eternal Life » son terrible destin. [scald=10165927:sdl_editor_representation] En 2004, une version étendue et remastérisée du disque, avec même un making of, a paru en CD sous l’intitulé Legacy Edition.

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